BLUT AUS NORD - The Work Which Transforms God (Appease Me…/Adipocere) - Selection VS du 17/03/2003 @ 08h57
Après une introduction au nom en forme de contre-pied (« End ») qui nous catapulte dans les entrailles d’un volcan en imminence d’éruption, le péremptoire « The Choir of the Dead » offre les premières clés qui permettront de décrypter le chaos annoncé : une pluie de déflagrations black qui s’émiettent peu à peu en pulsations faussement amorphes constellées de double-pédale ou d’extrasystoles imprévisibles ; des riffs contondants qui s’abattent implacablement comme une herse sur la tête du rêveur ; une guitare sinusoïdale hantant un arrière-plan en perpétuelle distension précaire ; un terrorisme vocal tout droit surgi de « The Mystical Beast of Rebellion » ; des vagissements infra-sonores dressés en oracle de décrépitude et de mort ; et puis une cloche dont le carillon spectral éconduit les ruines du morceau jusqu’à leur tombeau. Fascinant…

Blut aus Nord, cette mystérieuse entité sans visage dont le retour, l’an passé, avait explosé à la gueule d’une scène empâtée dans ses habitudes, nous avait promis une œuvre nouvelle, subversive, déstructurée, plus sombre que tout. Et bien c’est gagné ! Au-delà d’un album choc ou d’un manifeste de provocation scientifique, « The Work Which Transforms God » est une arme mentale qui met la musique en charpie en martyrisant l’euphonie et la symétrie. Fruits d’un travail de précision digne d’admiration, les architectures sont fragmentées en de multiples strates qui peuvent associer des dissonances odieuses à des formes moins aliénées mais tout aussi hostiles sur fond de dédales rythmiques paraissant de prime abord aléatoires, mais agencés de façon à ne jamais desserrer l’étau sur l’esprit de l’auditeur, à ne jamais lui donner une illusion de routine. Le malaise est insaisissable et indéfinissable mais il existe bel et bien, un virus corrosif qui s’insinue par l’oreille et s’agrippe au cerveau à la façon d’une sangsue, crachant ses ondes négatives dans tout le corps bien après que la hi-fi se soit tue. Souvent l’attention est canalisée par le tableau barbare qui se dessine en ellipses de sang à la surface, mais si l’on fait l’effort de s’enfoncer au-dessous du carnage, l’évidence s’estompe et l’on est absorbé par les rafales venimeuses qui balayent un ahurissant magma de torture psychique que ne renierait pas David Lynch dans un de ses films les plus noirs. A la manière d’une immersion prolongée dans l’eau de la baignoire, une expérience qui mutile les sons et les sens, on plonge tête première dans un univers atonal et anti-harmonique, une culture de l’accord désaccordé, une fabrique infernale au cœur d’un cyclope musical écorché. A l’arrivée c’est presque un soulagement que de se retrouver de nouveau dans le feu croisé de la bataille et des violences métalliques plus traditionnelles, même s’il n’est nul besoin d’être expert pour bien vite remarquer que même ces dernières ont un aspect étrangement déjeté jusque dans les vocaux qui outrepassent fréquemment le stade de l’hystérie (cf. « The Howling of God »). D’autres fois comme sur le compulsif – et génial – « Our Blessed Frozen Cells », l’angoisse prend des allures de dérive infinie à la lisière de l’ambient, gardée à flots par les hurlements désincarnés, les lames de fond électriques et le superbe travail rythmique à la foison de détails évoquant une forge en effervescence.

En somme le fond de l’énigme Blut aus Nord réside dans une locution que j’ai mentionnée plus haut : « faire l’effort ». Ecouter « The Work Which Transforms God » intelligemment suppose de vouloir tendre un gros doigt vibrant à l’adresse de la fast-music chargée aux substances standard pré-mastiquées. Certains diront qu’il faut en plus un penchant sado-masochiste déjà bien protubérant pour pouvoir se délecter de tels sévices sonores, mais je crois que l’envie réelle de s’impliquer dans un contenu qui tient la route de A à Z est une passerelle solide qui permet de subir sans flancher l’assaut des jusqu'au-boutismes les plus extrêmes et les plus exigeants. Ceci est d’autant plus vrai que cet album, infiniment plus riche et composite que son prédécesseur (bien qu’infiniment moins accessible, si c’est possible), est susceptible de catalyser davantage de curiosités jusque dans des milieux externes au black metal (l’ambient, le trip-hop, le jazz, l’indus, etc.), ne serait-ce que par l’étendue du panel de découvertes qu’il propose aux oreilles de tous horizons.

Du désert sismique de « The Fall » (tiens tiens…) aux incantations fugitives et aux infâmes fritures de gorge de « Inner Mental Cage », du concerto de beats en rupture de « Metamorphosis » à la dernière descente en rappel dans le néant de « Procession of the Dead Clowns », Blut aus Nord subjuguent autant par leur qualité transdisciplinaire que par le fait qu’au-delà d’être un bulldozer terrassant les conformismes, « The Work Which Transforms God » soulève une dimension métaphysique qui, pour un ouvrage musical, est considérable. En vertu du fait que ses géniteurs n’ont pas pour habitude de suivre un tracé créateur convenu, cet album est certainement appelé à trôner à jamais seul sur la corniche étroite qu’il a déblayé au-dessus du vide – et se pose par là-même en très sérieux postulant au sceau précieux des œuvres cultes.




Rédigé par : Uriel | 18.5/20 | Nb de lectures : 13221




Auteur
Commentaire
geminy
Invité
Posté le: 17/03/2003 à 22h23 - (2582)
ET il sort quand ?

Uriel
Invité
Posté le: 18/03/2003 à 10h20 - (2583)
Sais pas... Au mois d'Arvil selon le label.

GhOsT
Invité
Posté le: 25/03/2003 à 09h20 - (2741)
Pour les infos concernant la sortie et tout le reste : www.blutausnord.fr.st et/ou www.appeaseme.fr.st


Gillou
Invité
Posté le: 26/05/2003 à 14h27 - (3685)
A y est, je l'ai acheté. Mais putain, Blut aus nord, c'est vraiment autre chose!! C'est vraiment d'un niveau artistique supérieur à tout ce qu'on peut écouter actuellement dans le black. Alors c'est vrai que c'est assez barré (c'est pas avec ce disque que vous ferez aimer le metal à un néophyte, ça c'est sûr)mais c'est tellemnt original qu'il faut absolument l'écouter

shama lo
Invité
Posté le: 10/12/2003 à 16h21 - (6400)
génial, a posséder absolument mon album phare avec the link de gojira............vraiment, chapeau bas ! ( bravo aussi a uriel )

OMFG
Invité
Posté le: 11/11/2004 à 08h01 - (11519)
A se procurer absolument..le disque le plus malsain, le plus EFFRAYANT que j'ai entendu depuis longtemps... le parfait compagnon auditoire a "House of Leaves" de Mark Z. Danielewski, dans le sens ou il s'en degage une sensation de noirceur indescriptible; on dirait qu'il a ete enregistre dans une caverne souterraine aux proportions immesurables.
Bref, foncez dessus.

rafi
Membre enregistré
Posté le: 26/10/2006 à 16h07 - (34978)
du tres tres bon black, bien que un peu integriste : -)



Arnaud2019
Membre enregistré
Posté le: 16/02/2015 à 11h21 - (115748)
Fichtrement bien écrite cette critique !

buru
Membre enregistré
Posté le: 12/11/2015 à 01h01 - (118628)
J'adore...



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