Ce qu’il y a d’extraordinaire avec les groupes suédois c’est qu’ils osent tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. (oui je sais, ça doit vous rappeler quelque chose). Rien ne les arrête, rien ne les rebute, rien ne leur fait peur. Exemple, Beardfish. Voilà un groupe qui a les deux pieds bien plantés dans les années 2000 mais les yeux rivés sur les 70’. Ok, je vous entends dire : « ‘tain ! fait chier ! Savent pas faire autre chose que l’éternel coup du revival 70’ ? Y sont combien les groupes à ressasser le passé avec autant d’opiniâtreté ? Ras le bol ! ». Ouais, vous n’auriez pas tort de jurer après toutes ces formations sans imagination.

Sauf que Beardfish, les années 70’ il les passe à la moulinette d’une vision fraîche, rénovée, bien particulière et évite le côté kitch et démonstratif outrancier. (bien qu’il soit capable de pondre des titres de 12 minutes). En 2006 déjà, il avait surpris son petit monde avec un double album – The Sane Day. Bien que n’étant pas dépourvu de quelques faiblesses et longueurs, le style foutraque augurait déjà d’un avenir prometteur. En rassemblant leurs idées et en concentrant leur énergie sur un seul CD, les Suédois allaient sans doute accoucher, un jour ou l’autre, d’une œuvre aussi maîtrisée que passionnante.

Démonstration faite avec Sleeping In Traffic – Part One. Certes ça sonne immédiatement 70’ mais sans qu’il soit possible de le faire passer pour un clone de l’une ou l’autre formation connue de cette époque. Et puis, chemin faisant dans les méandres et autres circonvolutions, des noms jaillissent du chapeau magique et se mélangent avec bonheur. Deep Purple, Uriah Heep, Hatfield & The North, King Crimson, ELP, Zappa, Gentle Giant ou Genesis pour les plus évidents. En somme, un savoureux passage en revue de cette période riche de créativité.

De plus, fidèle à un courant de pensée emmené par des formations frangines comme Ritual, Kerrs Pink, Wobbler ou Kaipa, Beardfish n’oublie pas d’adjoindre à ses compositions une touche de folk et une autre de jazz.
L’utilisation d’instruments typiques comme l’accordéon sur l’intro (…on the verge of sanity), le violon ou la flûte ou vintage comme les claviers analogiques ARP, des guitares fuzz appuient cette mixité de style confondante de maîtrise. Ce qui étonne dans la structure des pièces qui composent Sleeping In Traffic, c’est une apparente complexité alliée à une non moins évidente accessibilité. Je m’explique : les compos semblent archi « chiadées » voire étourdissantes. On a le sentiment de se perdre dans ces superpositions de strates instrumentales. Et puis on en émerge l’esprit clair et vif, admiratif devant tant de savoir faire.

La voix de Rikard Sjoböm est une autre clé de cette réussite. Si elle apparaissait légèrement maniérée sur The Sane Day, son incontestable expressivité est par contre ici parfaitement contrôlée.
Que faut-il de plus à cette jeune formation pour briller au firmament ? Pas grand chose. La production n’a pas été bâclée, les mélodies délicates bien qu’imbriquées, sont mémorables et l’écoute de ce tome 1 – concept autour des antagonismes de la vie - passe avec une grande fluidité et bien trop vite. On attend donc le tome 2 avec une impatience mal dissimulée.
Allez, j’ose l’inimaginable : Beardfish c’est l’alternative intelligente au progressif vieillissant des Flower King, pas moins !


Rédigé par : Karadok | 16/20 | Nb de lectures : 10194