Beardfish est l’une de ces trop rares formations progressives avec lesquelles il faut s’attendre à tout et en l’occurrence ici au meilleur. D’album en album, ce groupe suédois jeune et impertinent trimbale des influences sans cesse renouvelées et une inspiration qui ne se dément pas. Ainsi, il n’hésite pas à faire se côtoyer la scène suédoise la plus talentueuse - et peut-être un peu hermétique - des années 70 (Trettioåriga Kriget, Bo Hansson, Made in Sweden, Kaipa), des formations mythiques des Pays Bas comme Supersister ou Focus ou bien encore l’immense Gentle Giant, certains ténors de la scène Canterbury (Can, Caravan, Hatfield & The North, National Health, Camel), tout autant que les déjantés Frank Zappa, King Crimson et bien d’autres. Bref, un sacré barnum de références bien enflées du casque.

Un peu moins fringant sur le précédent "Sleeping In Traffic Part 2" sorti en 2008, il repart de plus belle sur "Destined Solitaire". D’autant que, brouillant les pistes comme jamais, il incorpore à sa conception moderne du progressif clairvoyant des éléments métal et même extrême en utilisant le chant death. De quoi perdre les fans convaincus par la musique mais moins accoutumés eux au versant métallique du prog et à certains de ses codes.

Alors azimutés ces Scandinaves ? Trois fois oui, mais talentueux et culottés ça, pas l’ombre d’une hésitation. Et extrêmement intéressants ça va sans dire. Lors de la kro de "Sleeping In Traffic Part 1", leur 3ème album, je comparais leur style à du Flower Kings débarrassé des longueurs et autres redondances qui ont alourdi la musique de Roine Stolt depuis quelques années. Beardfish lui part constamment en vrille et additionne folie et caprice dans un festival de combinaisons brindezingues et jubilatoires. Par endroit, il rappelle le meilleur de The Tangent, formation progressive contemporaine moins délirante mais dont l’ombre grandit dangereusement au-dessus du Roi des Fleurs et en passe de faire oublier feu Transatlantic* et le moribond Spock’s Beard.

Beardfish s’est ménagé du temps. Avec 77 minutes au total et 9 titres dont 3 atteignent ou dépassent les 10 minutes – 15 pour "Until You Comply Including Entropy"- il s’est largement donné les moyens d’exprimer cette fantaisie architecturale. Le titre éponyme bien sûr est à ne rater sous aucun prétexte. Non seulement c’est un monument d’intelligence et de savoir faire de 10 minutes, une authentique pièce de marqueterie à tiroirs et autres portes secrètes mais surtout, c’est là que Rikard Sjöblom, le chanteur, s’adonne sans démériter à la pratique du « growl ». Pour le coup, je donnerais gras de pâté de foie pour voir la mine horrifiée des progueux pur sucre qui ne manqueront pas de s’étouffer d’avoir à subir pareil outrage.

Parmi les autres sommets de l’album – et ils sont nombreux- il faut également citer « Coup de Grâce » (en français dans le texte) sous titré "How I Was Killed By An Accordion – Moown Style". Du haut de ses presque 10min, il synthétise à lui seul le caractère si truculent et pittoresque de la musique des Suédois. Accordéon en bandoulière, c’est un instrumental plutôt sage compte tenu du reste mais qui change de tempos toutes les 2 minutes, bondissant d’une référence à une autre, seventies ou actuelle avec la dextérité d’un habile jongleur.

Vous voilà averti : Beardfish est le groupe de prog incontournable du moment. Certes, il faut se laisser du temps pour amadouer la bête. Il se peut même que vous vous retrouviez le cul dans l’herbe plus souvent qu’à votre tour. Mais une fois domptée, la chevauchée n’en est que plus fantastique. Yaoh !!!!


* je n’oublie pas que le retour de ce super groupe est annoncé pour l’année prochaine! Slurp !!!!!


Rédigé par : Karadok | 18/20 | Nb de lectures : 10981