Qu’est-ce donc qui, en réalité, a fait de moi un opiomane ? Cette affection qui m’amena finalement à contracter l’habitude de l’opium, quelle était-elle ? Etait-ce la douleur ? Non, mais la détresse. Etait-ce l’obscurcissement momentané du soleil ? Non, mais la blême désolation. Etait-ce de sombres nuées qui auraient pu se dissiper ? Non, mais des ténèbres fixes, persistantes : Une éclipse totale, sans plus d’espérance du jour !

Deux années me séparaient de ma première rencontre avec la forêt des étoiles. Malgré l’anarchie de sa végétation, je ne pus que choir dans les méandres de ce paradis artificiel. Mais je peux le dire à présent, ce péché originel n’était rien en comparaison de ce nouveau voyage au long cours (72 minutes). Là où "The Corpse of Rebirth" apparaissait tel un miroir brisé, "Opportunistic Thieves of Spring" montre une unité narrative dévoilant une progression vers le néant tragique où ne subsistent que le froid et la folie.

Rarement, un album aura si bien retranscrit l’esprit d’une époque. S’aventurer au sein de cette forêt, c’est prendre le risque de raviver le Romantisme du 19ème siècle. C’est se frayer un chemin entre le spleen de Baudelaire, l’orientalisme pictural et la chute inéluctable. Dieu est mort ! Chaque titre est un long labyrinthe parsemé de couleurs et de parfums projetant toujours plus loin dans la folie l’auditeur hypnotisé par les mélopées enivrantes et dissonantes du violon et de la flûte.

L’exotisme psychédélique et le folk du départ vont peu à peu laisser place à des sonorités froides issues du vide interstellaire où ne subsiste plus que la tristesse. Ce sera d’ailleurs à cet instant précis que la voix féminine se fera entendre annonçant la venue de Notre-Dame des Tristesses. L’audace ira même jusqu’à imposer quelques mesures de silence au milieu d’un morceau et à frôler l’ambient.

Il est plausible que certains auront probablement abandonné devant l’ampleur cyclopéenne de cette œuvre imposant l’endurance et l’absolue soumission à son poison créateur de rêves.

Notre-Dame des Larmes dit :
Vois ! Le voici, celui que j’ai consacré à mes autels. Par moi, il est devenu idolâtre. Sacré pour lui était le tombeau ; aimables étaient ses ténèbres, sainte sa corruption. Je l’ai préparé pour toi, chère et douce sœur des Soupirs. Prends le maintenant sur ton cœur et prépare-le pour notre terrible sœur. Et toi ! Sœur des Ténèbres, sœur perverse qui respire tentations et haine, reçois-le d’elle à ton tour et chasse toutes les faiblesses de l’espérance.


Addenda : Note à l'intention de Frater Saper Aude

Il apparaît dans le compte-rendu de la séance du 19 septembre 1890 que le sujet R.Q présente une remarquable sensibilité au flux médiumnique. A cet égard, les prodigieuses quantités d'alcaloïdes opiacés ingérées par le sujet ont entraîné une altération irréversible de son système nerveux central.
L'action combinée du Papaver somniferum lors des sessions d'exposition aux cérémonies du Gentleman's club of A forest of stars a produit en conséquence des résultats bien au-delà de nos espérances. Lors, une première tentative de communication a pu être établie avec l'entité amorcée lors de la dernière transe psionique observée (Conversation archivée sur enregistrement phonographique du xx/xx)
D'obscures références à une forme de Metal Noir dont la composition nous échappe encore font état d'influences baroques portées par les partitions à cordes, tout autant que de distorsions sonores encore inconnues à ce jour. Les seuls repères harmoniques fournis par la présence attestée de claviers, percussions et instruments à vent ne permettent cependant pas de qualifier le bourdonnement relevé de "musique".
L'état d'extrême béatitude examiné chez le sujet au terme de la séance d'exposition renforce le sentiment de dangerosité de l'entité. Aussi, nous recommendons une dernière série de transcriptions sous conditionnement toxicologique maximal - la survie du sujet étant accessoire - suivie d'une interruption immédiate et inconditionnelle des opérations.

Sincèrement votre,
In Utroque Fidelis 5°=6°


Rédigé par : Rabbit de Quincey / #Guillaume# Kardec | 17/20 | Nb de lectures : 13609