Arjen Anthony Lucassen a de la chance ; en plus d’être un musicien émérite et prolixe, il va pouvoir bénéficier cette année de toute l’attention du milieu métal prog. Car son 7ème et pharaonique album sort un an après toutes les grosses pointures, ce qui va permettre aux fans et kronikeurs de tous poils de lui accorder toute la considération qu’il mérite. Mais, ce « focus » circonstanciel peut également lui être fatal si le résultat n’est pas à la hauteur des espérances. Et vous lirez plus loin ce que cela signifie…

Je disais « pharaonique » ? Titanesque même et n’hésitez pas à rajouter tous les synonymes que vous connaissez. Visez plutôt : 17 chanteurs : Hansi Küsch (Blind Guardian, Demons & Wizards) Daniel Gildenlöw (Pain of Salvation) Tom S. Englund (Evergrey) Jonas Renkse (Katatonia) Jørn Lande (ancien-Masterplan, ARK) Anneke van Giersbergen (Agua de Annique, ancien-The Gathering) Steve Lee (Gotthard) Bob Catley (Magnum) Floor Jansen (After Forever, Star One) Magali Luyten (Beautiful Sin, Virus IV) Simone Simons (Epica) Phideaux Xavier Wudstik Marjan Welman (Elister) Arjen Anthony Lucassen Liselotte Hegt (Dial) Ty Tabor (King's X).

Et comme si cela ne suffisait pas, ajoutez-y 10 musiciens : Arjen Anthony Lucassen - Guitare, Claviers, Synthétiseur, Guitare basse, programation - Ed Warby (Gorefest) - Batterie et percussion - Lori Linstruth (ancien-Stream Of Passion) - Solo de guitare sur "Newborn Race" - Michael Romeo (Symphony X) - Solo de guitare sur "E=MC2" - Derek Sherinian (Planet X, Yngwie Malmsteen, Ancien-Dream Theater) - Solo de clavier sur "The Fifth Extinction" - Tomas Bodin (The Flower Kings) - Solo de clavier sur "Waking Dreams" - Joost van den Broek (After Forever) - Solo de piano et clavier sur "The Sixth Extinction" - Jeroen Goossens (Flairck) – Flûtes - Ben Mathot (Dis) – Violons - David Faber – Violoncelle

Avec une telle armada, on se doute que le bonhomme nourrit de grandes ambitions. Et notre curiosité tout autant que notre impatience s’en trouve décuplée. Comme d’habitude, Lucassen et le label Insideout nous gâtent avec pas moins de trois versions différentes parmi lesquelles vous pourrez choisir celle qui convient le mieux à votre budget. Une version simple –celle kronikée ici – une version avec DVD et enfin une édition dite de « luxe » format book comprenant un livret riche en plus du DVD. Il vous en coûtera donc entre 17 et 30 euro suivant les distributeurs.

Une telle débauche de moyens, de personnel et de marketing est impressionnante. Mais ne cache-t-elle pas quelque chose qui ressemblerait à du cabotinage dans le but de masquer un manque d’inspiration ? J’ai encore en mémoire "The Human Equation" qui, bien que bon dans l’ensemble ne présentait pas moins quelques faiblesses sous la forme de longueurs, pièces redondantes ou facultatives qui le faisaient s’essouffler bien avant la ligne d’arrivée. Et qui, pour tout dire, le situait loin derrière "The Electric Castle". Qu’en est–il de "01.." qui, visiblement s’inscrit comme la suite de ce magnifique double album sorti en 97?

En plus de posséder un titre énigmatique*, il commence plutôt bien, c'est-à-dire dans un style bien marqué maintenant depuis plusieurs albums. "Age of Shadows" (10’48) accroche tout de suite l’oreille parce qu’il est constitué de tous les ingrédients qui font la force des compositions de Lucassen. Je veux parler bien sûr de l’assemblage réussi de sonorités space, de foisonnement instrumental et de chœurs mixtes majestueux (toujours construits de la même manière, il faut bien le dire…). Cette intro maintenant « classique », on l’aime bien, c’est vrai. Bien plus, on l’attend, on l’espère et à chaque fois on marche.

Comment fait le Hollandais pour donner une telle cohérence à un ensemble si complexe quand on sait que la plupart des protagonistes – disponibilité oblige -ne se sont jamais rencontrés ? L’alchimie réussie de cette façon de faire tient au talent de son géniteur qui manie les commandes de son studio d’enregistrement en véritable virtuose. Pour autant, si "01..." possède des qualités indéniables dues à ce que nous venons de dire précédemment, il est loin d’égaler l’étalon "Electric Castle". Peut-être même n’atteint-il qu’à de rares exceptions "The Dream Sequencer", autre album référence bien qu’à un degré moindre. Le pourquoi du comment d’une telle différence de niveau vient de la faiblesse de certains titres qui manquent de profondeur ou d’envergure, 2 caractéristiques qui marquent les grands titres composés par Lucassen. A l’opposé donc de "Age of Shadows", le titre "Connect The Dots" qui fait « variété » et détonne avec « l’esprit » Ayreon en amoindrissant l’impact émotionnel inhérent à tout bon space-opera.

J’ai choisi volontairement ces deux morceaux pour vous montrer le grand écart que fait la musique de Lucassen. Entre classicisme éprouvé et accrocheur et mièvrerie commerciale. D’autres exemples pourraient être choisis pour illustrer cette dichotomie déconcertante. Une autre des quelques imperfections relevées ici ou là réside dans la redondance de certains thèmes déjà entendus sur les albums précédents. Il n’en reste pas moins que ce 7ème album vaut le détour - d’un point de vue général - pour les titres où le musicien resserre ses compos pour nous offrir le meilleur et développer son incroyable potentiel. Et inutile de préciser que tous les intervenants se montrent à la hauteur de leur réputation. D’un point de vue purement technique, la médiocrité n’est donc pas de mise. Pour le reste, il manque à "01..." ce petit quelque chose indéfinissable qui ferait de lui le digne successeur du Château Electrique. Mais, ne serait-ce que parce que l’on a patienté 4 longues années, on a envie d’aimer "01...", quoi qu’il en coûte et ce, même si le souffle épique des albums antérieurs n’est pas toujours au rendez-vous.

2 ou 3 choses maintenant glanées ici ou là pour vous permettre de mieux cerner l’auteur et son œuvre : Lucassen aime la SF, ce n’est un secret pour personne. Depuis "The Final Experiment" (1995), le « Hollandais Volant » n’en finit pas de développer un concept inspiré d’univers de S.F avec juste ce qu’il faut de savoir-faire et de talent pour rendre ces univers passionnants. Une histoire ou saga au centre de laquelle l’homme est la victime ou le sujet d’expériences diverses. Il se dit d’ailleurs très intéressé par des séries comme les 4400, Lost et bien sûr X-Files et toute sa mythologie dont il est par ailleurs fait mention sur le titre "The Truth Is In There" antinomique à la célèbre phrase d’introduction "The Truth is Out There" . Ou bien sur "The Sixth Extension" qui fait carrément référence à un épisode de la série. (Épisode 1 de la 7e saison). Il n’en est pas pour autant un adepte de la théorie du complot chère à Chris Carter. Il se définit plutôt comme un cartésien ne repoussant aucune théorie mais n’en adoptant aucune de particulière. Ses influences musicales actuelles vont de Katatonia, en passant par Muse, Porcupine Tree ou Rammstein. D’où le goût prononcé pour le « son allemand brut de décoffrage » de certains titres. De la pléiade d’artistes ayant participé à l’aventure Ayreon depuis ses débuts, Lucassen ne garde –dans l’ensemble - que de bons souvenirs. Sur "01...", il a notamment adoré travailler avec Jorn Lande et Jonas Renske à propos duquel il dit ceci : « C’est un type gentil, formidable bien que sur les photos de l’album il semble mort depuis longtemps… ».

Quand il évoque ceux qui ont refusé de l’y rejoindre, une pointe d’amertume transparaît dans ses propos. Surtout concernant Steve Wilson de Porcupine Tree qui a toujours décliné l’offre, ou de Steve Walsh (Kansas) ou de Ray Wilson (ex Genesis) qui lui s’est montré carrément impoli. En ce qui concerne les pochettes d’Ayreon et donc de "0101100"1, elles sont l’œuvre de Jeff Bertels qui est pour Ayreon l’équivalent de ce que fût Roger Dean pour Yes ; le parfait illustrateur de ses mondes intérieurs. Voilà, so long Ayreon!


* 01011001 : code binaire de la lettre Y. Voir ou revoir The Electric Castle.

Disque 1 - Y
"Age of Shadows" − 10:47
incl. "We Are Forever"
"Comatose" − 4:26
"Liquid Eternity" − 8:10
"Connect the Dots" − 4:13
"Beneath the Waves" − 8:26
"Beneath the Waves"
"Face the Facts"
"But a Memory..."
"World Without Walls"
"Reality Bleeds"
"Newborn Race" − 7:49
"The Incentive"
"The Vision"
"The Procedure"
"Another Life"
"Newborn Race"
"The Conclusion"
"Ride the Comet" − 3:29
"Web of Lies" − 2:50

Disque 2 - Earth
"The Fifth Extinction" − 10:29
"Glimmer of Hope"
"World of Tomorrow Dreams"
"Collision Course"
"From the Ashes"
"Glimmer of Hope (reprise)"
"Waking Dreams" − 6:31
"The Truth Is In Here" − 5:12
"Unnatural Selection" − 7:15
"River of Time" − 4:24
"E=MC2" − 5:50
"The Sixth Extinction" − 12:18
"Echoes on the Wind"
"Radioactive Grave"
"2085"
"To the Planet of Red"
"Spirit on the Wind"
"Complete the Circle"


Rédigé par : Karadok | 18/20 | Nb de lectures : 13213