S'il y a bien quelque chose qui m'a échaudé au fil des ans, ce sont les projets "de la copine de". Déjà que nombre de projets parallèles de membres éminents de groupes talentueux sont proches de la bouse de dinosaure, je ne donne plus très cher des projets "contrat de mariage" depuis que j'ai entendu le premier Peccatum. Il y avait donc de quoi être soupçonneux devant ce Ava Inferi débarqué avec soutien promotionnel et tampon "projet de Blasphemer de Mayhem avec sa chérie d'amour à lui qu'il aime". Outre le côté roucoulant de la chose auquel nos esprits avinés de métalleux bourrus (mais finalement sympas) ne peuvent qu'être sensibles, il est important de juger sur pièces, en étant certes le plus impartial possible, mais surtout en laissant de côté la fan-attitude. Vous savez, cette fan-attitude qui nous a fait acheter "Somnium" de Thou Shalt Suffer ou "Passage" de Xytras, celle qui ne fait que créer des déceptions quand on aborde un side-project où on caresse l'espoir fou de retrouver la splendeur de l'original. Mais je m'égare. Revenons-en à Ava Inferi (et non "Ava Inferni", attention au piège à la "Ex-Inferis" de Naglfar).

Rune et sa brune n'ont pas conçu un sous-Mayhem, ce qui est déjà un excellent point. Au contraire, la musique d'Ava Inferi est complètement divergente et c'est tout à l'honneur de Blasphemer qui a su s'écarter totalement de ses repères habituels. Belle démarche artistique, mijotée pendant plus d'une décade (Blasphemer, si tu nous lis...). Mes exemples cités plus haut (Thou Shalt Suffer et Xytras, pour les survoleurs de kros) ne sont pas innocents. Ava Inferi est aussi éloigné de Mayhem dans ses sonorités que pouvaient l'être TSF de Emperor. Les fans de black métal peuvent remballer leurs gaules, Ava Inferi joue du métal mélodique gentil et relativement barré mais absolument pas de l'extrême.

Ce constat peut être fait dès l'intro de l'album. Quelques notes de guitare lascives sur fond d'un instrument clownesque (dont le nom m'échappe depuis 8 jours), puis débarque une rythmique plus lourde, à la limite du doom mélodique, sur laquelle viennent se greffer les vocaux. Mais croire qu'on a fait le tour de l'album en quelques secondes est complètement trompeur. Ava Inferi cultive avec justesse l'hétérogénéité et l'écartèlement stylisque. Entre des ambiances que ne renierait pas My Dying Bride et des dissonances proches d'Atrox, Ava Inferi fait le grand écart et propose sa vision distordue de la musique. L'auditeur est projeté dans l'étrange, dans un métal mélodique jouant parfois sur l'opposition entre les rythmiques lourdes et lentes et le côté aérien du reste de l'instrumentation, jouant parfois carrément du blues rock (le surprenant "Vultos"). Bienvenue dans un monde baroque, poétique et décalé.

La voix de Carmen Simões s'intègre parfaitement à l'édifice. Dotée d'une bonne technique, elle réalise des chants mélodieux mais ose aussi des ricanements de sorcière, des intonations hallucinées, des sonorités qui amènent Ava Inferi proche d'un métal plus théâtral. Sans être aussi fondue que Monika Edvardsen d'Atrox, Carmen Simões ne se contente pas d'apposer une jolie mélodie niaise mais devient un instrument central, vecteur de l'émotion et porteur de l'ambiance chtarbée des sept morceaux. Encore une fois, me voila rassuré, traumatisé que je suis par les "fa dièse" South Parkiens d'Ihriel sur le premier Peccatum (et son "I Breathe without Access to Air" qui fait le bonheur de mes amis en soirée). Carmen exploite ses possibilités vocales de belle manière, une bien belle surprise.

La production n'est certes pas extraordinaire. Mais elle est ronde et sans agressivité ce qui colle parfaitement à l'univers d'Ava Inferi. Il suffit de monter le volume pour écarter ce défaut de puissance. Nul besoin de watts pour inviter à la mélopée et à la quiétude, sans recherche de dynamisme ou de brutalité. La mise en place est excellente et les instrumentistes répondent bien présents, notamment la basse, même si le propos n'est pas la vitesse d'exécution.

Les fans de Mayhem resteront majoritairement insensibles à cet album, de même que les fans de métal en général. Mais cela n'enlève pas ses qualités à ce "Burdens". Ava Inferi propose une musique personnelle et mâture qui plaira plus probablement aux amateurs de musique barrée. Je vous laisse visiter le superbe site pour finir de vous convaincre que vous accrochez ou non, après avoir écouté "A Glimpse of Sanity".




Rédigé par : Prince de Lu | 15,5/20 | Nb de lectures : 13744