“Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées”.

Peut-être est-ce juste une mésinformation, un point de vue biaisé par ma fréquentation toujours plus erratique des milieux autorisés, mais bordel: le monde ne serait-il pas en train de passer à côté de “Fragmentary Evidence”?
On nous avait tellement rebattu les oreilles avec “Concealed”, (chef-d’oeuvre-opus magistral-claque monumentale-hosannah&cie...) que l’arrivée de son successeur aurait dû faire tomber les filles en pâmoison, déclencher une crise de priapisme chez les fans de Death et finalement engendrer une grève des postes. Ni conflit social, ni hystérie: mis à part dans les braies de Tonton, l’été est bien calme.
Il faut dire qu’il s’est écoulé cinq ans depuis la sortie de “Concealed”, et la génération Ipod a depuis téléchargé/consommé/oublié des milliards de bits. Il faut parfois plus qu’un gros label pour se faire entendre et aujourd’hui, mieux vaut un buzz de geek qu’un encart sur papier glacé lu sur le trône... Réparons l’injustice, tapons du poing sur la faïence et colportons la bonne parole: “Fragmentary Evidence”, c’est du bon!

Talent, technique, feeling, finesse, phrasé, production... Par quelle savante combinaison de ces composés parvient-on à l’alchimie créatrice d’un excellent album de Death technique? OBSCURA, GOROD et maintenant AUGURY ont tour à tour proposé leur formule, leur vision.

L’équation “Fragmentary Evidence” est délicate à analyser. AUGURY y pratique un Death progressif à la fois technique, violent et sensible. Une musique aussi dynamique qu’introspective.
Pour résoudre ce paradoxe, les Canadiens insufflent à leurs neuf compositions une “qualité” dominante: l’énergie ou l’onirisme. Des morceaux comme “Simian Cattle” ou “Aetheral” sont lourds, rythmés, précis, gorgés de mélodies incisives et accrocheuses alors que “Jupiter to Ignite” (par exemple) débute par une charge d’émotion quasi poétique avant de devenir planante et mélancolique. Chaque composition se déroule, s’étire entre sections Death et passages instrumentaux dans un ensemble très travaillé, à la limite parfois de l’intellectualisme.
“Fragmentary Evidence” donne l’impression d’être un album plus réfléchi qu’intuitif. Si l’on peut y dériver entre tumulte et quiétude, on ne peut réellement apprécier sa substance qu’en s’y immergeant à la recherche de sensations. C’est un disque qui nécessite une certaine persévérance (en plus d’une évidente ouverture d’esprit). Alors que “Concealed” livrait des salves mélodiques entêtantes, parfois “faciles”, et d’évidentes inspirations (EMPEROR, OPETH... pour ne citer qu’elles), “Fragmentary Evidence” est plus personnel, moins immédiat et peut donner l’impression d’être moins accrocheur que son prédécesseur: il faudra plusieurs écoutes avant d’être saisi par toute sa puissance et son potentiel de headbanging.
De la même manière, certains regretteront de “Concealed” les envolée lyriques de chant féminin et même si les vocaux sont extrêmement variés - les nombreux invités venus prêter leurs cordes vocales n’y sont pas étrangers (Sven - ABORTED; Youri - CRYPTOPSY...), on ne pourra vraiment leur donner tort.
On se consolera à coups de basses luisantes (et quelle basse nom de Zeus!), d’atmosphères éthérées et de cuivres scintillants. De toms destructeurs ou de notes cristallines. “Fragmentary Evidence” possède en effet une production qui ensevelit l’immense majorité des sorties actuelles. A l’image de l’album, elle est très travaillée et aussi proche de la perfection qu’un album de Metal extrême peut l’être.

Je pourrais poursuivre en mode semi-pédant et gloser encore un petit moment, mais l’essentiel est là: “Fragmentary Evidence” est un putain d’album. Bien écrit, bien pensé et bien concrétisé. Le reste, c’est du bavardage. Là où “Concealed” s’était dévoilé un peu trop vite à mon goût, “Fragmentary Evidence” tournera plus longtemps encore.


Rédigé par : La Myxine | 18/20 | Nb de lectures : 13495