Chez Adipocere on a le nez creux, et la gestion sagace. Laissant le soin à sa nouvelle subdivision Oaken Shield de régaler la clientèle friande de black metal cru et ancré bien profondément dans l'underground, le label de Vonnas, dont le nom fait désormais partie des meubles dans le milieu du metal tricolore, se consacre à loisir à mettre le pied à l'étrier de formations davantage tournées vers le " grand public ". En observant toutes les réserves que ce dernier terme recouvre, on peut en effet classifier Apostasia parmi les jeunes groupes susceptibles de cristalliser l'attention de différentes strates de fans, du black-métalleux ouvert aux tendances sonores étrangères à son mouvement jusqu'au généraliste qui s'estime heureux avec sa ration journalière de vacarme potable et, le cas échéant, d'innovation. Opérant en formation triangulaire avec le dénommé Sylvain P. à la baguette, Apostasia tentent la réunion des symptômes du black metal symphonique et d'un habillage moderniste, une résolution qui les aurait placés dans une bulle dissidente il y a encore quelques années. Aujourd'hui heureusement le désenclavement des mentalités instauré par Arcturus et condisciples fait qu'un groupe peut oser les métissages les plus improbables sans risquer l'opprobre auprès de toute une scène. Pour un peu Apostasia passeraient presque pour des conservateurs, n'ayant en somme de subversif que le visage de cyborg inorganique de leur son qui ramène, en plus incisif toutefois, au vénéré " Passage " de Samael. La programmation de la boîte à rythmes est assez raisonnable, les tempos restant crédibles et les différentiels de timbre minimaux, ce qui n'empêche pas l'absence de chair à ce poste de sauter aux oreilles à tout instant. Afin de garantir une harmonie des composantes, les guitares ont été polies pour se montrer froides et uniformes comme le fuselage d'une roquette, ce qui évite avantageusement d'avoir d'un côté un son de batterie synthétique et de l'autre une cacophonie de caverne néanderthalienne. Cohérence, mes amis, tout ou partie du secret réside dans ce mot ! Et Apostasia l'ont bien compris, eux qui ont trouvé la clé de l'équilibre qui met en valeur chaque facette d'un ensemble musical. Le rôle joué par les synthés est celui d'un meneur de troupe, c'est donc le plus naturellement du monde que cet instrument se glisse à l'avant du mix, sans jamais toutefois ramollir l'impression de puissance charismatique que la musique expulse vers l'avant, telle une fusée entraînant dans son vol inexorable un déplacement d'air massif qui souffle tout sur le passage de l'engin. Voilà, Apostasia ont réussi leur coup, celui de maîtriser avec panache des paramètres difficiles et de définir avec autorité les frontières de leur champ d'action stylistique. Alors me direz-vous, pourquoi l'addition au bas de la chronique n'est-elle pas plus volumineuse ? Et bien justement parce que, et c'est là tout le problème, ils ont - un peu - mis la charrue avant les bœufs. Comprendre que la coquille sonore est fixée, clinquante et efficace, mais que... ben disons le clairement il n'y a pas grand-chose dedans... On passe le premier morceau à attacher sa ceinture en attente du décollage vers la dimension intersidérale promise par l'entame et puis en définitive on reste scotché au siège, les réacteurs refusant obstinément de s'allumer. Traduction : la musique d'Apostasia est encore au stade primal. Les promesses d'idées excitantes se bousculent au portillon, mais aucune ne se concrétise. Tout est trop simple et réfractaire à la folie, tout nous ramène à la raison : " Martyrs of God " n'est en fait bel et bien que le baptème là où l'on voudrait déjà l'explosion de grâces, la maturité souveraine. Les guitares se contentent de nettoyer la route de manière syndicale et la batterie assène de long en large des chocs aussi millimétrés et exacts qu'une interminable rangée de lampadaires sur l'autoroute, qui se dressent comme une barrière empêchant de se concentrer pleinement sur le reste. Quant au fameux côté orchestral qui a sauvé bien des albums à la réalisation autrement plus sinistrée que ce " Martyrs of God ", il est beaucoup trop neutre et détaché, sans passion, et sans nuances. On prospecte sans résultat pour trouver des points de repère mélodiques, et une fois l'effet imposant des deux-trois premiers morceaux atténué, le reste de l'album plonge dans une sorte de léthargie lisse et définitivement vide de prouesses. Des prouesses, ce n'est d'ailleurs pas ce qu'on demandera à Apostasia à l'avenir, simplement de conserver, voire améliorer, cette ligne directrice prometteuse et de profiter de leurs acquis professionnels pour donner vie à leur musique, l'inspirer, la parer de fresques prosélytiques, peu importe qu'elles soient sombres ou chatoyantes. Des groupes comme Limbonic Art ou plus récemment les excellentissimes Ephel Duath ont démontré que l'on peut faire de grandes choses avec une vision toute neuve du black metal et ce même penchant cybernétique, pour peu qu'on ait des choses à dire et qu'on ne pose aucune restriction à ses appêtits. Les gars, vous avez les armes en main et le terrain est tout dégagé devant vous : chargez !!!


Rédigé par : Uriel | 11/20 | Nb de lectures : 7645