Je ne sais honnêtement pas comment prendre un disque pareil. Depuis quelques années, les Finlandais d’Apocalyptica ont soigné leur pedigree en effectuant des reprises de Metallica, puis Slayer et autres, uniquement au violoncelle. Dorénavant, pour les besoins de leurs propres compositions, voilà qu’ils s’adjoignent les services d’un ensemble métallique. Le monde à l’envers, quoi… Les vocaux étant gardés absents, il va de soi que la responsabilité d’imprimer un visage à la musique va reposer sur les épaules des violoncelles. Or, étant donné que ces derniers se limitent par essence à une voix d’accompagnement harmonique, il est manifeste qu’il manque quelque chose pour que le chantier soit achevé. Pourtant tout est fait afin de placer l’instrument classique au centre des préoccupations. L’attirail metal est cantonné dans un dénuement basique qui ferait franchement peur chez n’importe quel autre groupe, même de power metal minimaliste. D’ailleurs la résultante est que le sempiternel grattage de cordes horizontal et les tempos binaires à réplétion finissent rapidement par lasser leur monde. On voit très clairement où Apocalyptica ont voulu en venir : produire des hymnes engageants et accessibles destinés à convertir un public rodé au coriace au son un peu plus suave des accents orchestraux authentiques. La tentative est louable mais rate son propos de plusieurs encablures. Le côté métallique de « Reflections » est, comme on l’a vu, dérisoire. Quant à l’emploi du violoncelle, certes chevronné (on a affaire à des clients de conservatoire), il risque d’induire en erreur le profane qui va vouloir s’en servir de base de référence pour aborder la musique classique. Les motifs mélodiques sont courts (une douzaine de notes au plus), plutôt élémentaires (de structure linéaire) et présentés en boucles d’unisson, c’est à dire que, à de rares et pas trop voyantes exceptions près, les trois violoncelles jouent la même partition en même temps. Ce que le groupe obtient par là est un effet de première intention massif qui a le « mérite » de ne pas trop disperser la concentration en supprimant le contrepoint. Ce schéma se réitère d’un morceau à l’autre, parfois (mais trop peu) entrecoupé par un break planant, un discret filigrane plus complexe où transparaît timidement une qualité de composition idiosyncrasique, et suppléé par une variation ou autre pirouette aléatoire en guise de mouvement final. On a même droit à la ballade mielleuse de service (« Faraway ») sur une trame larmoyante au possible que ne renierait pas le consortium des H.I.M., To/Die/For & Co. Cette forme peu entreprenante offre pour ainsi dire très peu de relief à la musique. « Reflections » peine à garder les sens en éveil et au fil des écoutes glisse de plus en plus vite et de plus en plus profondément dans la peau du sympathique fond sonore pour rythmer sa séance d’abdominaux ou une partie de scrabble. Mais allons bon, voilà que je deviens méchant…
Apocalyptica sauvent leur tête en fin d’album grâce à trois titres où ils font preuve soit d’une audace rafraîchissante dans le maniement hyperactif de l’archet (« Pandaemonium », « Toreador II »), soit d’un certain brio – dont personnellement je ne m’étonne pas du tout – dans l’écriture de pièces acoustiques étagées et simplement belles, enfin dignes de l’étiquette de « compositions » (« Epilogue (Relief) »). Il est facile de comprendre le pourquoi du positionnement de ces trois titres en queue d’album : les envoyer en tête de ligne n’eut définitivement pas été le plus sûr moyen d’appâter la foule dans l’entonnoir superficiel d’un groupe qui, finalement, est parfaitement à sa place dans le paysage MTV.
Jusqu’à preuve du contraire le metal dit « symphonique » se résume pour moi à des groupes scrupuleux et respectueux des contextes instrumentaux et historiques, comme Haggard, Dunwich et, à l’extrême rigueur, Therion, même si Christopher Jonnsson a sa petite ardoise de libertés et d’anachronismes. Même si les musiciens d’Apocalyptica sont des autorités en matière de violoncelle, je ne considère pas « Reflections » comme une pierre de plus dans l’édifice encore claudiquant qui tente de resserrer le gouffre entre metal et musique classique – entre nous je pars du principe que c’est de toute façon purement utopique.
En fait Apocalyptica sont un peu au metal ce qu’André Rieu est à la musique classique. Ce n’est pas foncièrement médiocre, loin de là, c’est juste du gentil récital pré-consommé, sans prise de risque aucune, pour un auditoire pas éxagérément exigeant sur la forme dans la prospection de sa pitance musicale – ce qui doit représenter un chiffre de vente substantiel, nul besoin d’en douter. Il paraît que Dave Lombardo joue sur certains morceaux, ce qui me semble quand même un brin surréaliste vu qu’aucune partie de batterie ne pourrait être assumée par n’importe quel gusse ayant ses premières gammes derrière lui. Les arcanes du copinage dans l’arène des puissants, j’imagine…
Je vois déjà s’amonceler aux quatre coins de la presse écrite et du web les chroniques élogieuses, et m’apprête à voir mon article inondé de crachats que j’espère dans la limite de la courtoisie. Peu importe, le principal avec un album comme celui-ci est de savoir si l'on se situe par principe côté pour ou côté contre, ce qui étant donné le facteur surprises inexistant élucidera par avance la décision d'un achat ou non.



Rédigé par : Uriel | 10/20 | Nb de lectures : 8420