Je suis venu sans rien, je repartirai de même…


Il y a des œuvres comme ça que l’on n’oubliera pas de sitôt. Des albums qui tombent à des moments-clés de l’existence. Et l’on aura beau faire, il sera difficile de garder la sereine objectivité nécessaire à l’appréhension de ce qui nous ait proposé. Non, les évènements externes n’auront de cesse de parasiter l’auditeur méticuleux. C’est donc dans un contexte bien particulier que je découvris le second album de ces mystérieux Bataves qui avaient réussi au bout d’une seule tentative à faire flancher toutes mes citadelles de granit. Ce premier acte était un formidable voyage poignant combinant habilement le Black atmosphérique de NAE’BLIS et des influences de l’élégante scène anglaise du début des années 90. Il s’agissait d’une somptueuse élégie triste qui n’avait eu de cesse de hanter mon esprit. C’est donc avec ferveur et excitation que j’attendais ce nouveau chapitre.

A l’instar de l’illustration, ce nouveau voyage s’apparente à cet envol de corbeaux dans l’immensité d’un ciel hivernal et laiteux. Il est curieux d’intituler cet album "Everything" alors que la musique se fait encore plus éthérée, aérienne et épurée. L’album passe comme la caresse d’une brise légère. Il y a une impression de fluidité et de limpidité. Pourtant, si l’on se prend à scruter plus profondément ce paysage blafard, on s’aperçoit que sous l’apparence de la simplicité et du dénuement se cache une vraie complexité. En dépit de leur relativement courte durée, les morceaux arborent de multiples nuances jouant aussi bien sur les alternances rythmiques, mélodiques et d’ambiances. La batterie aime se perdre dans les contretemps, la basse, toujours aussi en avant donnant cette légère touche New/Cold Wave, propose de somptueuses lignes mélodiques et le clavier vient illuminer l’ensemble de son timbre cristallin. D’ailleurs, il apparaît que ce dernier se fond plus harmonieusement encore que sur le précédent opus et distille quelques trames étranges et modernes provoquant quelques vertiges dans cette osmose harmonique.

La guitare demeure ce brouillard bourdonnant et cafardeux et bien que quelques lignes en voix claires fassent leur apparition, les vocaux restent ce râle dépressif et misérable. Le groupe demeure donc d’une certaine manière ancré dans une certaine idée du Black. En revanche, les effluves de Doom ont complètement disparu pour laisser place à une orientation plus nettement Post-Rock/Shoegaze, comme si une luminosité froide s’était abattue sur la sombre mélancolie du premier album. Le plaisir est grand de retrouver ses accélérations élégiaques où les guitares coursent le clavier pour mieux vous irradier l’échine tout en vous nouant les quelques sanglots essayant de vainement s’extraire de votre gorge.

Encore une fois et comme le précédent ce nouvel acte a énormément tourné dans mes oreilles. Mais tentons de prendre un peu de recul, redescendons sur terre et retrouvons un zeste de lucidité. Certes les compositions sont plus matures, plus affinées mais une légère sensation de redondance vient s’installer alors que ce n’était pas le cas sur le précédent. Ensuite, l’effet de surprise s’est évaporé dans cette blancheur immaculée. L’évolution est bien présente mais le choc est moins grand que précédemment.

Maintenant, je suis probablement la personne la moins à même pour évoquer ce disque qui réussit en toutes occasions à faire verser une larme à la vieille caillasse que je suis. Il n’est jamais bon de devoir jauger une chose avec laquelle on a tissé une si forte intimité. Le jugement est à jamais faussé soit, mais la réalité demeure et il faut bien admettre que l’architecture possède la fine délicatesse de la dentelle et l’élégance du désespoir. Faites comme vous voulez… moi je plonge pour la énième fois dans cette tristesse solaire afin de me réchauffer auprès de cette fragile vibration.

We all fall… et c’est sans fin…


Rédigé par : Dark Rabbit | 16,5/20 | Nb de lectures : 12708