On le sait, ANVIL revient de loin. De très loin même. Portés par l’excellent documentaire que Sasha Gervasi leur a consacré en 2008, les indéboulonnables Canadiens jouissent aujourd’hui d’une reconnaissance qu’eux-mêmes n’osaient plus espérer. Et pourtant ! L’intérêt que suscitent actuellement Lips & co. aux quatre coins du globe est on ne peut plus mérité au regard d’une carrière exemplaire en tous points. Car, si le groupe n’a jamais décroché la timbale en trente ans de carrière, il n’en demeure pas moins un incontournable du heavy metal dont bien des formations se sont inspirées. Et si "Metal On Metal" (1982) et "Forged In Fire" (1983) sont régulièrement présentés comme des classiques du genre, la discographie de l’Enclume est loin de se résumer à ces deux albums majeurs. Modèles de persévérance, les galériens d’ANVIL savourent donc aujourd’hui un succès qui leur fut longtemps promis, sans jamais venir.

C’est un fait, la musique des Canadiens n’a que peu évolué au fil des décennies. Ce n’est pas le style de la maison, à vrai dire. Inutile, donc, de souligner que "Juggernaut Of Justice" s’inscrit dans la droite lignée de ses prédécesseurs. En d’autres termes, un régal pour les amateurs de heavy à tendance speed, un cauchemar pour les crédules qui pensaient que le groupe adoucirait son propos du fait de sa nouvelle popularité. "This Is Thirteen" (2007) était déjà une franche réussite, mais ce quatorzième opus studio va plus loin encore et nous présente une formation au top de sa forme, sans doute revigorée par la récente tournure des évènements.

Chris Tsangarides n’ayant pas été reconduit, "Juggernaut Of Justice" a été enregistré au studio 606 de Dave Grohl et produit par Bob Marlette (BLACK SABBATH, ALICE COOPER, MARILYN MANSON etc.), loin d’être un illustre inconnu. Autant vous dire que le son de ce disque est en béton armé et qu’ANVIL dispose enfin d’une production à la hauteur de ses espérances ! Insensible aux modes et au temps, réfractaire à toute notion d’évolution, la musique du groupe est solidement ancrée dans les 80’s. Du ravageur « When Hell Breaks Loose » (avec un Robb Reiner en feu) au puissant « New Orleans Voo Doo » en passant par le morceau-titre et son refrain accrocheur, les compositions ne souffrent d’aucune faiblesse. Privilégiant les titres speed, comme « On Fire », sorte de « Burn » (DEEP PURPLE) survitaminé, ou « Turn It Up », le trio décélère le tempo à intervalles réguliers : à ce petit jeu-là, c’est le quasi-doom « Paranormal » qui s’impose haut la main. L’instrumental « Swing Thing », qui clôture l’album, voit même les sympathiques Canadiens flirter avec le jazz pour un résultat plus que réussi!

Dans son plus pur style anti-académique, le chant de Lips reste diablement efficace et constitue évidemment une part essentielle de l’identité d’ANVIL. Le bougre, également en charge de toutes les parties de guitare, assure avec brio son rôle de riffeur en chef et se permet même de placer quelques soli de grande classe. Derrière lui, Robb Reiner s’impose encore et toujours comme l’un des meilleurs batteurs du circuit tandis que le fidèle Glenn Five n’est aucunement réduit à faire de la figuration (il pousse même la chansonnette sur « This Ride »).

En repensant aux propos tenus par sa majesté Lemmy dans le documentaire The Story Of Anvil, on se dit que les Canadiens sont peut-être enfin aujourd’hui « au bon endroit, au bon moment ». Fort d’un quatorzième opus de grande qualité, ANVIL peut voir l’avenir avec sérénité. Quoi de plus normal pour un groupe qui n’a jamais démérité, contre vents et marées ? Contrairement aux idées reçues, il semblerait donc bel et bien exister une justice en ce bas-monde.


Rédigé par : up the irons | 16.5/20 | Nb de lectures : 14219