A ce stade de leur carrière, on en n'est plus à attendre les Suédois au tournant. Après une discographie presque parfaite et allant crescendo dans la qualité, ils nous ont montré une telle marge de progression qu’il est difficile de ne plus les prendre au sérieux.

C’est vrai qu’en signant pour un label possédant un catalogue aussi hétéroclite (Alain Chamfort, Tears For Fears, Paul Personne, Eskobar ou The Christians) le groupe peut surprendre voire inquiéter.
Et on a envie de s’écrier - tel Géronte à Scapin - « Mais que diable allait-t-il donc faire dans cette galère ? » La présence massive et majoritaire de formations estampillées pop, blues ou variété (même de classe) ne risque-t-elle pas de brouiller le message ?
Que nenni réponds-je ! La preuve, XIII Bis a également signé Heavenly, Adagio, Pretty Maids, Suicidal Tendancies, Das Ich ou Bauhaus. Ouf, l’honneur est sauf !

Chaque album étant sortis sur des labels différents - NTS, CenturyMedia et Replica dans l’ordre- on en déduit qu’Andromeda cherche encore désespérément le refuge idéal pour son épanouissement personnel. On lui souhaite vivement de le trouver peu persuadé toutefois que XIII Bis soit celui-là en terme de distribution et de promo. On verra bien…
Dans tous les cas, ce changement de crémerie n’a aucune espèce d’influence sur la qualité intrinsèque de ce 4ème album. Andromeda poursuit sa marche en avant, fière et décidée et prêt à en découdre avec ceux qui oseraient encore douter de lui en ne lui accordant pas le rang qu’il mérite. Et les choses peuvent se précipiter avec "The Immunity Zone", j’en prends le pari.

Le quintet suédois est une vraie curiosité de la scène métal prog. Constitué de musiciens dont la plupart sont engagés dans des projets annexes, il forme une communauté véritablement compacte et soudée lorsque vient l’heure de réunir ses forces. Et il a pour caractéristique de proposer quelque chose qui ne ressemble en rien aux références du genre, qu’elles soient scandinaves (POS) ou américaines (D.T). Ou alors, il les a à ce point sublimées qu’elles n’ont sont que meilleures.
C’est encore et toujours le cas avec "The Immunity Zone" qui bénéficie d’un artwork très explicite quant au concept de l’album. Concept très engagé que l’on pourrait résumer ainsi : Dans ce monde en proie à tous les dangers, subsistent encore des zones protégées ou immunes. A nous de les pérenniser. Et Andromeda n’y va pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer en termes choisis les écarts du fameux « complexe militaro-industriel » coupable de tous les maux qui nous accablent. Comme le fit en son temps Dwight Eisenhower lors d’un discours resté célèbre. Un extrait de ce discours sert d’intro au livret.

En tout cas, Andromeda ne nous protège pas de sa fougue, de sa puissance et de son audace. Il nous envoie à la gueule 9 compos des plus chiadées dont une, la dernière - "Veil Of Illumination" – dépasse les 17 minutes.
Si le fond n’a pas changé, le groupe est monté d’un cran dans la forme et tous les curseurs ont été poussés à fond. Le résultat s’en trouve bien plus abouti et mature que jamais. Le titre qui ouvre les hostilités – "Recognizing Fate" - n’est pas de nature à faciliter la tâche des néophytes. Tordu de chez tordu !

Par contre, le second, "Slaves of a Plethora Season" (5min35) remplira tous les trous que le précédent aura fait à leur cerveau. Riffs béton, refrain imparable qu’on a envie de faire sien et d’hurler à la face d’un monde aussi amorphe qu’amnésique. A n’en pas douter, il figurera à la demande générale au menu du prochain concert des Suédois. C’est un hymne à lui tout seul !
Je vous l’ai dit, tous les titres transpirent la dénonciation d’un système devenu dingue à force d’excès en tous genres. En témoignent les titres au nom sans équivoque : "Ghost On Retinas" ou comment se cacher la vue pour ne pas voir l’implacable vérité en face, "Censoring Truth" qui parle de lui-même. Ou bien encore "Worst Enemy" qui nous explique que le danger ne vient pas toujours des autres.

Bref, le quintet suédois a sorti l’artillerie lourde tant au niveau de la musique que des textes. Et ça fait du bien de parcourir des lyrics qui parlent d’autre chose que de dragons en panne de gaz ou de « king warrior » se plaignant de voir rouiller prématurément leurs épées.

Attardons-nous quelques secondes sur "Veil of Illumination" qui est à ce jour le titre le plus long jamais composé par Andromeda.
Il est aussi clairement ce qu’ils ont écrit de plus élaboré et dire cela ne tient pas uniquement du réflexe Pavlovien du genre « plus c’est long, plus c’est bon », non ! Ce titre est une vraie réussite à bien des égards ; épique à souhait, sans longueur ni lourdeur, sans remplissage frivole, bon équilibre entre breaks et rebondissements intelligents pour tenir en haleine jusqu’à son terme. Il navigue avec aisance entre phases symphoniques, fulgurances dodécaphoniques véritablement jouissives aux frontières de l’avant-garde et plages jazz rock musclées. Il est de la classe des suites mémorables qui peuvent faire pâlir les plus aguerris.

Reinholdz et sa bande sont tantôt des artisans appliqués, des orfèvres de mécaniques précieuses et parfaitement huilées, tantôt des saltimbanques foutraques, des apprentis sorciers concoctant une alchimie qui leur échappe. Ils savent accorder tous les effets de leurs instruments à une ébouriffante maîtrise technique - sans cabotinage - pour nous mystifier et donner à ce monument toute sa dimension homérique. Et le groupe détient en la personne de David Fremberg, le vocaliste qu’il fallait pour exprimer la puissance de son propos. C’est un morceau et un album qui feront date. Tout est maintenant en place pour installer durablement Andromeda parmi les grands.


Rédigé par : Karadok | 19/20 | Nb de lectures : 14039