Etant donné que VS Papy croit qu'il n'existe pas de productions musicales postérieures à 1986, qu'Alice in Chains ne compte pas dans ses rangs de blondasse à gros faux seins qui pourrait passionner Shaka et que Foofur ne donne plus signe de vie depuis cette opération pour changer de sexe qui lui a permis de trouver du travail au Lido, elle était mal partie pour voir le jour cette chronique. Qu'à cela ne tienne, votre serviteur a rangé son attirail de guerre pour aborder enfin un album très attendu par les trentenaires. Et vous aurez eu le temps de le digérer depuis sa sortie pour venir poster des commentaires pleins d'intérêt, j'en suis certain.

Alice in Chains représente énormément dans ma culture rock. Si, comme beaucoup, j'ai découvert le dénommé grunge lorsque Nirvana a planté son "Smells like Teen Spirit" dans les charts télévisés français, ma courte immersion dans la scène dite de Seattle m'a surtout permis de mettre la patte sur la bande la plus metal du lot, celle de Cantrell. Loin du dépouillement prôné par Cobain, Alice in Chains n'en transpire pas moins le mal-être et une longue descente vers un spleen destructeur. Descente qui aura finalement eu raison de Layne Staley en 2002, provoquant un split du groupe latent depuis des années. Et quelle discographie ils nous ont laissée avant de s'éteindre! L'esprit du groupe a continué de hanter les bacs avec les deux albums solo de Cantrell, notamment un Degradation Trip absolument dantesque. Assurément cet hommage à l'ami overdosé est l'album le plus noir qu'il m'ait été donné d'écouter dans le genre.

Avec un tel passif, le retour de la petite enchaînée n'était donc pas gagné d'avance. Dès 2005, le groupe continue pourtant de hanter les festoches et divers concerts sans donner l'impression de prendre le chemin du studio. Si James Hetfield (Megadeth), Phil Anselmo (Damageplan) ou Billy Corgan (Garbage) se font plaisir derrière le micro, c'est finalement William DuVall (Comes with the Fall (pour lui c'est le vrai groupe)) qui s'en empare. Et si le grain nasillard de Staley peut manquer, il n'y aucune erreur de casting. Il faut ensuite attendre 2008 pour que l'annonce d'un nouvel album apparaisse dans les news, treize ans après l'éponyme Alice in Chains. Ca ne nous rajeunit pas.

Et que dire de ce noir qui donne le blues? Alice in Chains propose un album riche, qui papillonne et varie les ambiances, entre triste mélancolie et l'abîme de la dépression. Le premier titre sonne à mes oreilles comme un "Back in Black" pour le groupe, par son texte d'abord et puis par cette lente introduction glauque vers l'opus. Si je n'espérais pas de hit comme "Rooster" ou "Angry Chair", ma surprise fut d'autant plus grande de siffloter des jours durant le refrain de "Check my Brain", un titre qui démontre encore les enchaînements formidables que peut pondre Cantrell. Et le bonhomme va encore se sublimer avec le très metal "Looking in View", une bombe dévastatrice dont le refrain sur trois thèmes qui tranche parfaitement avec la rigueur du couplet est un modèle de composition sublissime. Les deux titres auront eu l'honneur d'un single chacun avant la sortie de l'opus, preuve de leur potentiel.

Si l'efficacité est là, au travers de titres ronflants très typiques comme "Lesson Learned" ou de morceaux plus déprimants comme "Take Her Out", Alice in Chains n'en oublie pas de faire vibrer votre petit cœur de pucelle. "Your Decision" devrait faire larmoyer plus d'un gros dur par ses mélodies gratouillées servies par des voix fragiles et mélodieuses. Bon, c'était un peu facile de la sortir en troisième single pour faire craquer la ménagère, mais on ne va pas leur reprocher ça. Mon seul bémol viendra peut-être de "When the Sun Rose Again", une compo feu de camp à percussions moins accrocheuse à mon goût, qui sonne plutôt comme un interlude coincé entre deux gros morceaux ("A Looking in View" et le poison lent de "Acid Bubble"). Le groupe ne se gênera pas pour nous abandonner, complètement shootés au bonheur, au bout de 54 minutes sur un "Black Gives Way to Blue" mélancolique à souhait.

Preuve que l'album n'est pas parfait, je signale la présence d'Elton John au piano sur l'outro "Black Gives Way to Blue". La souffleuse de chandelle gratifie d'ailleurs les acheteurs de l'album sur iTunes d'un mix de ce même titre (si c'est pas un argument pour acheter du numérique!). Côté production, c'est juste parfait. Les voix sont superbes, portées par une instrumentation qui démonte tout. La puissance de la guitare électrique est à souligner. L'album a été enregistré fin 2008-début 2009 et on peut saluer le travail de Nick Raskulinecz (Foo Fighters, Rush, Stone Sour, Trivium, entre autres).

Si Alice in Chains enchaîne des titres extra-terrestres avec une facilité déconcertante, il reste toujours à la fin de l'écoute, tout au fond du cortex, cette boue gluante qui colle aux pieds, cette facette sombre dont on ne parvient pas à se détacher. Les pistes s'écoulent comme du sang noir et poisseux qui laissera des traces bien après qu'on ait frotté. Et si Alice in Chains nous rattrape toujours au dernier moment avec une mélodie qui vaut le coup de vivre encore un peu, le groupe ne se prive à aucun moment de nous pousser un peu plus au bord du précipice. Un moment de contemplation étrange qui nous détache de la réalité. Un album rare, qui colle à la peau. Il y a dix-huit ans, je pensais que Cantrell était un dieu vivant et mon avis n'a pas franchement évolué sur ce point.


Rédigé par : Prince de Lu | 18/20 | Nb de lectures : 14816