Nous les avions découverts en 2004 avec leur premier MCD « Equilibrium », chroniqué par Loufi, qui avait déjà à l'époque perçu le grand talent qui émanait de cette autoproduction. Malgré les sept années qui se sont écoulées depuis (six si on considère que l'enregistrement a eu lieu en 2010), les AGNOSYS n'ont pas changé de formule, ne se sont pas mués en combo Crabcore, Djent ou Post Black pour tenter de coller à l'une des modes du moment. Ils sont restés les mêmes techniciens insaisissables, auteurs de compos à tiroir dont on ne voit jamais le bout sans qu'elles nous perdent pour autant. « Alterations » est une de ses pièces exceptionnelles que nous n'avons que trop peu l'occasion d'entendre et de savourer, un album qu'on ne doit pas chercher à apprivoiser mais qu'on doit accepter de visiter à l'aveugle, sans repères, en laissant les morceaux être les guides de ce voyage.

Un voyage ? Où ça ? C'est où qu'on prend les tickets ? Y a des réducs ?
Le voyage, vous devez déjà vous en douter si vous avez pris le temps de regarder l'illustration de l'album, ne sera pas au Pays de Candy mais plutôt dans des contrées où il ne fait pas bon être seul, où la déchéance, quelle qu'elle soit, guette tous ceux qui s'y aventurent. Pourtant, l'agression a beau être presque omniprésente à mesure que se révèlent ces altérations, on ne se sent jamais menacé. AGNOSYS n'est en effet pas le seul groupe à chevaucher tant de styles qu'il en est inclassable, mais il est l'un des rares à pouvoir passer d'un couple trémolo/blast Black Metal à un passage calme à la ANATHEMA/PORCUPINE TREE sans perdre en cohérence. C'est à la fois un groupe de Death, de Black, de Prog, parfois même de Thrash, voire de Heavy avec une préférence manifeste pour les vocaux extrêmes sans s'interdire quelques chants clairs bien placés. Un de ces groupes qu'il est quasi impossible de ranger dans une case particulière, sinon celle des « Groupes à part », qu'on aimera, détestera ou auxquels on restera insensible pour probablement les mêmes raisons.

« Alterations » est constitué de morceaux longs, entre six et huit minutes, dont un en français, « Le Lac » qui sonne comme un morceau lent de MISANTHROPE sur lequel SAS de L'Argilière aurait troqué ses pleurnichements grinçants pour un chant rauque moins théâtral et aurait laissé la plume à Lamartine. Contre toute attente, et sans être fabuleux, ce morceau s'intègre bien dans l'album, constitué pour le reste de textes en anglais. Le son d'AGNOSYS est une des composantes les plus importantes de l'album, et peut d'ailleurs dérouter au premier contact car plus adapté, avec ses guitares rythmiques velues et crues, à un groupe de Thrash old school. Même chose pour ce qui est du son clair des guitares et des solos, chaud et mélodieux, évoquant (invoquant?) MAIDEN ou ARCTURUS et tranchant avec l'atmosphère poisseuse du disque. C'est pourtant ce mélange, comme les brusques basculements entre brutalité et douceur qui lui donne toute sa saveur, comme il la donne à un OPETH par exemple. On peut effectivement penser aux Suédois à l'écoute de l'album, desquels AGNOSYS se rapproche par sa maîtrise bluffante de tous les styles qu'il aborde, ou encore à d'autres Suédois, EDGE OF SANITY, pour les mêmes raisons. Souvent très bourrin, que ce soit sur le terrain du Death Metal ou sur celui du Black, qui nous ramène parfois à DISSECTION, « Alterations » est également un disque noir, beaucoup plus que ses influences, qui prend souvent à contre-pied mais n'éteint jamais la torche.

On passe ainsi les premières écoutes à tenter de suivre le groupe dans un dédale de blasts, passages thrash, death, black pauses prog ou quasi rock, sans jamais le perdre, grâce en partie à la voix de Nico dont la performance est ici remarquable puisqu'il a assuré tous les types de chant et qu'il s'en titre avec brio ! Ses growls sont aussi profonds que ses hurlements sont haineux et son chant clair peut se faire murmure pour quelques mots susurrés qui à nouveaux peuvent faire penser à MISANTHROPE, la grandiloquence en moins. Il a cependant quitté le groupe depuis l'enregistrement, préférant se consacrer à des projets dans lesquels il n'aurait plus à utiliser ses vocaux extrêmes et a été remplacé par Rash, ex-HORRESCO REFERENS. Ceux qui ont déjà assisté à l'un des concerts promotionnels donnés par la formation savent en quoi cela a pu modifier les morceaux, mais l'essentiel reste ce disque dont l'artwork illustre d'ailleurs assez bien les sentiments qu'il ne manquera pas de susciter. Chaque moment lumineux d'« Alterations » possède son pendant sombre et visqueux, chaque passage technique a son double paisible et épuré, AGNOSYS passant des uns aux autres sans cesse avec fluidité. De nombreux morceaux sont en écoute sur les sites communautaires habituels, certainement le meilleur moyen de vous faire une véritable idée du voyage pour lequel vous embarquerez en mettant l'album dans la platine CD.

J'ai bien peur de ne pas avoir été aussi clair que je l'aurais voulu pour décrire l'expérience « Alterations », qui bien que peut-être encore trop marqué par quelques-unes des formations fétiches du groupe, n'en est en rien handicapé pour autant et se pose comme l'une des plus belles réussites de ce second trimestre. Le plaisir d'écoute prend en effet souvent le pas sur l'analyse froide, signe incontestable de la qualité de cet album dont la complexité et la performance technique ne sont jamais un frein aux émotions simples.


Rédigé par : Dungorpat | 16/20 | Nb de lectures : 12821