AGALLOCH - The Mantle (Prophecy/Adipocere) - 18/11/2002 @ 14h28
Inutile de chercher plus loin l'album rêvé pour accompagner en douceur le plongeon dans les rigueurs climatiques de l'Hiver, et desceller ses tiroirs de mélancolie figée, trop longtemps demeurés taciturnes. Depuis que je suis tombé fortuitement sur ce trio américain et leur premier album " Pale Folklore " il y a trois ans de ça, j'ai eu la certitude qu'ils réaliseraient un jour quelque chose d'important, de massif, quelque chose qui laisserait une empreinte indélébile dans le grand grimoire des albums utiles. J'étais pourtant loin de me figurer " The Mantle "... Car si le certes excellent amuse-gueule " Of Stone, Wind, and Pillor ", sorti l'an passé à la même époque, pouvait laisser perplexe sur la direction musicale future d'Haughm et ses compères (allaient-ils se tourner vers du pur folk néoclassique ?), toute hésitation est désormais enterrée : Agalloch ont pris le parti de laisser les guitares bouffer du voltage et de rechercher le meilleur équilibre entre leurs racines extrêmes et le penchant pour les intrigues acoustiques qui leur feront immanquablement épingler le cœur des amoureux de groupes comme Empyrium ou Ulver, voire Opeth.

A l'image du cerf en posture pensive de la pochette, " The Mantle " combine grâce naturelle et puissance musculaire avec une confondante humilité. En accordant un couloir d'expression équivalent à la voix rêche et dure comme l'écorce de chêne des guitares metal et aux fontaines de cristal que pleure la guitare sèche, Agalloch ont prononcé le sésame qui ouvre la caverne aux atmosphères, et légitime d'autant la présence de plusieurs instruments annexes dont la fonction dans les morceaux excède très largement celle du gadget. L'intro simple pose un décor froid et sévère,et on a la vision d'un parc isolé sous un beau ciel gris et d'arbres transis aux branches maladives agitées d'une légère brise glaçante. Une double percussion sourde, et l'on se retrouve emporté dans les griffes du titan " In the Shadow of our Pale Companion ", une offrande qui prend les traits d'une semi-ballade marathon entre dark metal mid-tempo et sérénade acoustique. Le premier durcissement du riffing, au bout d'une minute et demie, réunit les fragments épars de la mélodie initiale devinée jusqu'ici en un moment de grande pureté qui règle le diapason émotionnel pour la suite. Le deuxième introduit ce chant dark typique d'Agalloch, coincé quelque part entre le râle d'agonie et le soupir, porte-parole d'une souffrance et d'une attente si honnêtement retranscrites dans les textes. Une chose frappe, qui est vraie pour la plupart des morceaux de l'album, c'est qu'on a l'impression de progresser en une sorte de ralenti filmique, au rythme d'un doom funéraire sauf que la légèreté de l'habit sonore ne permet pas le rapprochement direct. Agalloch ne hâtent jamais une mesure, ils s'autorisent au contraire tout le temps nécessaire pour paver patiemment le chemin qui traverse les différentes étapes mélodiques et se love en détours par de multiples digressions atmosphériques. En près de quinze minutes, " In the Shadow of our Pale Companion " fait le tour du monde d'Agalloch et met en évidence leur backround folk/rock 70's en valorisant des éléments déterminants que l'on croisera à maintes reprises, comme la réverb', des solos sobres et impassibles, des riffs hivernaux et surtout le bonheur intégral que procure le magnifique chant mélodique d'Haughm. Une voix jeune par ses inflexions mais pourtant sans âge, qui ondoie, comme suspendue à la traîne des nuages. Bien aidé par le travail de production qui en estompe les encoignures, ce chant possède un réel pouvoir hypnotisant, un peu à l'image d'un Edlund sur " A Deeper Kind of Slumber " de Tiamat, et atteint sa plénitude eurythmique lorsqu'il se dédouble pour venir ponctuer les pointes de phrasés.

Suit l'instrumental " Odal " qui peut en fait être qualifié de morceau à part entière où les vocaux ont été jugés superflus. Il s'agit d'une composition centrée sur la guitare acoustique, qui évoque par sa fragilité doublée d'une grande application la création méditative et spontanée d'un musicien resté seul au coin du feu après que tous ses amis aient levé le camp. La séquence de conclusion est laissée à un piano dont le timbre chargé sonne comme si on avait enveloppé les touches d'une épaisse couche de coton. Un morceau favori dans le genre, sans le moindre doute. On enchaîne avec " I am the Wooden Doors ", un archétype pour Agalloch avec une extraordinaire courte partie intermédiaire à deux guitares entremêlées, un morceau dans l'ensemble plus linéaire mais jamais moins excellent que le reste car parfaitement positionné dans le mouvement de l'album. Sur " The Lodge ", un guest pour le moins inattendu nous fait l'honneur de nous gratifier de son jeu de percussions. C'est d'ailleurs le seul guest qui ait droit à sa photo dans le booklet, et en première page s'il vous plaît ! Eh oui, si vous êtes curieux de connaître la sensation que peut provoquer le choc des bois d'un cerf contre l'écorce jeté dans le lit dormant d'un fleuve acoustique baigné de traits de contrebasse débonnaires, " The Lodge " est un argument de plus pour vous convaincre de succomber à Agalloch. Placé en pivot de l'album, c'est en quelque sorte le symbole de l'attachement indéfectible du groupe à une Nature encore vierge de toute exaction urbaine, en même temps qu'il agit comme un creux bienvenu pour reprendre son souffle avant d'attaquer le second versant de l'oeuvre. Celui-ci débute avec une avalanche pour le moins inattendue ; " You Were but a Ghost in my Arms " étant de loin le titre le plus intense de " The Mantle ", toutes proportions gardées bien sûr, et ce malgré son ouverture traditionnelle et la dominance du chant clair. Agalloch en appellent à quelques violences, en particulier un chapelet de blast-beats et des riffs plus tranchants, plus " metal ", qui contrastent bigrement avec la finesse géniale des paroles (" Like snowfall, you cry a silent storm, your tears paint rivers on this oaken wall... "). Puisqu'on en est à causer paroles, je tiens à rendre un hommage appuyé à Haughm, dont la plume est probablement une des plus justes et exaltées de la scène anglophone (avec celle de Mike Akerfeldt). Il est tellement facile de tomber dans le cliché et la redondance lorsque l'on axe son expression sur des sujets aussi courus que l'hiver, le spleen ou la nature... mais lui le fait d'une façon sincère, je ne vois pas quoi dire d'autre, ses métaphores sont vraies et parlent aux sentiments plus qu'elles ne cherchent à les provoquer, sa mélancolie passe dans les veines comme si elle était transfusée en temps réel lorsqu'on absorbe les mots tout en écoutant la musique. OK, on me dira que l'anglais est sa langue maternelle, et que le mérite en est moindre, mais tout de même, je suis en peine de citer beaucoup de paroliers, même Anglais ou Américains, qui m'ont fait vibrer de la sorte à la lecture de leur prose. Parenthèse fermée, revenons à nos moutons et, en l'occurrence, au quatrième et ultime instrumental " The Hawthorne Passage ". Le plus beau, peut-être, car indéniablement celui dont le caractère rejaillit le plus au-delà d'une simple étude d'atmosphère. Il se décompose en deux parties.

La première pourrait remonter à Pink Floyd époque " Atom Heart Mother " avec un son up-to-date ; beaucoup de doigté guitaristique au service d'un feeling trippant omniprésent. Le clapotis bucolique d'une rivière interrompt cet exercice et lance le second visage du morceau, toujours aussi raffiné mais appuyé au bout d'un moment par des arpèges métalliques et des ponts de synthés majestueux pour finir sur un énigmatique sample de discours en langue hispanique... qui se fond immédiatement dans l'entame de " ...And the Great Cold Death of the Earth ". Celui-ci est le titre sélectionné pour être le mp3 officiel de l'album et figurer sur les samplers. On a pas de mal à comprendre pourquoi. Je n'oserais pas dire que c'est l'apogée de " The Mantle ", parce qu'une telle affirmation serait ridiculement dégradante pour le modèle d'unicité qualitative que forme l'album, mais c'est assurément une chanson inoubliable. La rythmique principale est presque trait pour trait identique à celle du " Kneel to the Cross " de Sol Invictus qu'Agalloch avaient repris sur leur dernier mini. Mais plutôt que de simple repompe, on peut parler de réappropriation intelligente, car certains détails rehaussent le pouvoir de cette nonchalante procession de cordes. Notamment le fait que la ligne de basse se retrouve doublée de la contrebasse de Ty Brubaker, qui joue quasi-exactement la même chose, et imprègne de la sorte l'arrière-plan d'une impression de grande ancienneté et de profondeur. Les couplets de chant sont plus touchants que jamais, capitalisant sur des paroles pénétrantes (" Life is a clay urn on the mantle, and I am shattered on the floor... "), et en leur cœur campe une partie originale teintée de folklore cherokee. On quitte le disque de la meilleure des façons qui soient grâce à " Desolation Song ", une complainte minimale où un accordéon et une mandoline font leur apparition et invitent des mélodies douces-amères à travers lesquelles semblent percer un rayon d'espoir. L'espoir, peut-être, de la promesse d'un printemps pour que se ressource à nouveau le réservoir d'inspiration jusqu'à l'hiver prochain. Si je devais pointer du doigt un dysfonctionnement sur " The Mantle ", je ne pourrais penser qu'au manque d'énergie de la batterie lorsque la musique prend un tour pêchu, par exemple sur " You Were but a Ghost in my Arms " dont l'effet souhaité achoppe un peu dans la confusion d'une batterie en filigrane alors qu'elle devrait se poser en avant. Ce sera pour le demi-point qui manque. Mais pour le reste ne croyez surtout pas que la note pharamineuse ne reflète qu'un amour coup-de-tête, ou le fait que j'ai passé facilement cinq heures à écrire cette chronique (pas d'affilée, rassurez-vous). Elle est réfléchie et motivée parce que je sais pertinemment que tous les ans, vers la même époque, lorsque le soleil meurt, que le vent descend du nord et que la terre se couvre de blancs sillons sous le joug du givre, mon esprit se tournera vers " The Mantle " comme vers un hymne empirique, la seule bande son possible pour mon état d'esprit du moment. Alors j'imagine qu'après avoir endormi tout le monde, la meilleure chose à faire est de placarder un bon vieux slogan fédérateur en fin de chronique, alors allons y !

Vous qui trouvez Anathema trop sirupeux (faut en vouloir, mais bon...), vous qui trouvez (old-)Ulver trop black metal (faut en vouloir, mais bon...), vous qui trouvez Opeth trop compliqué (faut en vouloir, mais bon...), vous qui trouvez In the Woods... trop barré (faut en vouloir, mais bon...), vous qui trouvez Katatonia trop monotone (faut en vouloir, mais bon...), vous qui trouvez Pink Floyd trop rétro (faut en vouloir, mais bon...) : je vous laisse trouver la conclusion...


Rédigé par : Uriel | 19.5/20 | Nb de lectures : 12804




Auteur
Commentaire
Kerdrak
Invité
Posté le: 18/11/2002 à 17h49 - (1423)
Maitrisant l'album du début à la fin Agalloch recoit tous les honneurs qu'il mérite. Un album parsemé de vision hivernal ou le groupe nous laisse voyager dans ce reve rempli d'emotion. Les paroles sont tres significatives sur leur musique, une manière de penser de notre vie...

Oui
Invité
Posté le: 18/11/2002 à 17h49 - (1424)
Elle est belle ta kro

S
Invité
Posté le: 18/11/2002 à 22h37 - (1425)
putain, j'arrive pas a tout lire, Y en a trop!!!! manque un lien vers un sit esi y en a un, et un lien vers un mp3. a moins que ce soit dans ce que j ai pas lu.
C est frustrant une chronique comme ca si on ecoute pas en meme temps.


Uriel
Invité
Posté le: 19/11/2002 à 08h48 - (1427)
www.theendrecords.com

Tu y trouveras lien vers le site du groupe + mp3.

dark tranquillou
Invité
Posté le: 23/11/2002 à 17h45 - (1451)
Cher uriel, tu avais mis 20/20 au dernier empyrium qui est actuellement l'album qui me sert à rentrer dans l'hiver. Dois-je le mettre de côté pour me plonger dans l'album d'agalloch? Maintiens-tu le 19.5 ou augmentes-tu la note de ce dernier pour que les deux n'aient pas à souffrir de la comparaison? Et enfin, avec le recul, as-tu changé d'avis sur le green carnation?

Uriel
Invité
Posté le: 25/11/2002 à 19h14 - (1463)
:)
Non non, les notes restent en l'état. Comme je le dis dans la chronique le son de batterie demande révision. Mais bon à ce niveau là la notion de notation n'est pas loin de devenir superflue.
Pour le Green Carnation, j'ai assez peu eu le loisir (ou envie) de me l'enfiler depuis le temps. Je maintiens que c'est un album marquant dans sa réalisation et son ambition qui lie entre eux avec cohérence une variété de styles. Mais en gagnant ses galons de grand architecte, Tchort a à mon goût un peu trop négligé l'aventure pure et dure. L'album ne possède plus ces riffs épidermiques de "Journey to the End of the Night" qui se perdaient dans des puits d'angoisse si bien que les morceaux en définitive rampaient, haletants et fragiles, dans une noirceur épaisse et sans issues. Je trouve "Light of Day..." quelque part trop "clean", c'est vrai. Mais je ne lui dénie aucune des qualités qui lui sont prêtées, encore moins le succès qu'il a légitimement obtenu.

Matt
Invité
Posté le: 24/12/2002 à 15h24 - (1649)
Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhh !!!!!!!
Mais c'est quoi ce groupe??? J'ai découvert Empyrium grâce à tes chroniques dernièrement, et j'adore vraiment le dernier "Weiland". Mais là, ça va trop loin!!! Ils explosent tous ces gas là. La musique est tout simplement ce que j'ai entendu de mieux dans le genre.
Contrairement à Empyrium, ils ont gardés la batterie, les guitares electriques, les vocaux sont ultra diversifiés, c'est un bonheur du début à la fin!
Je suis quand même obligé de remercier Uriel car sans sa chronique, je serais encore une fois passé à côté d'un si bon groupe. Allez, je retourne me l'enfiller encore une fois.

Matt
http://www.lordsofwinter.com

poulpy.le.poulpe.psycopate
Invité
Posté le: 31/12/2002 à 13h17 - (1685)
heu ou ca se trouve un album comme ca?


Joss
Invité
Posté le: 27/10/2003 à 18h02 - (5928)
Découvert en Aout grace à VS...ce disque passe au minimum 1 jour sur deux sur ma chaine. Un bonheur total, de la première à la dernière note. Aucun morceau à jeter, aucune impression de "déjà entendu". Un groupe capable de vous créer une atsmospère en 3 accords de guitare. Certainement un des meilleurs albums de ma discothèque, tous styles confondus.
Merci Uriel pour cette belle découverte.

shadowtiny
Membre enregistré
Posté le: 23/06/2005 à 22h05 - (16652)
Y aurait il une suite de prévu?
Viiiiiiiiiiiiiiiiite!!!!!!.......... Ca urge!!!

(pas que je me lasse de The Mantle, loin de là cette idée)



shadowtiny
Membre enregistré
Posté le: 23/06/2005 à 22h05 - (16653)
Y aurait il une suite de prévu?
Viiiiiiiiiiiiiiiiite!!!!!!.......... Ca urge!!!

(pas que je me lasse de The Mantle, loin de là cette idée)



godmichel
Invité
Posté le: 09/08/2005 à 22h32 - (17900)
pas de chro pour "Pale Folklore" .... c'est bien dommage :) . The mantle est une pure merveille.

langoustator
Membre enregistré
Posté le: 18/11/2005 à 22h44 - (21251)
Ca y est le froid arrive, et encore une fois, The Mantle revient dans ma playlist.

Guillaume1989
Invité
Posté le: 20/05/2006 à 14h48 - (28718)
J'adore cet album. La dernière chansons est d'une beauté incroyable... J'adore, j'adore, j'adore

taranos
Membre enregistré
Posté le: 23/12/2007 à 17h32 - (50795)
Cet album est une pure merveille..
Cela dit, l'aprécier n'est je pense pas donné à tout le monde.. Il est destiné à ceux, comme lui, qui ont l'esprit évasif et qui tiennent aux coté romantique de cet art.. car c'est de l'art!
Les compositions sont variés et offrent un panel d'émotions.. bref un disque inoubliable..
Excellente chronique, au passage.



oz
Membre enregistré
Posté le: 10/07/2008 à 19h10 - (59319)
Excellent album, magnifique, touchant, tout a fait exceptionnel, c'est beau...
Apres un album comme ça impossible de faire mieux pour quiconque ... dans le genre y a pas de comparation



Hystéron-Protéron
Invité
Posté le: 12/07/2008 à 20h06 - (59398)
fantastique groupe, the Mantle et Ashes against the grain sont des chef d'œuvres

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