Trois ans après la révélation « Kali Yuga Bizarre » et un an et demi après la relative déception « Fire Walk With Us », 2003 marque la renaissance d’Aborym sous l’aile protectrice du très sérieux label Code666. « With No Human Intervention » se révèle bel et bien comme une tentative de relancer une carrière jusque là surtout maintenue à flots par la présence vendeuse d’un certain Attila Csihar dans le line-up. Ayant accueilli un nouveau guitariste ainsi que le stakhanoviste Irrumator (Frost, Anaal Nathrakh) à la batterie, Aborym s’affirme de plus en plus comme une addition supranationale de talents et de caractères bien trempés. L’esprit déjà bien décentré des deux premières réalisations s’en trouve poussé encore plus loin, dans un melting-pot apocalyptico-cybernétique fort à la mode qui gravite autour de l’idée de la déshumanisation industriello-virtuelle des sociétés contemporaines. Une vision radicale mais non entuèrement dénuée de lucidité qui débouche sur un contexte volontairement dominé par les sonorités artificielles et le deuil des émotions organiques. On pourrait décrire la musique comme une sorte de black metal génération Pentium, où l’on discerne encore les racines originelles comme un réseau de veines presque invisible courant sous les éléments plus en évidence tels que les vocaux allègrement bidouillés, la batterie chargée au triggage comme un Jean-Claude Van Damme aux stéroïdes bovins, les divertimentos hors-cadre (tels que quelques secondes de musique de cirque dans « Out of Shell » !) ou les prises de pouvoir tyranniques à n’importe quel instant des samples de machines et autres effets sonores générés synthétiquement, ces derniers culminant lors de morceaux entiers sacrifiés à la techno ambient (« Chernobyl Generation »).
La démarche d’Aborym est puissante et subversive (l’idée tentante d’un Satan universel, d’un mal insidieux dont la source ne recule devant aucune avancée technologique), mais parfois contestable d’un point de vue strictement artistique. Contrairement à leurs compatriotes de Thee Maldoror Kollective ou Ephel Duath qui savent plier les avatars électroniques et les emprunts stylistiques les plus insensés dans une optique musicale toujours cogitée au détail, Aborym donnent parfois l’impression gênante de faire joujou avec un attirail trop sophistiqué pour eux, comme s’ils appuyaient sur tous les boutons à la fois et attendaient de voir ce qui va se passer. Il en résulte un arrière-goût de showing-off gratuit, une profusion de fragments qui ne cadrent pas toujours efficacement ensemble, en clair une problématique de l’accumulation au détriment de la cohérence contre laquelle nos cyber-terroristes butent trop régulièrement, ce qui a tendance à déprécier la meilleure partie de leur matériel. Car ils sont pourtant animés par des idées brillantes et certains morceaux sont de véritables petites bombes à fragmentation, comme le long et protéiforme « The Triumph » au final gratiné (surprise…), le pilonnage incroyablement dense de « Faustian Spirit of the Earth » ou le monstrueux laboratoire « Digital Coat Masque » qui inclut un époustouflant interlude mixant une suite de clavecin (Vivaldi ?) derrière une sauce aux ricochets technoïdes grisante. On note aussi une certaine aisance dans les circonstances plus orthodoxes où Aborym déroulent de séduisantes banderoles de synthés sur des transes rythmiques à l’orée du dark metal épique de leurs débuts (« Me(n)tal Striken terror Action 2 » par exemple). Une presque mélancolie qui demeure peut-être malgré tout un ultime relent d’humanité dans ce paysage toxique à l’article de l’auto-destruction par l’excès. Autre petit reproche pour terminer, il me manque un soupçon de continuité supplémentaire d’un titre à l’autre : pas mal de plans prometteurs, tels que certains mini-solos cutanés bien jouissifs ou les vocaux mystiques à la (new-)Mayhem de « U.V. Impaler » sont sous-utilisés – c’est toujours mieux que sur-utilisés vous me direz, mais bon… A l’arrivée donc, un album coup de poing et partiellement génial par un groupe qui sait ce que les termes audace et avant-gardisme veulent dire, mais tout de même un assez net cran en-dessous dans la réalisation que les groupes cités ci-dessus ou que les extra-terrestres polonais de Lux Occulta et leur prodigieuse orgie poly-dimensionnelle « The Mother and the Enemy ».


Rédigé par : Uriel | 13/20 | Nb de lectures : 9322