Avec le projet Malfeitor qui tourne à pleins tubes à nous sortir des albums qui nettoient les oreilles, on pouvait se demander si Aborym allait redonner de ses nouvelles dans les blast beats à venir. Generator date tout de même de 2006, et le projet italo-norvégien ne nous a pas habitués à une telle attente. Et puis, en mars dernier, la nouvelle tombe: "les cocos, on arrive". Cette courte phrase est la synthèse d'un communiqué qui annonçait l'entrée en studio d'Aborym et conjointement le départ de Prime Evil (Mysticum) du poste de hurleur. Avec Aborym, on est toujours en terrain glissant.

C'est donc un trio qui a mis en boîte ce Psychogrotesque au titre perturbant. M. Fabban est évidemment présent, Faust également. Il faut surtout noter l'arrivée de Hell-I0 au poste de gratteux, tripatouilleur de synthé et vocaliste du fond (des backings, quoi). Si je mets l'index sur ce chevelu, également comparse de M. Fabban dans Malfeitor, ce n'est pas par hasard. C'est lui qui a composé Psychogrotesque, pendant que M. Fabban s'occupait du concept et des textes de l'album. C'est également lui qui va faire sortir Aborym du studio Temple of Noise où le groupe a ses habitudes. Direction le Fear No One avec Emiliano Natali, épaulé par Marc Urselli, ingé entre autres pour John Zorn, Lou Reed ou Eric Clapton. Hé ben.

"Hé ben", c'est un peu le truc qu'on peut se dire à l'écoute de ce nouvel album. Malgré le changement de compositeur principal, la patte Aborym est indéniablement présente, et l'auditeur s'englue dans un mélange frappadingue de metal avec des musiques électroniques et autres folies douces. Comme d'habitude, l'assemblage de tout ce bazar est parfaitement réussi. Les plus brutaux noteront une certaine atténuation des parties black metal. Si les blasts sont toujours présents, ils sont plus répartis. Psychogrotesque suit la voie de Generator mais ne se cantonne pas qu'au black et remet plus l'électronique en avant. Alors, est-ce un petit frère de Generator? Pas vraiment.

Generator avait un côté grandiose, de l'artwork à des parties musicales massives et empreintes d'un sentiment de puissance. Psychogrotesque rampe au sol, se nourrissant de la fange. Pour donner un point de comparaison, je dirais que Generator avait un côté Emperor là où Psychogrotesque a un côté Gorgoroth. Et ce côté plus terre-à-terre est bien en cohérence avec le concept de l'album qui nous raconte les visions démentes d'un homme qui se réveille seul dans un asile. Au travers d'un malade qui ne se reconnaît plus dans le miroir, Aborym élabore une allégorie de l'humain perdu dans un monde déviant qui ne correspond plus à sa nature profonde. Tout participe à nous enfoncer dans l'esprit torturé de cet être sur la pochette, dont le parallèle avec Gollum n'est finalement pas si idiot.

Perdu, l'auditeur le sera peut-être aussi. Le démarrage de l'album est finalement peu vindicatif, preuve que les Italiens (et leur pote du Nord) ne cherchent pas à placer un hit en tête de gondole. L'interlude parlé "IV" casse même une dynamique qui venait de se mettre en place avec l'excellent final de "III". On se pose des questions sur la durée de vie d'un tel opus. Et puis, on se prend dans les dents "V" et "VI". Les improvisations de saxo, le mid-tempo en chant clair qui se transforme en sauvagerie totalement décadente, la partie atmosphérique rappelant Ulver qui aboutira finalement à un épilogue opératique. Puis, on se mange le dérangeant et dégoulinant "VII" qui repart du sol pour nous blaster la gueule, avec un riff "à bips" comme je les aime chez Aborym. Un "VII" qui s'offre une transition délirante avec l'interlude techno "VIII" sur lequel on se surprend à hocher la tête. C'est au cœur de l'album qu'on prend réellement le retour de flammes, qui ne vous lâchera que dans les longueurs du titre final "X".

Si Psychogrotesque ne nous suffoque pas de bout en bout, Aborym présente un album très ambitieux et s'est donné les moyens de nous en faire baver. Et quand je vois du coin de l’œil ce type qui m'observe sur la pochette, je ne peux qu'avoir envie de refaire tourner la galette, comme un fumeur en manque de nicotine qui ne peut résister à sa nouvelle dose. Il me manque peut-être juste les textes pour finir de m'immerger complètement dans le travail débridé de qualité encore une fois réalisé par les bruitistes transalpins (et leur pote du Nord). Pas tout à fait net, et même bien dérangé, cet album vous attend, tapi dans l'ombre sous l'escalier.




Rédigé par : Prince de Lu | 16,5/20 | Nb de lectures : 14544