Trois albums en trois ans pour un combo qui a connu tous les problèmes de line-up possibles, c’est pas mal non ? « Certes oui », me direz-vous,
- « Mais ne sacrifie-t-on pas la qualité au profit de la quantité ? »
- « Et quand ces changements de personnel s’accompagnent d’un changement de label, pour l’un des plus gros en Europe qui plus est, censé offrir de nombreuses opportunités mais également souvent demandeur de résultats concrets et rapides, ne peut-on craindre un certain essoufflement dudit combo » ?
A cela, je serais tenté de répondre Oui et Non : Oui parce que « Slaughter & Apparatus », album de transition typique sur lequel le seul rescapé de « The Archaic Abattoir » était Sven, on avait l’impression que le groupe et Sébastien Tuvi (aka BST, tête pensante de BALROG et GENITAL GRINDER et compositeur principal de "S&A") en particulier, ne s’étaient pas encore totalement imprégnés de « l’esprit » ABORTED. Tout au moins de ce que les fans considéraient comme tel et dont « Goremageddon » et « The Archaic Abattoir » avaient posé les bases. Avec ces deux albums, ABORTED s’était éloigné du brutal death à la CANNIBAL des premiers albums et s’était positionné, consciemment ou non, comme le seul héritier digne de ce nom de CARCASS. Les références musicales y étaient pour beaucoup, mais la volonté de proposer quelque chose de nouveau avait son importance, et comme les Anglais en leur temps avec des albums comme « Necroticism » ou le fabuleux « Heartwork », les Belges s’étaient orientés vers un death metal très brutal mais également mélodique, incroyablement accrocheur et pour une fois différent de ce que proposait la scène suédoise. « Slaughter & Apparatus », lui, marquait un certain retour aux sonorités franchement death metal et souffrait d’un manque de morceaux réellement accrocheurs.

L’arrivée de « Strychnine.213 » est ainsi d’autant plus bienvenue qu’elle montre un ABORTED bien loin d’être éreinté que la stabilité (sérénité ?) récemment retrouvée a visiblement totalement libéré! Tellement d’ailleurs qu’il s’autorise des sonorités black metal, une première pour ABORTED dans mon souvenir, dans la superbe intro « Carrion ». D’entrée, on met les points sur les « i » : ce groupe a construit sa renommée sur son refus de se laisser entraver par les règles imposées par un style particulier et il poursuit sur sa lancée, dans une autre direction que celle amorcée avec « The Archaic Abattoir » cependant. Les plans ‘core sont totalement abandonnés au profit de quelques notes suédoises sans, encore une fois, faire penser à un groupe en particulier. La patte ABORTED est en effet facilement reconnaissable malgré le changement de manière de composer, puisque cette fois tout le monde a été impliqué dans le processus de création, et Seb se révèle par la même occasion beaucoup plus à l’aise dans les solos et dans les mélodies que dans les rythmiques qui déboîtent. Ce sont donc ces mélodies qui ont la part belle sur l’album. Ce n’est pas que les riffs et/ou rythmiques soient totalement mauvais, mais ils ne donnent pas le frisson, ils sont presque trop scolaires là où on attend pour un groupe comme ABORTED qu’ils nous démontent la tronche. N’allez pas croire pour autant que le groupe a viré FM, on est encore loin du compte ! Les blasts sont plus que jamais présents et c’est ce contraste entre brutalité exacerbée et douceur qui rend « Strychnine » si particulier et si efficace, mais également plus dur d’accès que les autres peut-être.

Parce que pour la première fois de sa carrière certainement, le groupe sort un album qui s’écoute tout autant qu’il se ressent, un album qui ne dévoilera ses nombreuses subtilités qu’après quelques temps alors que les autres étaient plus directs, plus orientés vers le live en somme. Est-ce le fait que cette fois tout le monde a pu donner son avis et que les soucis de line-up ne sont pas venus entraver le processus, toujours est-il qu’il se dégage quelque chose de particulier, un flot d’émotions voire une tristesse inhabituelle. La prod, qui a ici tendance à tout niveler en dehors des solos, renforce sûrement ce sentiment puisqu’elle met en avant les mélodies de guitares. Choix pertinent de ce point de vue, mais malgré tout regrettable si on s’attend à plus de punch : la caisse claire est parfois difficilement discernable quand Daniel Wilding blaste et les guitares rythmiques sont trop peu agressives à mon goût…

Hormis deux morceaux en fin d’album, « Enterrement Of An Idol » et « Heredity Bane », moins percutants que les autres voire dispensables parce que trop facilement brutaux, il n’y a pas grand-chose à jeter. On y (re)trouve tout ce qu’on aime chez ABORTED même si la recette est différente. Les fans old-school auront peut-être du mal à s’y faire, de même que ceux qui ne jurent que par le parti pris « moderne » de « The Archaic Abattoir » (il leur restera quand même l’artwork bien dégueux), quant aux autres ils seront ravis de retour en grande forme ! Les plus curieux auront certainement remarqué les deux arabesques ajoutées au logo, synonyme à n’en pas douter que le groupe est plus que jamais vivant, motivé, et qu’il ne compte pas s’arrêter là !


Rédigé par : Dungorpat | 16/20 | Nb de lectures : 15328