Impossible de commencer à s'enfiler "The Dead End" sans avoir en tête le fait que plus jamais l'on entendra ces grondements douloureux. Impossible de parler de ce troisième (et dernier?) album d'ABANDON sans aller taper dans les métaphores funèbres, chose ô combien douteuse et déplacée quand on sait que Johan Carlzon, hurleur de la formation suédoise (et des non moins guillerets grindeux de RELEVANT FEW), est tragiquement mort par overdose en décembre dernier. Pourtant, même en mettant l'évènement de côté, le résultat est le même. "The Dead End", pue littéralement la mort. Ces mecs étaient condamnés.

Il leur aura fallu sept ans, contre vents et marées. Sept ans pour peaufiner un digne successeur au monumental "In Reality We Suffer", album qui glanait pépère sa place sur le podium du post/sludge/doom ultra noir. Du NEUROSIS dans sa version la plus âpre et anxiogène, qui n'aurait jamais pris un bain de soleil de sa vie, à grands coups de riffs éplorés et cauchemardesques, joués sur trois cases, qui charrient du dépit par brouettes entières. Autant dire qu'à côté, AMEN RA et OVERMARS, c'est la Compagnie Créole. "The Dead End" reprend exactement le même déprimant mode d'expression que son prédécesseur, à ceci près que les parties guitares semblent encore plus squelettiques et que l'agonie est ici étirée sur 1 heure 45. Là se tient le seul défaut de ce double-album, qui aurait mérité quelques sacrés coups de serpe pour appuyer encore plus là où ça fait mal. Parce que même avec toute la bonne volonté du monde, des pavés totalement instrumentaux comme "The Dead End" ou "Eulogy", respectivement 14 et 19 minutes, se révèlent difficile à s'enquiller. Instrumentaux par choix ou par obligation, on penchera pour la seconde option, Johan Carlzon n'ayant eu le temps de coucher que le gros de ses parties (l'essentiel de "The Dead End" a été enregistré en 2005) avant sa disparition.

Heureusement, pour compenser là où les riffs ont laissé du terrain, le groupe a une nouvelle recrue en la personne de Mehdi Vafaei, qui habille la majeure partie de l'album de nappes d'orgue. Là, ça commence vraiment à ressembler à une foutue procession funéraire. La charge émotionnelle se fait de plus en plus lourde à supporter. Les nerfs lâchent. Dès l'intro "Bitter The Surface" d'ailleurs, avec cet orgue fantômatique qui te colle un putain de bourdon. Et ça continue tout au long de ces 11 titres, avec pour acme des titres comme "Falling Into Place" ou le riff final déprimant à en chialer de "It's All Gone". Enregistré, comme à leur habitude, en conditions live, le son, hyper étouffé, participe pleinement au sentiment d'oppression sans issue qui règne ici. Impression renforcée par les hurlements absolument dégueulasses et profondément dépités de Johan Carlzon, parmi les plus granuleux et flingués qui aient jamais été.

"The Dead End" demeure un cran en dessous de son prédécesseur "In Reality We Suffer", la faute à un gros excès de remplissage. Comme si le groupe avait décidé de caser coûte que coûte tout ce qu'il avait en stock. Mais ABANDON demeure l'un des groupes qui propage son malaise le plus naturellement du monde, rien qu'à la vue de l'artwork, réalisé par Johan Carlzon, t'auras compris que ces mecs étaient pas du genre à courir nus dans les champs de blé. En terme de plombage d'ambiance, "The Dead End" permet aux Suédois d'atteindre une nouvelle fois des sommets. Et ce que ce soit volontaire ou malgré eux.


Rédigé par : Crown_Me | 16/20 | Nb de lectures : 12562