Tout va bien pour vous ? Pas de soucis particuliers, pas de petit bobo qui ne veut pas guérir, d’hémorroïdes douloureuses ou de furoncle mal placé qui vous gâche la vie ? J’en suis fort aise, vous voilà donc paré pour affronter l’univers cauchemardesque d’AABSINTHE avec une réceptivité à la douleur et au désespoir au maximum ! Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, d’un désespoir abyssal stylisé, livré avec une jolie corde à nœud-coulant faite de fil barbelé tressé, souillé du sang et des larmes de douleur de sa créatrice (oui, l’effet est toujours plus dramatique quand c’est une jolie dame qui souffre). N’y voyez cependant aucune allusion négative de ma part, AABSINTHE fait partie de ces rares groupes qui vous foutent le moral dans les chaussettes, vous entraînent irrésistiblement dans leur dépression et vous isolent totalement du monde extérieur, mais dont l’effet est étonnamment cathartique ; comme si de partager pendant cette grosse soixantaine de minutes un profond désespoir évacuait en quelque sorte le vôtre.

Le premier album des Stéphanois « The Loss Of Illusions » avait déjà marqué les esprits et le nom d’OPETH fut immédiatement évoqué, référence incontournable dès qu’un groupe écrit des morceaux de plus de sept minutes mélangeant influences death metal et mélodies tristes. Son deuxième album « In Search Of Light » est la confirmation que tous les espoirs placés en eux étaient on ne peut plus justifiés et que l’impression qu’ils étaient capables d’aller beaucoup plus loin laissée lors d’un inoubliable mini concert acoustique dans un bar de Dijon il y a deux ans était fondée. Ce soir-là, il leur avait fallu de sacrées burnes pour prendre le risque de jouer en acoustique devant un public qui ne les connaissait pas et qui plus est n’était pas métal ! Pourtant, alors que l’expérience aurait facilement pu tourner au pathétique, elle fut quasi spirituelle tant AABSINTHE fut captivant. Il me semble d’ailleurs retrouver dans l’hypnotique « Dead Leaves » quelques notes d’un des titres joués alors, quelque chose de pesant et aérien à la fois, de doux et pourtant incroyablement menaçant, la marque de fabrique du groupe en somme.

Etonnamment, « The Loss Of Illusions » était malgré son titre un album plus « joyeux » que « In Search Of Light » avec ses références au heavy metal classique qui allégeaient en quelque sorte l’ambiance générale. Avec ce deuxième album, c’est tout le contraire : on aperçoit une lueur, très loin devant, mais on sent bien que s’échapper de ces limbes étouffantes ne va pas être aisé. Les notes de piano récurrentes, qui devraient apporter une touche de douceur dans cet univers pesant et obscure, renforcent au contraire le malaise, comme dans ces films nécrophiles allemands des années 80. Le mixage est, à ce titre, très réussi parce que, bien que mettant au premier plan les guitares, très épaisses, il laisse une petite ouverture pour le piano ou le clavier, qui se glissent ainsi dans les interstices et enrichissent les compos de nappes aériennes (« In Search Of Light ») ou dramatiques. Le chant a évolué dans le même sens que la musique, se faisant moins guttural et plus écorché, se rapprochant des formations que cite AABSINTHE en influences, NEUROSIS ou ISIS en tête. On pense également à MESHUGGAH pour l’approche rythmique, mais c’est plus du côté de ces groupes alliant malaise et mélodies dissonantes sur de longues plages dépassant fréquemment les six ou sept minutes qu’il faut aller chercher.

Il n’est pas évident de mettre des mots sur les émotions suscitées par « In Search Of Light », parce que justement c’est un album très viscéral, qu’on ressent plus qu’on ne l’analyse, une virée aux tréfonds du désespoir qui, au contraire d’un MY DYING BRIDE, qui semble se complaire dans une dépression sans fond, évoque un combat qu’on sait perdu d’avance mais qu’on ne peut se résoudre à accepter comme tel. Alors, inlassablement, on rampe, on se traîne dans cette merdasse puante et gluante, on hurle, on pleure, mais on continue d’avancer vers cette lueur aperçue fugitivement, même s’il n’y a rien au bout. Parce qu’on ne peut rien faire d’autre, parce qu’en bas la torture est insupportable et parce qu’aussi longue que soit la route pour toucher le soleil (19 minutes sublimes en fin d’album), il faut continuer sous peine de ne plus pouvoir se relever. AABSINTHE a franchi un cap avec « In Search Of Light », non seulement celui, fatidique, du deuxième album, mais surtout celui de la maturité et on sent le groupe à même d’aller encore plus loin, « A Long Way To Touch The Sun » est là pour en témoigner…

La note reflète autant l’expérience émotionnelle tant bien que mal décrite quelques lignes plus haut que la valeur objective de l’album, n’y voyez donc rien d’autre qu’une torche brandie en direction des Stéphanois afin qu’ils gardent bien le cap et continuent d’avancer sur leur lancée. Rares sont les albums à même de procurer autant d’émotions, alors quand ils parviennent jusqu’à nous et qu’en plus ils sont français, il ne faut surtout pas faire la fine bouche. Eussent-ils été suédois que les AABSINTHE seraient probablement déjà cités un peu partout comme l’un des groupes à suivre du moment, faisons en sorte qu’ils le soient !


Rédigé par : Dungorpat | 18/20 | Nb de lectures : 12986