Groupe à passif, album pas simple à appréhender, beaucoup de choses à dire. Asseyez-vous confortablement, cette chronique va être un peu longue.

Passés de Candlelight à Indie Recordings après le très controversé Revelations of the Black Flame, les Norvégiens de 1349 n'auront pas mis longtemps à proposer un nouvel album. Et un vrai, avec du gros riff dedans! Je ne remettrai pas une pièce dans le débat à la Yattering qui entoure son prédécesseur, mais Demonoir s'annonce bien comme le véritable successeur de Hellfire et la complexité de cet album démontre bien qu'il n'a pas été écrit en cinq minutes entre deux labels.

Demonoir risque toutefois de provoquer une rupture entre les fans des thèmes cataclysmiques des débuts discographiques des pestiférés et une nouvelle frange plus adepte de l'assaut sonore chaotique. Car la bestiole est un album aux structures complexes, qui multiplient changements de riffs, cassage de rythmes et jeu vicieux sur les contretemps et les mesures boiteuses. Un seul constat factuel est possible à la première écoute: les Norvégiens ne sont pas contents du tout. Ensuite, on peut appréhender l'album comme un tout, bourrinant à tout-va, ou on peut décider de pénétrer plus avant dans les compositions mitonnées par ces fadas de l'autoroute à pleine vitesse.

Nous sommes ici très éloignés du 1349 des débuts, qui emmenait son auditeur devant la porte des Enfers à coups de leads apocalyptiques (je n'ose dire "épique" tellement le terme est connoté). L'objectif de l'album n'est plus le voyage, car vous êtes désormais arrivés à destination. Le groupe s'est orienté vers des compositions qui hachent encore plus menu les tympans et les mesures, et qui nous obligent à galoper dans un labyrinthe de riffs oppressants. Dans ce chaos, on pourrait trouver des bribes de Mayhem ou de Deathspell Omega.

Là où Mayhem va désosser ses morceaux laissant divaguer les notes au fil de mesures qu'Hellhammer accompagne au plus près, 1349 base ses riffs sur une toile de fond finalement très stable, un tapis de patterns cataclysmiques déployé par un Frost lancé à pleine vitesse comme une locomotive à vapeur. 1349, c'est le côté dandy du coup de mitraillette protégé derrière un char d'assaut qui avance à pleines chenilles. En tout cas, le point commun est que Mayhem et 1349 ont clairement envie de proposer une musique complexe qui sort des sentiers battus.

Et là où Deathspell Omega pousse le vice du chaos jusque mon indigestion personnelle (justement à cause d'un jeu de batterie aussi déstructuré que le reste), 1349 continue d'exploiter des thèmes mélodiques qui sont certes torturés à outrance, jetés dans un coin pour être remplacés par un autre, puis repris quelques instants plus tard pour être aussitôt re-balancés. Au risque de décevoir certains, 1349 ne propose qu'une évolution du black sur lequel les ayatollahs de l'anti-mélodie crachent un peu trop vite. Si vous découvrez des structures aussi complexes en hurlant au génie, je vous conseille d'écouter un peu de progressif et de constater que 1349 n'invente rien et ne fait "qu'extrémiser" le propos. Et encore, ce n'est pas comme si cela avait déjà été fait (exemple local, vous connaissez les Français d'Asmodée?).

A mon sens, cette envie de nous assommer à grands enchaînements d'accords tarabiscotés est la force et la faiblesse de l'album. La masse de riffs proposés en devient impressionnante, avec des assauts de brutosaure comme des passages de transition. Quand ils débouchent sur un riff mammouth, ces riffs de transition font leur office en nous passant de la pommade avant la suite. Il n'empêche qu'ils sont logiquement moins percutants, jouant souvent un simple rôle de cassure rythmique. 1349 joue avec son auditeur pour l'amener à bander, mais ne peut pas faire bander tout du long, surtout sur 49 minutes (13 titres et 49 minutes, tiens, tiens).

Les thèmes ambient n'ont pas totalement disparus entre les deux derniers opus. Ils servent cette fois d'interludes entre les blastages de face. L'idée m'a convaincu, car ces quelques instants de quiétude permettent de mettre en valeur la violence du bourrinage suivant. Mais il faut avouer que ces thèmes sont aussi excitants que ceux de Revelations... et que ce n'est pas plus mal qu'ils restent courts.

Les Norvégiens clôturent leur album par un titre éponyme traînant et gluant. La comparaison avec Satyricon période Volcano me semble difficile à éviter, tellement certains riffs pourraient avoir été pondus par Satyr. Avant un dernier passage ambient, "Demonoir" termine l'album de belle manière, laissant l'impression que 1349 a réussi à concilier atmosphères noires et lattages de face.

Côté production, Frost est une pièce centrale du dispositif, monumental sur son trône fait de toms et de cymbales. Les guitares sont également bien présentes dans les fréquences medium, apportant un côté hystérique aux riffs. Le seul élément qui me chagrine un peu est le mixage d'une voix assez peu percutante. Ravn s'est manifestement concentré sur le rendu de sa voix et certaines mises en avant (notamment sur des chuintements désagréables dès "Atomic Chapel") me paraissent inutiles.

Puisque j'ai acheté l'édition limitée, abordons maintenant le CD bonus de reprises. Elles sont au nombre de trois, soit un peu plus de 13 minutes de bruit (ils ont raté les 49 secondes ce coup-ci). 1349 entame avec "Rapture" de Morbid Angel. Le son est lourd pour la reprise la plus extrême des trois titres, un morceau où il est difficile de faire de la place à des variations. Hormis la voix de Ravn qui introduit inévitablement un changement, la relecture s'avère respectueuse de l'original, jusqu'aux touchés des solos. 1349 se livre à un exercice de recopie où on se fait plaisir plutôt qu'à une transformation du titre. Le second titre est le dernier du Bonded by Blood d'Exodus. "Strike of the Beast" trouve ici une seconde jeunesse au niveau du son, mais également dans le jeu puisque Frost décalamine une partie de double à la vitesse de la lumière dans le final. C'est con, mais ce simple changement apporte une montée en puissance dans le titre qui devrait faire triper pas mal d'auditeurs. Le CD se termine sur une reprise de "Nerves" de Bauhaus. Etant totalement hermétique au batcave (de peur de me prendre par mégarde un coup de batbite d'un batman bourré au jus de chauve-souris), je n'ai pas poussé le vice jusqu'à écouter l'original. J'ai failli mourir d'ennui dans la première partie du titre, quelque peu rattrapé par quelques accords lâchés sur la fin. Un CD bonus sympathique, mais qui ne mérite pas qu'on débourse trop pour lui. Par contre, la cover alternative est plus sympa à mon goût.

1349 ne peut être la relève du black norvégien, engagé dans une voie que peu pourront suivre. En tout cas, le groupe signe ici un retour fracassant, d'autant plus palpitant qu'il se démarque de la mièvrerie dans laquelle s'est fourvoyée une scène black metal asphyxiée par l'effet de mode. Il n'en restera bientôt que quelques-uns et gageons que les Norvégiens feront partie du lot, accrochés au mât malgré la tempête. Le quintet reprend le chemin d'albums sévèrement burnés et se saisit d'un excitant flambeau, après la daube qu'était Revelations... (ah merde, j'ai craqué en fin de chronique).

Demonoir n'est toutefois pas l'album du siècle. Malgré son intensité, l'opus souffre un peu de quelques remplissages et de redondances qui me font un peu décrocher dans sa partie centrale. La formule extrême adoptée ne souffre pas d'être diluée sur la longueur d'un album sans risque de perdre de son efficacité. Mais il n'empêche que nous tenons là un album qui savate sévèrement la tronche. Et par temps de disette, ça fait plaisir.


Rédigé par : Prince de Lu | 16/20 | Nb de lectures : 15626