Après un hurlement infernal d’Araya, la rythmique d’ " Angel of Death " déboule, je me précipite vers ma platine, persuadé qu’elle était réglée sur 45T. Pas d’erreur, c’était la bonne vitesse. Et quelle vitesse ! Une nouvelle pierre venait d’être posée dans l’histoire de la musique extrême rapide, les quelques pionniers connus en matière de vitesse se résumant à l’époque à Motörhead (trop rock'n'roll), Metallica (trop varié) ou Venom (trop bordélique). Pourtant les ingrédients étaient déjà là sur " Hell Awaits ", le précédent méfait de Slayer, au son encore underground et aux compos hésitant entre heavy et speed metal. Rick Rubin, grand catalyseur de talents variés (Red Hot, Public Enemy, Beastie Boys, System of a Down, etc) produit " Reign in Blood " et permet à Slayer d’éclater au grand jour, sur une major (Def Jam / Island), grâce à un son sophistiqué qui mettra en valeur leur furie.

Rarement un album n’aura marqué un genre sur une durée aussi courte. En moins de 30 minutes, les bombes s’enchaînent. La vitesse d'exécution est époustouflante, atteint des sommets sur "Necrophobic" et "Reborn". King et Hanneman sont déterminés à tout annihiler, l’un résolument agressif en rythmiques et soli, l’autre plus mélodique et tempéré. Mais les deux définitivement complémentaires, alternant accords puissants typiques du punk/hardcore américain, et phrasés hérités de la NWOBHM. Lombardo impose un style qui traumatisera toute une génération d’apprentis batteurs, à coup de double permanente et de roulements d’une rare rapidité. Quant à Araya, il ne détache pas sa basse des guitares et n’a jamais été aussi furieux dans son chant, en hurlant horreurs anticléricales (" Jesus Saves "), sataniques (" Altar of Sacrifice ") et histoires diverses de massacres, tortures et mutilations. Le summum du macabre étant atteint sur le controversé " Angel of Death ", où sont reportées les expériences du Dr Mengele dans le camp d’Auschwitz (une certaine presse n’hésita pas alors à les traiter de nazis). Les rares moments de répit (les entrées en matière de " Piece by Piece ", "Criminally Insane " ou " Postmortem ") sont quelques mid-tempos qui ne sont là que pour mieux laisser s’accélérer une cavalcade de riffs meurtriers. Après une accalmie malsaine sous un climat pluvieux et orageux, " Raining Blood ", final d’anthologie, clôture cette démonstration de haute technicité au service du métal sombre. Ce n'est pas tout à fait du death, mais la même saveur sulfureuse y est déjà. Ajoutez à cela une pochette dont l'iconographie subtile et imagée annonce la victoire du Grand Cornu, et vous obtenez un album parfait, destiné à la postérité.

La Bible, ou plutôt le Livre Noir, du thrash metal moderne était écrit. " Reign in Blood " allait s’imposer pour au moins une décennie comme maître-étalon dans l’escalade de brutalité qui allait suivre (death, grind, black, etc). Personnellement, je trouve que plus de quinze ans après sa sortie, il n’a pas pris une ride, contrairement à un " Kill’em All " ou un " Killing is my Business... ", références du moment. Je conseillerai à ceux qui n’auraient pas encore cet album indispensable, de se procurer l’excellent remaster (" expanded edition " en CD, American Recordings), avec en titres bonus une version ralentie, presque doom, de " Criminally Insane " (parue en 1987 sur le maxi du même nom), et la version ’87 d’" Agressive Perfector ", premier essai de Slayer, qui les fit connaître par le biais de la compilation " Metal Massacre III ".


Rédigé par : Blacksun | 1986 | Nb de lectures : 3361