En 1991, un obscur groupe de Seattle nommé Nirvana sort son second album. La suite est connue de tous : Nevermind rencontrera un succès planétaire assez inattendu dans le contexte de l'époque. La presse, ravie de trouver en Kurt Cobain une nouvelle icône du Rock s'empressera d'élever Nirvana en leader incontesté d'un nouveau genre musical : le Grunge.
Comme beaucoup de gens de ma génération, je deviens instantanément fan de ce disque que j'écoute encore très régulièrement et, par extension, je fonce tête baissée dans toute cette scène Grunge alors en pleine explosion. Mais à mesure que les années passent et que je découvre de nouveaux groupes, de nouveaux styles musicaux et de nouvelles scènes, ma définition du Grunge deviendra de plus en plus floue.
Aurais-je été manipulé par l'industrie du disque ? M'aurait-on menti ?
Au départ le Grunge était défini comme un mélange de Heavy Métal ou de Heavy Rock 70's (Black Sabbath et Led Zep en tête), de Punk Hardcore, de Rock Indé et/ou de Pop voire de Noise... le joyeux bordel quoi !
Kurt Cobain lui même se moquait bien de cette étiquette et a toujours clamé n'avoir rien inventé. D'ailleurs, il revendiquait haut et fort ses influences : Melvins, Hüsker Dü, Pixies, Beatles, Meat Puppets, Sonic Youth... Des influences qui sautent aux oreilles dès lors qu'on décide de s'intéresser de plus près à ces groupes ! Des groupes qui se moquaient bien des barrières et d'appartenir à une scène définie.
Finalement, le seul avantage du « Grunge » est qu'il permit à d'excellents groupes de sortir de l'anonymat dans lequel ils étaient confinés depuis de nombreuses années.
Mais si ce n'est une localisation géographique commune (Seattle), je ne vois vraiment pas le rapport entre Soundgarden, Pearl Jam, Alice In Chains et surtout Mudhoney, qui a pourtant été rangé sous la bannière du Grunge ! Mieux que ça, le groupe fut longtemps présenté (avec les Melvins) comme le géniteur du style !

Mudhoney s'est formé en 1988 à Seattle sur les cendres de Green River, combo culte dans lequel jouaient Stone Gossard et Jeff Ament, deux futurs Pearl Jam. Après un unique album (Rehab Doll), Mark Arm (chant) rejoint Steve Turner (guitare) qui avait pris la tangente dès 1985, les influences Heavy Métal de Gossard et Ament n'étant pas du tout à son goût !
Arm et Turner veulent revenir à un son brut et sauvage ! Il s'entoure pour cela de Dan Peters (batterie) et de l'ex-Melvins Matt Lukin (basse).
Leur crédo ? Back To Basics ! Retour à un rock sale et dangereux en connexion directe avec le Rock Hi Energy des Stooges et du MC5.

Superfuzz Bigmuff + Early Singles est en réalité une compilation sortie en 1990. Mais comme beaucoup de petits français, je ne pu mettre la main dessus qu'en 1991. Mudhoney profitant alors de l'explosion de Nirvana et de la mode autour des groupes de Seattle, les premiers articles sur ce groupe ne sont apparus chez nous qu'en cette fin d'année 91.
S' il y a bien un titre d'album qui ne triche pas sur la marchandise, c'est bien celui-ci : chaque morceau est une ode barbare à la gloire des deux pédales Fuzz (l'Electro-Harmonix Big Muff et l'Univox Super Fuzz) que Arm et Turner utilisent à DONF ! Ça couine, ça hurle et ça grésille pendant toute la durée du disque !
Bon, autant vous dire que si vous ne supportez pas ce son ultra acide très particulier, c'est mal barré pour que vous appréciiez Mudhoney.
On commence par l'hymne absolu de Mudhoney, du label Sub Pop et de la scène de Seattle : Touch Me I'm Sick, premier single du groupe : trois accords sursaturés, une voix nonchalante et cynique, une énergie Garage Punk démentielle : voici un tube, un vrai !
La face B de Touch Me I'm Sick, Sweet Young Thing Ain't Sweet No More ralentit le tempo pour créer une ambiance plus cryptique et inquiétante laissant entrevoir la face la plus psychédélique du groupe.
Hate The Police est une reprise des Dicks, groupe Texan de Hardcore Punk du début des 80's. Un titre teigneux qui convient à merveille à Mudhoney.
Burn It Clean est extrait du deuxième 45t du groupe : Garage Punk craspec simple mais intense.
You Got It (Keep It Outta My Face) nous amène carrément à la fin des 60's avec ses soli gorgés de Fuzz et d'écho, ses roulements de batterie et le chant plein de morgue et d'arrogance de Mark Arm.
Halloween est une ballade bruitiste, lente et inquiétante très inspirée du Velvet Underground. Ce titre est extrait du split single Mudhoney/Sonic Youth où chaque groupe reprend un titre de l'autre (Sonic Youth reprendra Touch Me I'm Sick).
Les six prochains morceaux proviennent du maxi Superfuzz Bigmuff sortit en 1988 chez Sub Pop.
No One Has est un titre formidable avec sa ligne de basse monolithique sur le couplet, son explosion de Fuzz sur le refrain, ses micros soli balancés totalement à l'arrache par Steve Turner, cette réverb malsaine... ARRGH ! (vous m'aurez compris!)
If I Think débute comme une ballade Folk 60's, sur le couplet le chant nasillard et légèrement faux de Mark Arm évoque effectivement le chant typique du Grunge tel qu'il sera développé plus tard.
In'N'Out Of Grace réactualise la formule des Stooges (les roulements de batterie, le riffing à la Ron Asheton...) : Mudhoney s'en empare en l'accélérant et en la plongeant dans des atmosphères plus troubles. Le break du milieu est magique. Super titre !
Need a des accents pop/punk Ramoniens dans la simplicité du riff principal et la présence de choeurs sur le refrain. Mais rassurez vous, toute éventuelle naïveté est noyée dans le son abrasif du groupe.
Chain That Door est un morceau Punk très court laissant entrevoir du background Hardcore du groupe.
On termine sur Mudride, inquiétante ballade gorgée de Reverb, de Fuzz (évidemment!)et de Wha-Wha.

Alors Mudhoney est-il un groupe Grunge, pour peu que ce terme signifie vraiment quelque chose ?
Si l'on s'en tient à la définition tirée par les cheveux que j'ai évoquée plus haut, c'est mal barré !
Les influences Punk Hardcore sont indéniablement présentes, les mélodies vaguement indé, bien que noyées sous deux tonnes de distorsion, sont là, mais pour ce qui est du Heavy Métal (sous quelque forme qu'il soit)...si ce n'est une vague influence de Black Sabbath... franchement !

Non, Mudhoney leur truc c'est le Garage 60's originel, celui des Sonics et des compils Nuggets, le Proto-Punk et le Rock N'Roll ultra vénère des Stooges et du MC5, le Punk/Hardcore de Black Flag et des Dead Kennedys, le Space Rock d'Hawkwind...
Leurs influences sont définitivement plus Rock que Métal, ils les ont toujours revendiquées, et le reste de leur carrière le confirmera.

Moralité : les étiquettes peuvent être trompeuses et à double tranchant : Leur statut de précurseur du Grunge les a indéniablement aidé à se faire connaître mais il a du également en rebuter certains ! Dommage car Mudhoney vaut bien mieux que les centaines de groupes labellisés Grunge qui pullulaient dans les 90's après l'ouragan Nirvana.




Rédigé par : DaleNixon | 1990 | Nb de lectures : 3114