Purgatory. De nos jours, ce patronyme désigne avant tout un combo de death metal allemand. Mais au cours des années 80, plusieurs formations américaines s'en disputèrent l'usage. Hormis celle basée à Tampa - Floride (renommée Iced Earth en 1988), l'histoire n'a retenu que les natifs de Cleveland - Ohio. Ce groupe de speed/thrash fut en effet le seul à sortir un album: Tied to the Trax. Pour les intéressés, des infos ICI et du son LA. Après leur split en 1989, ses membres se dispersèrent aux 4 vents. Celui qui nous intéresse, c'est Jeffrey Lewis Hetrick, alors connu sous le pseudonyme de Jeff Hatrix. Pour son nouveau projet nommé... Hatrix, le vocaliste s'est associé à 2 membres du cover-band S.O.S.: le guitariste Dave Felton (ex-Centurion et pigiste chez Purgatory) et le bassiste/claviériste Kevin Skelly. En 1990, Gary Estok (ex-Sacred Few) cède sa place derrière le kit à Steve Felton (le frère de Dave), stabilisant le line-up. Mais avant de creuser l'histoire de Hatrix, un mot sur la scène locale. Si l'on demande à un Européen de citer des foyers créatifs aux Etats-Unis, l'Ohio n'arrivera pas en tête de liste... il s'agit néanmoins d'un important vivier pour les scènes punk (Pere Ubu, Devo), hardcore (Integrity) et rock indus (Nine Inch Nails, Marilyn Manson). Cet Etat a aussi vu naitre de nombreuses personnalités, comme Steven Adler, Dave Grohl, Maynard James Keenan ou encore Tim "Ripper" Owens. Fin de la parenthèse.

Hatrix. Ce nom ne vous dit rien? Allez je vous donne un indice. Sampler distribué gratuitement dans toutes les bonnes enseignes en 1995. Toujours pas? Soit. A fond qui tue. Cette compilation éditée par Wotre Music m'a permis de découvrir des groupes aussi différents que Forbidden, Deviate, Portobello Bones, Proton Burst, Elend, Acrimony et donc Hatrix. Pour les nostalgiques et les curieux, retrouvez son tracklisting complet ICI. J'ajoute que Wotre Music avait une sous-division metal, Semetary, à qui l'on doit des albums de Loudblast, No Return ou encore la fameuse Brutale Generation. L'époque était aux expérimentations et autres mélanges de genre, ce morceau d'Hatrix (nommé Bad Religion) en est un bon exemple. Après une introduction spatiale claviers/samples matinée de gros riffs à la Fear Factory, leur crossover ultra groovy alterne frénésie rythmique et mid tempo. Typés hardcore les vocaux sont hargneux et les instrumentistes maitrisent bien leur sujet. Imprévisible, ce titre des plus accrocheurs ne cesse de surprendre, un passage façon rouleau compresseur précédant un changement d'ambiance surprenant causé par un enchainement de soli enjoués. Bad Religion s'achève avec un dernier coup d'accélérateur. Un putain de bon morceau. Je déplore de ne pouvoir vous faire entendre sa version finale. Sur youtube on trouve la version Demo de 1993, mais on est loin du compte.

Les changement de décennie s'accompagnent généralement d'une période de confusion et de perte de repères, période fatale à bien des formations, des plus expérimentées aux jeunes loups (voir la génération suédoise de 1988-1992). Un coup d'oeil sur Encyclopaedia Metallum semble classer Hatrix dans la catégorie mort-née, leur histoire se résumant pour l'essentiel à une poignée de Demos et de concerts locaux (avec un guitariste additionnel, Marko Vukcevich). Voyons ça de plus près.
1989: Fondation du groupe.
1990: Changement de batteur et enregistrement de leur 1ère Demo My Asylum.
1993: Sortie de leur 2ème Demo Collisioncoursewithnoplace.
Puis d'une compilation (au format CD) reprenant tous leurs morceaux.
1994: Signature chez Massacre records et sortie de leur unique album, aussi nommé Collisioncoursewithnoplace.
Il s'agit d'un mélange d'anciens titres réenregistrés et de nouvelles compositions.
1995: Retour à l'autoproduction et sortie de leur 3ème Demo Anotherbadmemory.

Collisioncoursewithnoplace comprend 13 morceaux, à savoir: l'intégralité de la Demo du même nom totalement réenregistrée, 5 des 7 titres de Anotherbadmemory + le morceau My Asylum et une composition apparemment inédite (What Comes Around). Dans le cas d'un groupe underground, une précision de ce genre peut paraitre superflue mais explique en bonne partie le caractère hétérogène de cet enregistrement, ainsi que sa durée excessive (56 minutes). Au temps mettre les pieds dans le plat, toutes les compos ne sont malheureusement pas du niveau de Bad Religion. Avant d'expliquer pourquoi, posons les bases. Un gros son (grâce au budget alloué par Massacre records), un riffing mastoc, une section rythmique très investie, sans oublier un vocaliste oscillant entre hardcore pur jus et réminiscences speed/thrash. Techniquement les mecs de Cleveland sont irréprochables, mais c'est au niveau des compositions que ça coince. Dave Felton est un excellent soliste, mais passé le 1er effet kiss cool, on réalise que sa rythmique tourne en rond. Les fréquents changements de tempo ne suffisent pas à masquer l'absence de nuances et c'est d'autant plus rageant que c'est dans ses cordes (le formidable riff de Bad Religion à la 4ème minute). Collisioncoursewithnoplace aurait gagné en efficacité en étant purgé de 2 ou 3 titres ou en voyant certains morceaux raccourcis (à l'instar de My Asylum qui descend sous les 2 minutes).

Hatrix sait élever son niveau, à l'image du très énervé Status et de sa cascade de soli, ou encore de Deprivation à l'atmosphère rampante, interrompu par un climax inattendu aux claviers (dont la mélodie me fait bizarrement penser à Slayer). A mon sens c'est lorsqu'ils sont le plus généreux que ces musiciens sont les plus convainquants, à l'image du progressif Bad Religion. Mais ce n'est pas la seule compo à sortir du lot. Subliminal se distingue par d'excellents arrangements de gratte (dont un passage carrément onirique) et une grosse présence de la basse de Kevin Skelly. Le morceau le plus incongru se distingue tellement des autres qu'il provoque invariablement la même réaction "ça ne peut pas être eux". Guitares acoustiques, claviers très présents, solo mélancolique et parties de chant doublées typiquement heavy metal... la ballade No One semble plus proche du répertoire des Danois de Royal Hunt que du crossover puissant et hargneux façon Suicidal Tendencies. Le choc des cultures kwa... Oh la belle transition. Quand il s'agit de comprendre pourquoi Hatrix a baissé pavillon aussi vite, cette polyvalence mâtinée d'anticonformisme explique bien des choses. Chantres du "juste fait le" (DIY), les Américains ont multiplié les projets au cours des années 90s.

Les frères Felton ont par exemple développé leur facette hardcore, d'une part en créant le groupe (216) en 1997, d'autre part en rejoignant brièvement Integrity (l'album éponyme sorti en 1999). Mais la raison principale du silence prolongé d'Hatrix vient d'un side-projet une nouvelle fois initié par le vocaliste Jeff Hatrix (renommé Jeffrey Nothing). En 1993 voit le jour Mushroomhead, un combo mélangeant allègrement metal, alternatif et indus. De plus, ce groupe à géométrie variable dissimule l'identité de ses membres derrière masques et costumes. Mushroomhead et Slipknot (fondé 2 ans plus tard) seront en compétition jusqu'à ce que Roadrunner tranche en faveur des gars de l'Iowa. La suite on la connait. Reconnaissance à l'échelle mondiale pour Slipknot et succès plus modeste limité aux frontières du nouveau Monde pour les Mushroomhead (qui sortiront leur prochain album dans quelques jours). Quant à Hatrix le groupe se reforme ponctuellement pour des concerts. Il n'a officiellement jamais splitté. Les fans de crossover qui n'ont pas peur des claviers et les curieux de tous poils peuvent se pencher sur Hatrix. C'est du bon son. Quant à se procurer l'album Collisioncoursewithnoplace, c'est une autre histoire...

Status: https://www.youtube.com/watch?v=XBtB76sXjPY
Subliminal: https://www.youtube.com/watch?v=850QjGBvEkQ
No One: https://www.youtube.com/watch?v=12P09G0CE4I


Rédigé par : forlorn | 1994 | Nb de lectures : 1991