"Je savais que les fans purs et durs de Carcass allaient avoir du mal à l'accepter mais j'ai reçu pas mal d'e-mails de mecs qui avaient découvert Carcass avec Swansong et qui avaient flashé. Il a vendu les 2 tiers de ce qu'a vendu Heartwork, ce qui est bien."
Jeff Walker (dans le n°28 de novembre 1997 de Hard Rock mag)

La sortie de Surgical Steel, le nouvel album de Carcass, est un prétexte idéal pour évoquer Blackstar, dont l'unique opus constitue, quoi qu'on en pense, un add-on à la discographie des garçons bouchers de Liverpool. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer le split de Carcass dans ma chronique de Swansong [ voir ici ], mais certaines précisions sont nécessaires afin de cerner les tenants et aboutissants de ce Barbed Wire Soul. Retour donc sur des années synonymes de galères et de remise en question:

1994
octobre: composition de l'album Swansong
1995
printemps: enregistrement chez Colin Richardson
fin d'année: bataille juridique avec la major Columbia entrainant le split de Carcass
1996
printemps: formation de Blackstar qui enregistre une Demo dans la foulée
juin: sortie posthume de Swansong chez Earache
octobre: Blackstar tourne en première partie de Cathedral et Anathema
novembre: sortie de la compilation Wake Up and Smell the Carcass comprenant 5 inédits
1997
mars: enregistrement de l'album de Blackstar chez Colin Richardson
septembre: sortie de Barbed Wire Soul chez Peaceville/Music for Nations

Vous le voyez, 2 années séparent la composition de Swansong de sa sortie officielle. Lorsque Jeff Walker en a assumé la promotion, Carcass n'existait déjà plus (il n'y a pas eu de Swansong Tour). Cependant les difficultés engendrées par le music business n'ont en rien entravé la créativité des Anglais. A ceux qui se poseraient la question, Blackstar n'est autre que la continuité de Carcass, tant sur le plan du line-up que de l'évolution musicale. Les plus observateurs auront noté que Blackstar est aussi le nom d'un morceau de Swansong. En effet le groupe se compose de 3 des 4 membres de Carcass, Jeff Walker (vocaux/basse), Ken Owen (batterie) et le soliste Carlo Regadas (ex-Devoid). L'absence de Bill Steer, parti jouer du blues, explique le changement de patronyme. Lourde tâche que de remplacer un guitariste aussi inspiré. Jeff Walker a fait appel à un ami de longue date, du temps où Carcass se nommait Disattack et jouait du hardcore/punk. Il s'agit du bassiste originel de Cathedral (1989-1992) à l'oeuvre sur le classique Forest of Equilibrium. Reconverti guitariste, Mark Griffiths a aussi enregistré 2 albums avec son groupe Year Zero: Nihil's Flame (1993) et Creation (1995). Les présentations sont faites.

On le découvre, Blackstar a grandi dans l'ombre de Carcass. Alors que les metalleux n'en pouvaient plus d'attendre la sortie de Swansong, les Anglais composaient le matériel de Barbed Wire Soul. Cet album va lui aussi connaître une gestation laborieuse. Composé au printemps 1996, il ne sortira qu'en septembre 1997. Pour quelles raisons? D'une part la volonté du groupe d'enregistrer avec l'overbooké Colin Richardson (occupé à produire The More Things Change... et Inside the Torn Apart) dont le planning ne se débloque qu'en mars, ensuite le choix de Music for Nations (exit Earache et les majors) de temporiser après les sorties successives de Swansong et Wake Up and Smell... Impatients de repartir sur la route, les membres de Blackstar n'attendent pas et saisissent l'opportunité d'assurer quelques dates en première partie de Cathedral et Anathema en octobre 1996. J'imagine un show assez bref axé sur les morceaux de la Demo de Blackstar, avec Keep on Rotting in the Free World de Carcass en bonus (Jeff Walker en parle dans le Hard Force n°29 de janvier 1998) et peut-être une reprise. Si l'un d'entre vous y était, qu'il n'hésite pas à nous en parler dans les commentaires. Sur ce, venons-en à l'album.

Avec un passif de cet ordre (Carcass et Cathedral) et une signature chez Peaceville/Music for Nations (Paradise Lost, Cradle of Filth), on était en droit d'attendre un putain d'album. L'emblème du groupe, la 'blackstar' enflammée, en guise de visuel? Pourquoi pas. Voyons-voir les crédits. Produit par Colin Richardson et mixé par Dave Buchanan, c'est la garantie d'un gros son comme d'habitude. Barbed Wire Soul comporte 11 morceaux, les 7 de la Demo, augmentés de 4 nouveaux titres (Game Over, Smile, Give Up the Ghost et Deep Wound). Notez que Sound of Silence (sans rapport avec Simon & Garfunkel) se nommait à l'origine Don't Want to Talk Anymore. Si les textes sont absents du livret, leurs intitulés témoignent d'un changement de thématique. Smile? Rock n' Roll Circus? Cette fois c'est sûr ceux qui espéraient un retour en arrière peuvent changer de crèmerie. Exit la barbaque et les termes de médecine légale. L'autre grosse surprise, c'est la présence d'une certaine Jenny Lamb au saxophone sur 2 morceaux. Oui vous avez bien lu. Il est temps pour Jeff Walker de nous parler de l'orientation musicale de son nouveau projet.

"Bill Steer avait une responsabilité plus prononcée dans le son du groupe. Inévitablement la musique de Blackstar possède certaines sonorités qui rappellent Carcass, mais je crois que Barbed Wire Soul est un album relativement différent de tout ce que nous avons fait auparavant. Il n'est plus question de death metal, parce que nous voulons désormais aborder un répertoire plus proche du hard rock des 70s. (...) Motörhead, Trouble et Thin Lizzy. Ces 3 formations sont la base des influences de Blackstar." (dans le n°29 de janvier 1998 de Hard Force mag)


Ken Owen / Carlo Regadas / Mark Griffiths / Jeff Walker
Dès les premières mesures de Game Over, le ton est donné et le constat est clair. Les Anglais ont poursuivi leur mutation back to the past, laissant les albums de Carcass loin derrière, Swansong y compris. Mais contrairement à ce qu'en dit Jeff Walker, on reconnait la patte de chacun, la production de Colin Richardson contribuant largement à cette notion de 'continuité'. Certes le propos est plus léger et son chant s'est éclairci, mais le timbre de Jeff Walker est reconnaissable entre mille, de même que les parties du maitre du groove Ken Owen. Quant à la paire Regadas/Griffiths, elle s'en tire honorablement, en particulier Carlo Regadas en charge de tous les soli de l'album. Personne n'en doutait, sur le plan instrumental c'est du solide, les gars maitrisent leur sujet. Si l'on devine leur passé plus extrême, parler de death n' roll serait inexact, Entombed incarnant le mieux cette étiquette à l'époque. A l'instar des Néerlandais de Gorefest avec Soul Survivor, Blackstar oeuvre bel et bien dans une relecture moderne du hard rock à l'ancienne. Le propos se veut très direct (en 4 minutes de moyenne tout est dit) avec une quête de l'efficacité passant par l'énergie et le groove. Live & Party Time.

A l'époque certains ont attribué l'échec commercial de ces albums à leur aspect précurseur, la vague stoner ne devenant 'bankable' en Europe qu'après 1998 (à l'image du parcours du Spiritual Beggars de Mike Amott). D'autres vous diront que ces albums étaient tout simplement râtés. Pour ma part je me situe à mi-chemin. Certes Barbed Wire Soul pêche par manque d'ambition et finit par tourner en rond, mais sans démériter pour autant. Niveau compo, l'absence de Bill Steer se remarque, mais l'héritage de Carcass est toujours perceptible (Sound of Silence). Les incursions du saxophone sur Rock n' Roll Circus (palme du titre le plus groovy de l'album) et Waste of Space sont bienvenues. Les Anglais auraient du creuser davantage ce genre d'arrangements. Une idée supplémentaire, l'ajout d'un guest, d'une reprise... tout ce qui aurait pu apporter plus de relief les aurait aidé. C'est la constance de leur mood qui les perd, car on en vient à penser que Barbed Wire Soul aurait été plus efficace purgé de 2 ou 3 morceaux. Notez d'ailleurs que la version japonaise comprend en bonus 5 des 7 morceaux de la Demo, ainsi que 3 reprises de Hüsker Dü, Thin Lizzy et The Cult. En conclusion, s'il n'a pas satisfait les attentes des uns et des autres, Barbed Wire Soul est un album honnête et courageux dans le contexte de l'époque.
Verre à moitié vide ou à moitié plein? Faites votre choix.

Malheureusement l'histoire va se répéter pour les Anglais, une obscure formation les contraignant à se renommer Blackstar Rising en 1998. J'ignore les raisons exactes de leur split peu de temps après, mais à l'exception de Jeff Walker, aucun d'eux ne s'en remettra. Le soliste Carlo Regadas disparait de la scène musicale, Mark Griffiths a du attendre 2011 pour réapparaitre avec un projet solo nommé Arkazum et plus grave, en 1999 le batteur Ken Owen fait une hémorragie cérébrale. Bilan 10 mois de coma et des séquelles irréversibles qui ne lui permettront pas de retrouver son niveau d'antan. La vie, le music-business, les metalleux, les Français... quel monde impitoyable. (Ré)Essayez Barbed Wire Soul, il n'est pas si mauvais vous verrez...

Smile: https://www.youtube.com/watch?v=t82-iRjquFI
Rock n' Roll Circus: https://www.youtube.com/watch?v=kNXegkzS9wI


Rédigé par : forlorn | 1997 | Nb de lectures : 2102