TYPE O NEGATIVE - Bloody Kisses (Roadrunner) - 23/03/2013 @ 21h25
Notre scène a beau regorger de groupes de valeur, combien d'entre eux auront le privilège de passer à la postérité? Très peu. Type O Negative fait parti de ces rares élus à avoir marqué leur époque, grâce à une combinaison d'éléments imparables: un univers musical singulier et novateur, une identité visuelle affirmée, un leader charismatique aux propos ambivalents, des thèmes aussi universels que racoleurs, le tout couronné par d'inlassables tournées. Bloody Kisses c'est l'histoire d'une mue, d'une revanche sur la censure, d'une ténacité récompensée par un inaltérable succès. Alors âgé de 13 ans, je focalisais sur la scène US (hard, thrash et alternif/grunge), sans me douter qu'il existait d'autres chemins à emprunter, loin des conventions instrumentales. Je ne remercierais jamais assez le type qui m'a fait découvrir cet album (j'ai fini par lui acheter sa K7), car Bloody Kisses m'a permis d'élargir mes horizons, de réaliser que le Metal avait bien plus à offrir qu'une simple course à la technique, à la vitesse ou à l'agressivité. Avant d'aborder ce monument, retour sur sa genèse.

Tout démarre en 1979 à Brooklyn. Le bassiste/chanteur Peter Steele (de son vrai nom Peter Thomas Ratajczyk) et le claviériste/producteur Josh Silver font leurs premières armes dans Fallout. Des cendres de cette formation vont émerger Carnivore (Steele) et Original Sin (Silver). Le crossover personnel et provoquant de Carnivore s'exprime sur 2 albums devenus cultes sortis chez Roadrunner. Ce chapitre ne sera d'ailleurs jamais totalement refermé, le groupe donnant des concerts sporadiques jusqu'à sa reformation en 2006. Leur héritage musical est largement audible sur les débuts discographiques de Type O Negative, chose logique, Peter Steele étant le principal compositeur dans les 2 cas. Mais retour en 1987 où les retrouvailles avec Josh Silver débouchent sur la création d'un nouveau groupe, en compagnie du guitariste Kenny Hickey et du batteur Sal Abruscato (ex-Toximia). Successivement nommé Repulsion puis New Minority, le quartet arrête son choix sur Sub Zero en 1989, allant jusqu'à se faire tatouer son logo. Manque de pot un homonyme les contraint à changer une dernière fois de patronyme. Va pour Type O Negative.

Avec son 1er album, Slow, Deep and Hard, le combo accouche en 1991 d'un hybride non répertorié. Les Américains mixent un doom metal pachydermique aux atmosphères gothico-glauques à l'héritage hardcore/punk de Carnivore. Ce mélange a priori contre-nature va peiner à trouver son public, d'autant que le sens de l'humour 'particulier' de Steele & co provoque une vague de scandales. Orientés sexe, le visuel et le titre de l'album dérangent. Les accusations se multiplient, au rang desquelles nazisme et misogynie figurent en bonne place. Notez que Josh Silver est juif et Peter Steele a 5 soeurs. Galvanisé par ces retours, ce dernier choisit la surenchère en mettant son cul en guise de visuel du 2ème album. Présenté comme un faux live dans lequel un public (de potes) crache sa haine du groupe, The Origin of the Feces creuse les contrastes entre des parties metal plus hargneuses et des arrangements synthétiques de plus en plus présents. Peter Steele alterne les accès de rage HxC avec son chant clair aussi grave que suave. Certaines compos du 1er opus sont réarrangées pour l'occasion. The Origin... sera réédité en 1997 avec un autre visuel (et Paranoid de Black Sab' en sus). L'heure est à l'évolution.

La mise en page et le code couleur conditionnent leurs choix esthétiques. Chaque visuel oppose le nom du groupe (en haut à droite) au titre de l'album (en bas à gauche). Le vert et le noir sont omniprésents, du livret à leur look (de bikers) en passant par leurs instruments et leurs décors scéniques. Pour ne rien vous cacher, entre son visuel lesbien et son intro érotique, Bloody Kisses avait de quoi foutre le feu dans l'imaginaire (et le calbute) de n'importe quel ado de l'époque. Autres signes de personnalité marquée, les propos disséminés ici et là. Je ne citerais que la phrase figurant au dos du boitier: 'Ne confondez pas manque de talent et génie'. Impossible aussi de passer sous silence le gimmick récurrent des interludes. Bloody Kisses en comprend 4 et c'est l'unique album de Type O Negative où je les apprécie, car ils contribuent à son enrichissement, au développement de sa dimension cinématographique. Mention spéciale à Fay Wray Come Out and Play et sa tribu cannibale chassant une scream queen sous la pluie. Astro Spectra Azillama ! Ooohh !


L'expérimenté duo Silver/Steele ne laissera jamais à quiconque le soin de produire leurs albums et Bloody Kisses ne fait pas exception. Presque 20 ans après, le souvenir de ma première écoute est resté vivace, Christian Woman remportant mon adhésion dès les premières mesures. Il y a de la magie là-dessous... TOUT est personnel chez eux, grâce à un incomparable mélange de genres et d'humeurs. A l'époque je n'avais encore jamais croisé de groupe capable d'autant d'audace, tant sur le plan instrumental que thématique. Associer atmosphère dépressive et humour, ou encore l'agressivité côtoyant une atmosphère sereine quasi-spirituelle... il fallait oser! Avec Bloody Kisses, Type O Negative accède à la professionnalisation en proposant pour la première fois une oeuvre aboutie et maîtrisée, en un mot magistrale. Les progrès accomplis depuis le 2ème opus sont importants et concernent tous les aspects du groupe qui s'est rendu service en privilégiant sa musique aux buzz. Néanmoins l'héritage de Carnivore les a conduit à répondre à leurs détracteurs via les pêchus Kill All The White People (aux backings assurés par les membres de Life of Agony) et We Hate Everyone qui apportent une variété appréciable.

A l'image de son physique, la voix de Peter Steele, naturellement grave et ample, avait tout pour séduire la gent féminine. Quant à Kenny Hickey, qu'on avait déjà pu entendre sur la reprise de Jimi Hendrix (sur The Origin...), il apparait désormais sur presque tous les morceaux. Il donne la réplique à Peter Steele de façon rageuse sur Black No. 1 et plaintive sur Too Late: Frozen. Il assure aussi l'intégralité du chant lead sur Set Me on Fire. Ajoutez les backings rageurs précités, les interventions féminines sur les interludes ainsi que les samples, et vous obtenez un cocktail vocal aussi efficace que jouissif. Quant à la musique... Entre ses claviers omniprésents et la richesse des arrangements, Josh Silver fournit un boulot absolument titanesque qui mériterait presque une chronique à part entière. Testez au moins le classique Black No. 1 (et son break façon Famille Adams) dans sa version intégrale, ce morceau étant assez représentatif de son apport au groupe. S'intéresser à son travail permet de réaliser à quel point les 4 musiciens font corps avec une musique consistante, racée et pleine de vie. Qu'il soit au premier plan avec ses parties d'orgue ou de clavecin, ou à l'arrière plan en train de bidouiller, Josh Silver est indispensable.

Accordées très bas avec un son généralement saturé, la basse et la guitare contribuent de façon significative à l'identité sonore de Type O Negative. La marque de fabrique de Kenny Hickey? L'alternance de gros riffs sabbathiens (l'énorme break Iommiesque de Kill All The White People) et de leads habités (Christian Woman, Bloody Kisses). Côté finesse, je citerais le passage acoustique sur Christian Woman ou la wah-wah enthousiaste sur l'ensoleillé Set Me on Fire. A noter que les parties de sitar de Can't Lose You sont l'oeuvre d'un guest qui deviendra récurrent: Paulo Bento. Quand je lis des vannes sur les bassistes, je pense invariablement à des compositeurs de génie comme Geezer Butler (Black Sabbath) ou Peter Steele. Le géant vert savait se servir de façon créative de son instrument pour donner du relief à sa musique. Quant au batteur Sal Abruscato, il apporte une assise confortable à Type O Negative. J'adore son énergie, son style de frappe, puissant et précis. Ajoutez lui une certaine liberté d'expression et vous obtenez une machine de guerre. A retenir sa partition anthologique sur le final de Black No. 1, sa frappe de mule sur l'héritage Carnivore, ou son caractère volubile sur Set Me on Fire.

Certains ne supportent pas les interludes ou lui trouvent des longueurs (+ de 73 minutes), mais en ce qui me concerne les 13 titres forment un tout indissociable. Je rejette fermement toute tentative de réorganisation, comme l'édition digipack supprimant les interludes et les morceaux typés Carnivore au profit d'un inédit: Suspended in Dusk. Notez qu'on le retrouve sur le 2ème CD de l'édition limitée de l'album Life is Killing Me paru en 2003. Enfin sur ce, avançons. Peu après la sortie de Bloody Kisses, des tensions entre Peter Steele et Sal Abruscato provoquèrent son départ, qui sera l'unique changement en 20 ans de carrière pour Type O Negative. Je n'ai pas eu le loisir d'être déçu, car le lascar a intégré sans transition le groupe de leurs voisins de palier, Life of Agony, qui plus est juste à temps pour participer à leur fabuleux 1er album (produit par Josh Silver): River Runs Red. [Au passage allez lire la superbe chronique de Dark Rabbit]. Sal Abruscato a eu le privilège rare de participer à 2 chefs-d'oeuvre parus à quelques mois d'intervalle (les 2 dans mon top 10 de 1993). La grande classe.

Mais Bloody Kisses n'est pas simplement une tuerie sur le plan de la composition, son parcours est aussi hors norme. En mettant un frein aux provocations et en tournant sans relâche, le gang de Brooklyn s'attira le respect de l'ensemble de la scène US. En moins de 2 ans Type O Negative va ainsi côtoyer des groupes aussi différents que Pantera, Nine Inch Nails, Mötley Crüe, Danzig, King's X ou Queensrÿche (pour n'en citer que quelques uns)! La qualité de leurs compos séduira également les médias, MTV diffusant en heavy rotation les clips de Black No. 1 et Christian Woman. Certains morceaux de Bloody Kisses vont aussi apparaitre sur des BO de film comme Mortal Kombat (Blood & Fire) ou Souviens toi l'Eté Dernier (Summer Breeze, leur reprise de Seals and Crofts). Ces arguments finiront par convaincre une Europe jusqu'ici plutôt réfractaire, permettant à Type O Negative de fouler les planches de l'édition 1995 du Dynamo Open Air. Côté ventes, là aussi on assiste à quelque chose de particulier, puisqu'après un démarrage timide, celles-ci vont s'accroître grâce au bouche à oreille. Fin 1995, soit 2 ans après sa sortie, Bloody Kisses devient le 1er album sorti chez Roadrunner à franchir le cap du disque d'or (500 000 ventes) avant de quelques temps plus tard passer platine (+ d'un million de copies vendues).

Sans préméditation ni concertation, les Américains de Type O Negative et les Anglais de Paradise Lost (avec Icon) ont, en cette fin d'année 1993, donné naissance à un nouveau genre qui allait faire beaucoup d'émules: le gothic metal. Du Portugais Fernando Ribeiro (Moonspell) au Français Emmanuel Lévy (Wormfood) en passant par le Finlandais Ville Valo (H.I.M.), nombreux sont les musiciens à vénérer Type O Negative. Ce n'est pas sans raison. Merci Peter pour tout ce que tu nous as donné. Ta musique est éternelle, nous ne t'oublierons jamais Green Man.




Rédigé par : forlorn | 1993 | Nb de lectures : 3145


Auteur
Commentaire
jfkool
Membre enregistré
Posté le: 24/03/2013 à 00h13 - (29081)
Chronique aussi qualitative que l'album, bien que celui que j'écoute le plus reste 'World coming down'.
Me suis toujours pas remis de la disparition du Géant Vert. J'en suis encore parfois à espérer qu'il s'agir d'une de ses mauvaises blagues!!



nocturnus1977
Membre enregistré
Posté le: 24/03/2013 à 06h53 - (29086)
acheté à la sortie, mais je l'écoute très peu (à part à l'instant...lol)

ils étaient passé sur Canal + en 1995 (introduit par Jérome Bonaldi...lol)



fabu
IP:83.134.37.30
Invité
Posté le: 24/03/2013 à 10h20 - (29090)
une grande perte musicale type O

hammerbattalion
Membre enregistré
Posté le: 24/03/2013 à 13h18 - (29093)
le premier et celui-là, pour le reste... Par contre Steele était une vraie personnalité qui manque, un gros doigt au politiquement correct. Tu t'es dépassé sur cette kro forlorn.



nocturnus1977
Membre enregistré
Posté le: 24/03/2013 à 18h36 - (29100)
oui, excellente chronique

Slumber
IP:2.14.246.4
Invité
Posté le: 24/03/2013 à 19h16 - (29101)
De mon côté même si cet album est génial je lui préfère october rust sorti après. Sans doute mon côté tafiolle :) je n'aime pas le côté harcore du début avec des titres rapides.

vincesnake
Membre enregistré
Posté le: 24/03/2013 à 23h27 - (29102)
Idem, je garde une préférence pour October Rust effet "découverte" oblige mais Bloody Kisses n'en reste pas moins un chef d'oeuvre qui continu à me surprendre depuis des années.

Belle chronique très instructive.



Moshimosher
Membre enregistré
Posté le: 25/03/2013 à 01h02 - (29104)
Ben, pour ma part, j'ai pas accroché à October Rust... Par contre Slow, Deep and Hard et Bloody Kisses, c'est autre chose :) Et puis, ces lesbiennes... :) :) :)

Bon, ben, un album de plus à réécouter...

Et puis, c'est vrai, quoi : très bonne chronique !

6trouille
IP:88.162.147.74
Invité
Posté le: 25/03/2013 à 10h05 - (29105)
Wouaw, si toutes les chroniques pouvaient être aussi roboratives...!
Bien que je n'ai jamais accroché à ce disque, commençant à aimer Type O à partir d'October Rust et préférant surtout la partie Carnivore dans la discographie de Steele, ce texte plein d'enthousiasme va me le faire ressortir et tenter à nouveau de le comprendre.

Merci Forlorn ! F***ing good job !

Jean
IP:82.226.201.57
Invité
Posté le: 25/03/2013 à 19h32 - (29107)
Belle chronique :)

Depuis cet album, Josh Silver est un de mes keyboard-heroes :)
Un sens de l'arrangement et du mixage hors du commun.

Sinon, c'est un album dont on se souvient l'atmosphère bien avant les mélodies. Le genre d'album qui ne peut plus exister si on retire le moindre détail.

Alain Frost
Membre enregistré
Posté le: 25/03/2013 à 21h18 - (29108)
Je n'ai jamais accroché à Type O' mais ta chronique me donne envie de retenter le coup Forlorn!

Une vraie encyclopédie.

RBD
Membre enregistré
Posté le: 31/03/2013 à 19h24 - (29142)
Il demeure mon préféré de Type-O, sans rejeter les suivants. Croisement de style improbable, entre restes du Crossover typique NY (avec un son bien meilleur que sur le premier et chez Carnivore) et réinvention du Gothique à l'européenne, plus sa propre esthétique.

Certes il y avait des éléments déjà dans le premier et le faux live, mais quelle énorme progression représentait-il quand même. Je me retrouve tout à fait dans la chronique, pas la peine de m'étendre plus.



Dragounet
Membre enregistré
Posté le: 02/04/2013 à 21h30 - (29149)
Excellente chronique pour un excellent album. A l'époque un pote avait acheté le digipack en question et s'était senti (à juste titre) floué par l'absence de nombreux titres! Cette édition, prise à part, peut paraître plus homogène dans l'ambiance en fait!

forlorn
Membre enregistré
Posté le: 22/11/2014 à 23h23 - (31442)
Ajout des clips de Christian Woman et Black n°1.

Ajouter un commentaire

Pseudo :
Enregistrement Connexion






Niveau de modération : Commentaires non modérés par l'administration du site

Ce commentaire est soumis à la lecture et à l'approbation des modérateurs. S'il ne suit pas les règles suivantes : Pas de pub, pas de lien web, pas d'annonces de concerts, il ne sera pas retenu. Plus d'infos

Proposez News | VS Story | F.A.Q. | Contact | Signaler un Bug | VS Recrute | Mentions Légales | VS-webzine.com

eXTReMe Tracker