Alf Svensson est un musicien singulier. C'est quelque chose que l'on remarque en se penchant sur son parcours. Les débuts du guitariste suédois remontent probablement à Oral, un combo de death/crust actif dès 1984. A la fin de la décennie, on le retrouve dans Grotesque, éphémère groupe de black/death au sein duquel il croise notamment Necrolord (graphiste de la scène scandinave), Shamaatae (futur Arckanum) et Tomas Lindberg. Alf Svensson suivra ce dernier dans une formation amenée à devenir référentielle: At the Gates. Mais n'aimant pas tourner et désireux d'explorer de nouvelles voies, il quitte ses camarades en bons termes en 1993, laissant derrière lui 2 albums, The Red in the Sky Is Ours et With Fear I Kiss the Burning Darkness. En 1995, il aide Necrolord à fonder Diabolique (gothic metal), mais ne reste pas, désireux de développer son projet solo avant-gardiste: Oxiplegatz.

En découvrant le titre Battle of Species (extrait du 2ème album) sur le 1er sampler Metallian en 1996, j'ai noté que le projet était estimé et avait du potentiel. Gardant ce nom en mémoire, je décidais d'attendre la suite des évènements. Et 2 ans plus tard la surprise a été de taille, car Alf Svensson a atteint l'objectif qu'il s'était fixé en fondant Oxiplegatz, Sidereal Journey étant son enregistrement le plus ambitieux et abouti. Cet album-concept divisé en 33 plages illustre une nouvelle de science-fiction écrite de sa main. Autodidacte inspiré en marge de la scène de l'époque, Alf Svensson était incontestablement en avance sur son temps. Chaque étape de la conception de cet opus est marquée par cette singularité dont je parlais plus haut et que l'on constate aussi en interview. Morceaux choisis dans le Metallian n°11 d'avril/mai 1998:

Il est dommage que tant de groupes traitent des mêmes sujets éculés (...) Je n'ai pas choisi délibérément d'écrire à propos de la science-fiction pour être différent (...) c'est tout simplement ce qui m'inspire.

Je préfère créer quelque chose issu de mon imagination, plutôt que d'avoir les oreilles rivées sur ce que font les autres. En privé je n'écoute presque pas de musique.

Avec Oxiplegatz je peux tout faire dans le calme de ma salle de travail, avec mon casque sur les oreilles, mon PC et mes instruments MIDI et personne pour s'immiscer dans mes pensées (...) Je déteste les répétitions et je n'ai jamais aimé jouer live.

Je préfère la compagnie d'un imbécile facile à vivre que celle d'une personne malveillante et arrogante. (...) Il n'est rien qui m'exaspère plus que la stupidité effarante des black metalleux qui sont tout autant des moutons aveugles que des religieux fanatiques.

Après l'autoproduction des premiers albums, cette fois Oxiplegatz a bénéficié du soutient de Season of Mist qui sort Sidereal Journey en digipack. L'investissement du label marseillais a permis à Alf Svensson d'avoir une large couverture médiatique dans la presse metal française qui a su reconnaître les qualités de cette oeuvre novatrice illustrant les aventures d'une race extraterrestre contrainte de fuir sa planète d'origine menacée par un trou noir. Après avoir conçu une arche de Noé intersidérale, les aliens partent en quête d'un nouveau monde habitable et seront témoins de nombreux phénomènes étranges en explorant les confins de l'univers... Après un pitch pareil vous vous doutez bien que décrire Sidereal Journey n'est pas évident. Les nombreuses étiquettes visibles dans les distro de l'époque en atteste: death metal expérimental, sympho black/death fantastique et autre cyber doom avec chant féminin...

Sidereal Journey est un unique morceau de 41 minutes dont les 33 parties s'enchaînent sans temps mort et au sein desquelles guitares et claviers vont tour à tour s'affronter et se mélanger. De passages frénétiques issus de la scène black à d'autres possédant la pesanteur du doom en passant par de fameuses plages atmosphériques, Sidereal Journey vous emmènera loin, très loin. Côté vocaux Alf Svensson nuance et passe d'un chant clair déclamatoire à des vocaux extrêmes au gré des péripéties de l'histoire. Il peut aussi compter sur Sara Svensson (aucun lien de parenté) dont les parties de chant contribuent à faire de cet album un must-have qui plaira aux amateurs d'expérimentations que les claviers et le chant féminin n'effraient pas. Sur le principe certains auront pensé au Crimson d'Edge of Sanity ou au Death's Design de Diabolical Masquerade, citer Arcturus au vu de la thématique paraît évident, mais musicalement Oxiplegatz n'a pas d'équivalent.

J'imagine que découvrir Sidereal Journey en 2012 conduit à trouver la production trop juste, mais gardez bien à l'esprit que cet album a été enregistré en home-studio en 1998, Andy Laroque (guitariste de King Diamond et producteur réputé) ayant simplement donné un coup de pouce pour le mixage. Il est certain qu'un remasters ou mieux un réenregistrement avec un poulpe de type Dirk Verbeuren en lieu et place de la programmation rythmique ferait du bien, mais tel quel cet opus est une formidable réussite sur le plan de la composition. Sidereal Journey a d'autant plus marqué son époque qu'il s'agit du dernier témoignage musical d'Alf Svensson.
Partir sur un succès c'est classe.




Rédigé par : forlorn | 1998 | Nb de lectures : 2877