A fond qui tue. C'est quoi ça, un flyer? Une compil'? Gratuite? C'est vrai je peux? Merci
On est en 1995 et me voilà avec un sampler contenant un peu de tout ce qui se faisait à l'époque, du thrash, du HxC, du metal indus, de l'alternatif/fusion...
Au bout de l'écoute quelques surprises, comme la présence incongrue d'Elend et la découverte de Proton Burst. Le titre Mouvement I mettait en perspective d'intrigants articles (notamment dans Hard n' Heavy) révélant une info surprenante: Proton Burst n'est pas un groupe. Kôa? Parler de collectif artistique serait plus juste. Ce que ça change? Mais tout mon brave. Dès le départ ces mecs ont eu une conception artistique globale, une conception dont la musique n'était que l'une des composantes (sans forcément être la principale d'ailleurs). Explications.

Fondé en Île de France en septembre 1988, l'entité Proton Burst se développe autour du guitariste/façonneur de matières, Axël Kriloff, et du vocaliste/acteur, Rémi Vaucher. Ça vous paraît pompeux, un brin exagéré? Renseignez-vous sur les CV des bonhommes... Les 2 premières Demo de Proton Burst dévoilent un thrash chaotique à l'attitude punk et au feeling industrialo-tribal. Une sorte de Voivod à la Française ? Si on veut... Mais les néo-Parisiens ont d'autres ambitions. En 1990 Rémi Vaucher découvre La Nuit, un sommet de nihilisme signé Philippe Druillet. Profondément marqués par cette oeuvre, ils décident de la mettre en musique. Désormais Proton Burst planche sur ce projet en parallèle de ses propres réalisations. Il leur faudra 2 ans pour réaliser un 1er morceau-test et le présenter à l'auteur, rencontré lors d'une exposition. Surpris et un peu inquiet, ce dernier donne néanmoins son accord, permettant au projet d'aller à son terme.

Parlons un peu de l'oeuvre de Philippe Druillet. Né à Toulouse en 1944, il passe les 1ères années de sa vie en Catalogne, dans la ville de Salvador Dali, avant de revenir en France à la mort de son père. Photographe de métier, il travaille pour la presse écrite tout en s'investissant dans le 7ème art. En 1965 il rencontre sa femme et découvre le dessin. Le 1er ouvrage de sa série Lone Sloane paraît dans la foulée. Les années suivantes seront marquées par ses illustrations (Conan ou des affiches de films de Jean Rollin) et ses débuts de comédien au théâtre. Ses innovations notamment en matière de mise en page révolutionnent le monde de la BD et lui valent en 1972 de nombreuses distinctions au plan international. Après avoir quitté le journal Pilote il fonde en 1974 la maison d'édition Les Humanoïdes Associés (en compagnie de Mœbius, Jean-Pierre Dionnet et Bernard Farkas) et le magazine Metal Hurlant consacré à la BD. 1976: création de décors pour le film The Sorcerer de William Friedkin et sortie de son album La Nuit.

J'ai tâché de condenser au maximum mais le CV de ce créatif polymorphe est aussi fourni que stupéfiant. Je vous encourage d'ailleurs à jeter un oeil à son site officiel. Mais retour à La Nuit. Cet album apocalyptique au nihilisme exacerbé a vu le jour dans un contexte dramatique pour l'auteur qui perd sa femme des suites d'une longue maladie (cancer du sein). Je vous balance le pitch. Dans un monde post-guerre atomique ravagé et décadent, des bandes anarchiques plus proches des zombis que d'êtres humains s'affrontent pour le contrôle de la dope. Leur quotidien? Se droguer, s'entretuer, se droguer, se bouffer entre eux, se droguer, baiser (la mort) et surtout... se droguer. Aucune échappatoire et une mort inéluctable. Voilà ce qu'a découvert Rémi Vaucher en 1990 et ce qui a décidé les Proton Burst à mettre en branle cet ambitieux projet d'adaptation, de mise en musique. La couverture et les illustrations du livret sont évidemment issues de la BD, de même que les textes.

Proton Burst a conçu La Nuit comme un opéra-rock qu'ils ont construit méticuleusement et qui s'est développé et enrichi au fil du temps. Subdivisé en 6 Mouvements pour les besoins du CD (pression du label?) il s'agit bel et bien d'une oeuvre à considérer globalement. Sortir un extrait de son contexte reste possible encore que ça soit peu pertinent. Partagée entre furie rythmique et passages ambiants, La Nuit exerce son pouvoir hypnotique, incitant tous ceux qui en font l'expérience à adapter à leur tour ce récit, à se faire leur propre film. Ecouter La Nuit c'est un peu ça, écouter un film. Son vocaliste/conteur/acteur/gourou, Rémi Vaucher, y est pour beaucoup. J'ai rarement eu l'occasion d'entendre un type aussi investi, possédé même. La richesse et la versatilité de ses vocaux (en français) donnent carrément vie à toute une tribu, à une galerie de personnages avec ses caractères et ses humeurs. C'est l'atout majeur de Proton Burst.

Axël Kriloff nous balance ses riffs comme autant de morceaux de ferraille rouillée à la gueule sur des tempo variables et changeants. La basse de Frank Delpierre a son mot à dire notamment en début d'album. Quant au batteur, Pavel Arsène, s'il donne parfois l'impression de suivre ses comparses plutôt que de présider les débats, il compense par un bon travail sur les percussions. A souligner le gros travail aux claviers et aux samples du 5ème homme qui n'était pas un membre permanent: Nicolas Repac. Sa contribution est essentielle et complète à merveille l'énorme boulot déjà abattu par Rémi Vaucher. Manquant d'éducation en matière de metal indus je serais bien en peine de vous baliser le chemin (Godflesh? Killing Joke?) ce qui s'avèrerait de toute façon inutile vu le caractère unique de l'oeuvre concernée. Proton Burst évolue quelque part entre l'ombre et l'inconscient collectif.

Notre but est de mettre au point des concerts qui seront plus longs que l'album leur servant de base (...) Nous aimerions développer des animations sur scène, par l'intermédiaire de jeux de lumières ou de projections de diapos. (...) Nous allons commencer à prendre contact avec des compagnies de danse. (...) Nous souhaiterions (...) intégrer le spectacle dans un collectif d'artistes, parmi lesquels nous ne serions que des intervenants. Mais tout cela est encore au stade de projet. / Rémi Vaucher dans le n°11 de février 1995 de Hard n' Heavy

Ce projet se concrétisera de façon aussi éclatante qu'inattendue pour la Casa de Bernarda Alba, une pièce de théâtre dramatique écrite en 1936 par l'auteur espagnol Federico García Lorca et mise en scène en 2007 par Anne Barlind, dont Proton Burst composera la musique. Quant à La Nuit, cet album culte a marqué son époque et tout ceux qui y ont été exposé. Si je vous dis que leur discographie quasi-entière est en libre écoute/téléchargement sur leur site officiel, vous n'avez plus d'excuses. Votre tour est venu.

Au coeur de la ville morte
La Nuit sortent les tribus...




Rédigé par : forlorn | 1994 | Nb de lectures : 2272