En 1996 Holy records sortait le 1er volume de sa Holy Bible ne comprenant que des titres inédits (mais qui ne le sont pas tous restés). Chose curieuse, pour ouvrir les hostilités, le label français a placé un groupe inconnu à la discographie inexistante: Yearning. L'écoute du morceau Autumn Funeral fût une révélation. En effet ce titre fantastique vola la vedette aux autres formations (Septic Flesh, Orphaned Land ou Elend par exemple, excusez du peu) provoquant une vague de réactions enthousiastes. Je ne m'attendais pas à un aussi gros coup de coeur, d'autant plus que c'était la 1ère fois que j'assistais à l'avènement d'un nouveau groupe. Rappelez vous l'adolescence, vos 1ères découvertes, l'attente fiévreuse d'un nouvel album... Mais avant toute chose, petit rappel historique.

En 1994, le multi-instrumentiste et chanteur Juhani Palomäki s'associe à l'excellent batteur Toni Kostiainen. Ce dernier suggère le soliste Tero Kalliomäki et le bassiste Petri Salo pour compléter la formation. Flegeton est née. Ayant déjà acquis une certaine maturité musicale (10 ans d'études en école spécialisée pour Palomäki) et accumulé de nombreuses compositions, le groupe ne perd pas de temps. L'année suivante, la Demo The Temple of Sagal parvient à Holy records qui les signe dans la foulée. Il s'agit de l'unique enregistrement officiel de Flegeton, les Finlandais se renommant Yearning (un ardent désir). Les 4 titres de cette Demo auront des destins différents. Le morceau-titre et In the Hands of Storm seront réenregistrés pour leur 1er album, tandis que Silent Caves et Obliteration ne seront exhumés qu'en 1999 sur le volume 3 de la Holy Bible.

Retour en 1996 et au titre Autumn Funeral. Pourquoi un tel engouement? Eléments de réponse. Au cours des années 90s, la scène metal underground européenne s'est diversifiée de façon incroyable en s'ouvrant à d'autres influences. De nouvelles perspectives apparaissaient. On découvrait que le metal pouvait se faire intimiste et raffiné jusque dans l'instrumentation, que la puissance combinée aux mélodies pouvait parfois dégager une intensité émotionnelle considérable. Yearning s'inscrit en plein dans cette mouvance. Les Finlandais enrichissent leur Doom épique grâce à de splendides parties de guitare acoustique, une basse très présente, des arrangements de claviers et de flûte, sans oublier des lignes de chant travaillées.

Yearning est plutôt une musique de sensibilité et d'humeur. Nous privilégions énormément les sentiments et les atmosphères. Juhani Palomäki dans le catalogue VPC Holy records de décembre 1996

C'est sous les meilleurs auspices que Yearning a pu composer son 1er album: With Tragedies Adorned. L’enregistrement s'est fait chez le producteur finlandais en vogue à l'époque: Ahti Kortelainen et son studio Tico-Tico (Impaled Nazarene et Sentenced entre autre). Avec le recul Juhani Palomäki dira regretter le choix des illustrations (sans oublier le boitier cristal jaune) et le caractère juvénile des photos du groupe dans le livret. C'est anecdotique et ça fait parti du charme de l'époque, d'autant qu'on est en plein dans le sujet. Contemplation et introspection, voilà les maîtres mots pour définir leur inspiration. Juhani Palomäki puisait dans ses obsessions, ses craintes pour ses textes, avec une nature omniprésente et souveraine en arrière plan.

With Tragedies Adorned se compose de 8 longs titres qui passent comme une lettre à la poste, grâce à un haut niveau de composition et un feeling à fleur de peau. 8 titres et autant d'hymnes, chacun possédant sa propre structure. Yearning est un groupe méticuleux et on retrouve ce soucis du détail dans leurs morceaux peaufinés et aboutis. Puissance, mélodies, beauté, souffle épique, mélancolie, (dés)espoir, douleur, résignation... leur musique illustre bien des sentiments. J'ignore qu'elle est la part prise par Tero Kalliomäki dans la composition et l'interprétation, mais le travail des guitaristes sur cet album est mémorable. Le sceau de Yearning c'est cette alternance de rythmiques Doom et d'entrelacs mélodiques, ce mélange d'électricité et de passages acoustiques omniprésents et parfaitement intégrés.

J'ai toujours trouvé que la basse ne prenait pas assez de place dans le metal, tant dans le processus créatif que le mix. Sur With Tragedies Adorned, Petri Salo a toute latitude pour s'exprimer et enrichir de façon significative la trame des morceaux, comme sur l'éprouvant Release (illustrant les derniers instants et le passage à l'acte d'un suicidé). Le batteur Toni Kostiainen est doué et il le sait. On le lui dira probablement un peu trop au vu de ses excès futurs, mais sur cet album sa technique est au service des compositions. Son boulot est vraiment remarquable. Ecoutez ses performances sur Flown Away ou The Temple of Sagal par exemple.

Juhani Palomäki avait un grand sens de la musique et savait utiliser à bon escient claviers et arrangements. Ils ne sont pas systématiques et plutôt bien dosés, passant parfois au 1er plan, comme sur le final apocalyptique de Bleeding for Sinful Crown. C'est quelque chose qu'il développera dans le futur. J'ai toujours pensé que ce compositeur brillant aurait pu nous proposer des oeuvres en dehors de la sphère metal (BOF, néo-classique, dark ambiant). Quant aux parties de flûte, elles sont l'oeuvre de Tiina Ahonen, musicienne de session, qui se chargera des claviers lors de certains concerts (je regrette d'avoir loupé leur tournée avec Nightfall, SUP et Misanthrope) avant de devenir membre permanent.

Quant au chant... Juhani Palomäki apporte énormément de variations et de nuances, n'hésitant pas doubler ses parties, à multiplier les pistes et à utiliser les vocaux death. Si ses détracteurs (il y en a) peuvent avancer que maîtrise et justesse ne sont pas toujours au rendez-vous, je reste moi très client de son chant et de ses parti-pris, d'autant qu'il a révélé être malade lors de l'enregistrement et que ses progrès seront notables sur les albums suivants. Sa signature vocale est reconnaissable et contribue en grande partie à façonner l'identité de Yearning. Ecoutez le refrain d'In the Hand of Storm ou la sublime introduction a capella de Canticum...

La conclusion? A l'instar du Widow's Weeds de Tristania, ce 1er opus de Yearning se distingue de ses successeurs car il est moins sophistiqué et plus directement relié à la sphère Doom. Si chaque album de Yearning possède sa personnalité, ses qualités propres, je crois bien que mon préféré reste ce With Tragedies Adorned. Il a eu un énorme impact sur moi à l'époque. Il y a des choses que les mots ne peuvent décrire et rien ne remplace le vécu. With Tragedies Adorned est un très grand album et l'un de mes classiques personnels.


Rédigé par : forlorn | 1997 | Nb de lectures : 1927