Au printemps 1998, je constatais une discrète mais très élogieuse promotion faite autour d'un nouveau venu sur la scène gothic doom norvégienne: Tristania. Convaincu par la chronique de Laurent Michelland dans Metallian et les commentaires présents dans le catalogue VPC d'Holy records, je décidais de foncer et d'acheter conjointement l'EP et le 1er album sans avoir entendu la moindre note. C'était casse-gueule, mais dès les premières mesures j'ai compris pourquoi les autrichiens de Napalm records (plutôt orienté black/viking à l'époque) s'étaient empressés de les signer: la qualité de composition et la maturité du style pratiqué par ce jeune groupe étaient impressionnantes.

L'EP éponyme (parfois nommé Remake) est une réédition de leur Demo dont les 500 copies ont vite été écoulées. Il contient 4 titres: Midwintertears et Pale Enchantress seront réenregistrés pour figurer en bonne place sur Widow's Weeds, tandis que Sirene et Cease to Exist seront inclus en bonus de rééditions avant de paraître sur une compilation en 2001 puis dans le pack compil + DVD sorti en 2005. Mais place à la musique...
Articulés autour du duo de compositeurs Morten Veland (vocals/guitars) et Einar Moen (synths/programming), le sextet nous embarque dans une symphonie doom épique, lyrique et nostalgique que j'ai trouvé époustouflante à l'époque. Certes on pourra objecter que la production de Gunnar Tønnesen privilégie les orchestrations aux guitares qui manquent de pêche et sont trop en retrait dans le mix (de même que les vocaux), mais rien de méchant, surtout que ces bémols seront corrigés sur Widow's Weeds.

Un mot sur les inédits. Les Norvégiens démarrent très fort avec Sirene, un instrumental orchestral et épique digne de figurer sur une BO d'heroic fantasy ou de fiction historique et qui forme un prologue idéal à Midwintertears. On notera au passage que Morten Veland n'est pas allé chercher bien loin le nom de son nouveau groupe après s'être fait lourder. Quant à Cease to Exist, c'est une autre belle surprise. Sûrement l'un des titres les plus méconnus des Norvégiens, il est à mon sens l'un de leurs meilleurs. Les guitaristes délaissent les rythmiques doom pour développer une facette plus gothique de leur jeu. L'entrelacs de mélodies et de parties de basse est absolument génial, avec une utilisation de l'E-bow rappelant Theatre of Tragedy. Du bel ouvrage, surtout en rajoutant la finesse des parties de batterie, les samples et le chant angélique de Vibeke Stene.

Cease to Exist: https://www.youtube.com/watch?v=5Pj9mOsp3cE

Tristania propose donc son 1er album au printemps 1998: Widow's Weeds. Cette fois ci la production a été confiée à un autre inconnu (mais qui n'allait pas le rester): Terje Refsnes. La réussite de cet album l'a révélé, le Soundsuite devenant un lieu de passage quasi obligé pour nombre de formations scandinaves (y compris après sa délocalisation à Marseille). A noter qu'on a tendance à résumer ce producteur à la vague gothic metal norvégienne alors qu'à l'origine son travail concerne plutôt des groupes de black comme Carpathian Forest ou Gehenna. Fin de la parenthèse. Sur cet album il a: réduit la place des claviers et des arrangements, qui sont moins systématiques mais mieux utilisés, boosté le son des guitares et augmenté la place du chant dans le mix. C'était les choses à faire, l'album y gagne en consistance et en relief.

Terje Refsnes a certes baissé le volume de la section rythmique dans le mix, mais on profite toujours des parties de basse de Rune Østerhus (Midwintertears ou My Lost Lenore) et du jeu tout en subtilités du batteur Kenneth Olsson (frère de Tommy, guitariste d'Elusive et Theatre of Tragedy sur Aegis). Les guitaristes Morten Veland et Anders Høyvik Hidle ont concentré leur taf sur la rythmique (et les vocaux), hormis quelques parties acoustiques (notamment sur December Elegy) et gothiques sur Angellore, les mélodies sont confiées à Einar Moen, dont le boulot est plus discret mais paradoxalement plus important. Entre les parties piano/claviers, les divers arrangements et samples, il a de quoi faire. A signaler l'excellent travail du violoniste Pete Johansen (The Scarr, The Sins of Thy Beloved) futur collaborateur régulier de Tristania et mercenaire habitué des productions Napalm.

La grosse nouveauté sur Widow's Weeds, le progrès majeur accompli par le groupe, c'est le travail sur le chant. Les vocaux extrêmes sont plus nuancés et surtout les pistes ont été multipliées. Il y a une véritable chorale de poilus qui 'grunte', ce qui apporte une puissance et une profondeur certaine à l'album. A noter le chant clair déclamatoire et monocorde d'Østen Bergøy (auquel je n'accroche pas personnellement) sur le titre Angellore. Il rejoindra Tristania à titre permanent en 2001. Passons maintenant à l'atout charme: Vibeke Stene. Son chant lyrique est mieux exploité que sur l'EP et elle est secondée sur Evenfall par une chorale mixte. Quant à ses performances pleines de grâce et de classe, il suffit de jeter un oeil au Widow's Tour pour constater qu'elle s'adapte parfaitement au concept de Tristania (contrairement à certaines de ses collègues) ce qui lui permettra de faire un tour du côté de chez Green Carnation.

Le Tristania des débuts (période 1997/98) est certes moins sophistiqué que le reste de leur discographie, mais il est nettement plus attachant de par sa fraîcheur et sa qualité de composition. Widow's Weeds est également le seul qu'on peut rattacher à la sphère doom (lourd/lent). A noter que leurs débuts coincidaient avec la fin d'une époque. Leur évolution sera nette dès l'opus suivant: Beyond the Veil. Pour ceux qui souhaiteraient un peu de rab du Tristania originel, je ne peux que leur conseiller une fois de plus d'aller tester le Widow's Tour, le complément live obligatoire.



December Elegy: https://www.youtube.com/watch?v=tVCc_CUeXmY


Rédigé par : forlorn | 1998 | Nb de lectures : 2078