En cette première moitié des années 90, âge d'or du death metal pour certains (dont je fais partie pour une raison fort simple : c'est l'époque où j'ai découvert ce style, un bon paquet d'albums majeurs venaient de sortir et les premières expérimentations pointaient le bout de leur nez crochu), il ne faisait pas spécialement bon être norvégien. La déferlante growlisante semblait en effet avoir épargné les habitants de ce joli pays qui ne tarderait pas à se distinguer à travers un autre style (je parle évidemment du zouk, je ne vous apprends rien...) et pour se repaître des douces mélopées de ses fers de lance, il valait mieux se tourner vers les vastes Etats-Unis (tout particulièrement la Floride) ou la chaleureuse Suède. Bref, rien de bien folichon à se mettre sous la dent en Norvège à ma connaissance.

CADAVER, groupe de death metal norvégien, donc, avait bien sorti un premier album passé totalement inaperçu ("Hallucinating Anxiety", dans un style plutôt académique) et nous offrait ici sa seconde réalisation. Le succès ne serait malheureusement pas plus au rendez-vous, malgré l'approche radicalement différente de l’œuvre... Mais peu importe ! Nous sommes ici pour nous souvenir, alors souvenons-nous !

Je me souviens que c'est grâce à la FNAC que j'ai découvert ce groupe singulier (comme quoi, il ne faut jamais douter de rien), non pas que j'aie pu repérer cinquante exemplaires d'« ...In Pains » en tête de gondole dans mon cher magasin toulonnais, mais les plus jeunes seront sans doute surpris d'apprendre qu'au début des années 90, les vénérables agitateurs (de pognon) sortaient des albums et compilations de metal via leur label FNAC MUSIC. Eh oui ! Souvenirs émus des albums de CRUSHER, LOUDBLAST, NO RETURN... et des deux compilations MASTERS OF BRUTALITY ! C'est sur la deuxième de ces compils que j'ai pu tomber sur le morceau « Mr. Tumour's Misery », tiré d'« ...In Pains ». Et quelle joie ! Mais quelle surprise, aussi ! Car aussi éclectique l'ensemble fût-il, le morceau de CADAVER fut l'un de ceux qui me marquèrent le plus lors de mes premières écoutes. Il s'en dégageait une atmosphère véritablement unique que je ne retrouvais pas ailleurs (et ne retrouverai pas par la suite, y compris dans les productions ultérieures du groupe). Je me mis donc en quête de l'album complet, ce qui ne fut pas chose facile... je trouvai finalement mon bonheur grâce à un petit disquaire local qui réussit à me commander, pour la modique somme d'un rein, la précieuse cassette qui me procurerait tant de bonheur par la suite. L'attente fut longue... d'ailleurs, entre-temps, la chronique de l'album avait été publiée dans un célèbre magazine dont nous tairons le nom et qui faisait un peu la pluie et le beau temps à l'époque, et elle était loin d'être élogieuse... M'étais-je trompé ? Le seul morceau que je connaissais et trouvais excellent n'était-il qu'un appât destiné à me faire acheter un album dispensable ?

Que nenni ! Car l'intégralité d'« ...In Pains » s'avère à la hauteur ! Une musique qui doit finalement autant au death metal qu'à d'autres styles voisins et à un sens de la composition fort singulier, complexe tout en restant accessible à tout amateur de metal « violent » (la production est d'ailleurs parfaitement... parfaite pour le style). C'est propre, carré, relativement technique sans être outrancier, très remuant, mais aussi (et c'est là toute la force de l'album) souvent surprenant ! Au fil de tous ces merveilleux morceaux, CADAVER tape là où on ne les attend pas forcément. A travers un riff qu'on a déjà entendu un peu plus tôt mais qui revient, arrangé différemment, à travers une batterie qui, après les avoir épaulées de façon conventionnelle, fusionne avec les guitares pour une efficacité redoutable, à travers l'utilisation conjointe d'une basse et d'une contrebasse (avec ou sans archer), à travers un petit air de flûte oppressant qui n'a rien de folk, à travers le choix de vocaux bien plus proche du black metal que des standards du death... C'est aussi groovy et malsain, insidieux. On sent que le propos de CADAVER n'est pas de pondre l'album le plus bourrin de la création comme certains de leurs camarades de l'époque, mais bien de créer une musique ultra-personnelle qui restera ancrée dans nos petites cervelles jusqu'aux heures les plus sombres de la nuit. Certains illuminés ont évoqué à l'écoute de cet album un feeling dépressif ou je ne sais pas trop quoi... Je dirais pour ma part que CADAVER pratique, aussi bien dans sa musique que dans ses textes, une forme d'humour très, très noir, presque cynique. Naturellement, ce n'est que mon ressenti personnel et certains ne seront pas d'accord. Tant pis pour eux !

C'est sans doute parce que la musique de CADAVER sur « ...In Pains » requiert justement de s'y plonger avec une certaine forme de dévotion que beaucoup seront passés à côté à l'époque de sa sortie, ce qui entraînera un flop commercial, et, à terme, le split du groupe (qui se reformera, changera sensiblement de nom, de style, splittera à nouveau...). Ce n'est pas un album qui dévoile ses richesses au bout de deux écoutes, il m'aura fallu des mois pour réellement me l'approprier, il aura fallu qu'il m'accompagne à travers certaines étapes pas toujours roses de mon adolescence (on ne se met pas à écouter ce genre de musique par hasard, n'est-ce pas ?) pour que j'en ressorte avec ce sourire sarcastique qui me va si bien au teint. Aucun autre album catégorisé « death metal » ne m'a jamais fait cet effet... En revanche, j'ai déjà ressenti des choses pas si éloignées en écoutant du black (un coup d’œil au palmarès de la plupart des membres du groupe ne fait que renforcer cette analogie), du funeral doom ou du sludge.

Je ne me fais pas d'illusions, ma chronique ne changera pas la donne en ce qui concerne ce groupe désormais mort et enterré (ça m'étonnerait fort qu'Anders Odden, unique membre à avoir participé à l'aventure CADAVER du début à la fin, s'entête au point de le ressusciter une nouvelle fois) et Earache ne rééditera sans doute pas « ...In Pains » de sitôt (du coup, bonne chance pour vous le procurer en CD à un prix correct, j'en ai fait les frais il y a quelque temps et j'en suis ressorti grandi !), mais bon... j'avais simplement envie de rendre hommage à cet album unique en son genre qui aura toujours une place à part dans mon petit cœur meurtri... les autres n'auront rien compris, évidemment !


Rédigé par : Nekobibu | 1992 | Nb de lectures : 2050