L’Allemagne a toujours été un pays qui a enfanté de grands combos de metal et de Hard Rock. A ce niveau-là, les Teutons ont une sacrée longueur d’avance sur nous quand on voit le nombre d’albums qu’ils sont arrivés à vendre dans le monde entier.
On peut penser ce que l’on veut de Scorpions par exemple, mais ils ont quand même réussi à hisser « Still loving you », « Wind of change » et « Rock you like an huricane » au panthéon des hits metal définitifs.
Beaucoup de ces célèbres groupes chantaient en anglais car au vu de la sonorité de la langue de Nietzsche, ils pouvaient peut-être penser que chanter en germain n’était pas super bancable pour l’exportation.

«Beaucoup de compatriotes me disent : « Ach Klaus ! Il est temps de chanter en allemand car vous l’avez fait en français, en russe et en espagnol. J’adore ma langue maternelle mais l’anglais est international et colle bien à la musique rock. »

Klaus Meine « Scorpions » 1992

Le vieux Klaus n’avait pas tort quand il parlait de l’anglais comme langue « préférentielle » pour le rock. Il semblait douter que l’allemand chanté pourrait franchir les frontières. Avec les années, un groupe allait lui prouver le contraire en étant les plus gros vendeurs dans le monde de musique chanté dans la langue de Bach. Ce groupe allait être Rammstein.

Le premier album avait fait à l’époque pas mal de bruit en France.
La pochette était déjà en elle-même un petit électro-choc.
Six bonhommes tous muscles dehors avec une fleur orange en arrière-plan.
Petite connotation homosexuelle et surtout première polémique pour le groupe accusé rapidement d’être rattaché à des mouvances d’extrême droite.
Afin de couper court à ces rumeurs, le groupe publiera en France la traduction de ces textes dans le livret (fait assez rare pour être souligné et qui créera des liens entre la France et le groupe).
On a pu donc s’apercevoir que le groupe ne délivrait pas de messages racistes.
Till Lindemann (le chanteur) écrivait des textes traitant surtout des rapports amoureux (sous des angles assez particuliers certes).
La première fois que j’ai lu les lyrics, j’ai cru que la chanson « Rammstein » traitait de l’holocauste.
En fait elle parlait d’une catastrophe arrivée sur la base aérienne de Ramstein qui est une ville allemande où c’est écrasé un avion qui a fait de nombreux morts (c’est l’origine du nom du combo).
Les paroles étaient une chose, mais il restait la musique et la première fois que j’ai écouté ce groupe, cela m’a glacé le sang.
Rythme industriel quasi militaire, voix grave et sinistre, batterie marteau-pillon et riffs acérés. L’ensemble était glacial, sombre et à la limite du dérangeant. L’emploi de la langue allemande rajoutait une touche très dure à cette ambiance déjà dantesque.

Je n’ai pas tout de suite adhéré à leur musique mais j’y suis rapidement revenu car le groupe avait vraiment une identité particulière et possédait un « charme » indéniable.
Je n’ai pas compté le nombre de fois où j’ai entendu :
« Ca fait vraiment facho comme musique. ».
Eh ben quoi ? Un groupe allemand n’a pas le droit de faire du metal chanté en allemand ?
Je comprenais néanmoins ce que ces gens-là voulaient dire.
Dans l’inconscient collectif, entendre brailler en allemand ne rappelait pas forcément de très bons moments de l’Histoire.
Cependant, cela posait aussi des questions intéressantes.
Si Rammstein avait chanté en anglais, personne n’aurait été choqué.
Je suis aussi persuadé que s'ils avaient chanté dans la langue de la perfide Albion, ils auraient été aussi beaucoup moins intéressants. Dans un univers musical où l’uniformité est de plus en plus de mise, il a fallu une paire de couilles à Rammstein pour avoir la volonté de chanter dans leur langue maternelle.
Il y a longtemps, Brassens chantait dans « les deux oncles » :

« Maintenant que vos controverses se sont tues
Qu'on s'est bien partagé les cordes des pendus
Maintenant que John Bull nous boude, maintenant
Que c'en est fini des querelles d'Allemand

Que vos filles et vos fils vont, la main dans la main
Faire l'amour ensemble et l'Europe de demain »

Ils ont bien fait après tout… mais je m’égare.
Car fi des considérations d’un ordre sociologique et culturel, ce premier album est avant tout un putain de bon album de metal industriel particulièrement stylé.
« Wollt Ihr das Bett in Flammen sehen» entamait l’album en nous mettant direct dans l’ambiance. Chanson particulièrement percutante elle définissait un peu le style du groupe et son identité musicale.
« Der Meister » maintenait la cadence avec une ambiance plus metal que pour le titre précédent. « Weisses Fleisch » commençait avec une introduction tout simplement excellente qui faisait monter crescendo la sauce avant que ne déboule un riff répétitif et dévastateur qui servait un refrain immédiatement mémorisable. Un surprenant petit solo au milieu et l’affaire était dans le sac.
« Asche zu Asche » montait encore d’un cran en balançant direct un riff très classique dans sa forme mais détruisant tout sur son passage. La chanson se hissait direct dans les meilleures de l’album et ne ralentissait pas avant que « Seeman » ne commence.
Faisant découvrir une autre facette du groupe, cette chanson paraissait un peu incongrue avec son intro en son clair et la voix chantée de Till.
Lorsque déboulait la guitare cela redevenait crade et au final la chanson faisait mouche. « Du riechst so gut », grâce une fois de plus à une intro tonitruante, était une superbe démonstration de force. Refrain imparable, pont tout simplement génial et ambiance propice à l’imagination : tout était réuni. La chanson sera traduite en image dans deux clips différents. Le premier assez simple, très en lien avec l’esthétique de la pochette. Le second, beaucoup plus ambitieux, donnant un aspect plus romantique à la chanson.
« Das alte Leid » avec son tempo pachydermique et son rythme très haché nous enfonçait le thorax en amenant un groove très intéressant même si les ambiances étaient un peu délaissées au profit de la lourdeur.
« Heirate mich » (épouse-moi) débutait avec la voix seule de Till sur des samples particulièrement sombres. Très bien écrite, la chanson fonctionnait très bien grâce à plusieurs rebondissements enrôlés de passages où Till chantait comme un véritable dément.
Il convient d’ailleurs de souligner que le bonhomme privilégiait l’interprétation au profit de la technique. En ce sens-là, Till utilisait sa voix comme un vecteur d’ambiance et d’émotion plus que comme un outil mélodique.
Rapidement d’ailleurs, le groupe sera accusé d’être trop influencé par un autre grand groupe de Métal industriel slovène : Laibach.
Difficile quand on connaît Laibach de nier l’influence qu’ils ont eu sur l’ensemble de la musique industrielle (Ministry y compris) et donc sur Rammstein.

« Nous sommes un peu le Rammstein mais pour adultes. »
Milan Fras « Laibach »

Ce sacré Milan (avec la condescendance qui le caractérise souvent) ne vexera pas les Rammstein qui ont toujours reconnu l’influence des joyeux Slovènes.

« Herzeleid » commençait « doucement » avec une fois encore la voix récitative de Till couplée à des riffs simples et hachés. Très métal et lugubre la chanson ouvrait la voie à «Laichzeit » très dansante et groovy.
Aujourd’hui les sons synthétiseurs utilisés dans ce morceau font un peu datés mais il reste quand même difficile de ne pas taper du pied lorsqu’on l’entend (ou bien de taper comme Till sur ses cuisses comme un sourd).
« Rammstein » clôturait l’album sur un beat particulièrement lourd et malsain. Le riff est une fois de plus simple mais immédiatement mémorisable et tranchant comme une lame de rasoir.
Le célèbre réalisateur américain David Lynch aidera d’ailleurs bien les Teutons en utilisant dans son cultissime film « Lost Highway », plusieurs petits passages extraits de cet album. Le clip qui illustrera la chanson entrecoupera d’ailleurs des images live du groupe et des séquences du film.
Grand amateur d’indus devant l’éternel (Lynch a même eu un groupe à lui), le génial réalisateur les aidera à se faire connaître d’un public « cinématographique », amateur d’images étranges et de musiques distordues.
Le groupe aura donc quelques alliés inattendus qui les aideront à entrer dans le pays de l’oncle Sam par la grande porte.
Au final, ce « Herzeleid » reste un album très réussi et très abouti.

On va se quitter comme d’habitude avec quelques lyrics de Rammstein, et avec la traduction en français pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue de Goethe. « Du riechst so gut » :

« Der Wahnsinn
Ist nur eine schmale Brcke
Die Ufer sind Vernunft und Trieb
Ich steig dir nach
Das Sonnenlicht den Geist verwirrt
Ein blindes Kind das Vorwrts kriecht
Weil es seine Mutter riecht

Die Spur ist frisch und auf die Brcke
Tropft dein Schweiss dein warmes Blut
Ich seh dich nicht
Ich riech dich nur ich spre dich
Ein Raubtier das vor Hunger schreit
Witter ich dich meilenweit

Du riechst so gut »

« La folie
N'est qu'un petit pont
Dont les rives sont la raison et l'instinct
Je monte vers toi
La lumière du soleil m'embrouille l'esprit
(Comme) un enfant aveugle qui lutte vers l'avant
Parce qu'il sent sa mère

Je te trouve
La trace est fraîche et sur le pont
Gouttent ta sueur, ton sang chaud
Je ne te vois pas
Je te sens seulement, je te flaire
Une bête sauvage qui crie de faim
Je te sens à des lieues à la ronde
Tu sens si bon »


Rédigé par : pamalach77 | 1996 | Nb de lectures : 2578