"Remember" est le lieu idéal pour raviver la mémoire des groupes français les plus intéressants comme l'est CARCARIASS, formé en 1991 à Besançon. Leur carrière s'est arrêtée à trois albums, nous allons ici faire honneur au deuxième. Après avoir connu quelques changements de line-up dans ses premières années, le groupe s'était stabilisé sur une formule trio assez rare dès 1993, avec un bassiste-chanteur. La ressemblance du nom avec l'une des plus grandes références de la scène anglaise n'est pas du tout un indice concernant la musique. D'ailleurs, la question était posée à chaque interview et le groupe répondait systématiquement que CARCASS n'était pas une influence prépondérante (encore moins le groupe quasi homonyme CARC(H)ARIAS).
"Sideral Torment" était donc le second essai publié chez un label suisse, qui avait très rapidement suivi le premier nommé "Hell on Earth" et paru seulement un an auparavant. De prime abord, la pochette faisait encore très amateur et hors des sentiers battus pour un groupe estampillé Death Metal. Il faut y distinguer une espèce de planète qui vole en éclats, dans des couleurs peu habituelles. Au revers, l'illustration complète la scène mais on est surtout frappé par – enfin – un premier indice : la longueur des huit morceaux oscille entre quatre et neuf minutes ! Un tel choix artistique était fièrement revendiqué puisque ces durées sont affichées en caractères aussi gros que les intitulés des morceaux.

Une fois appuyé sur "play", la dissemblance avec la bande de Bill Steer est confirmée instantanément. C'est du Death, oui, mais il n'y a rien de commun avec aucun des albums de Carcass. En fait, CARCARIASS jouait un Death Metal mélodique et assez technique, au chant très grave et aux titres étonnamment longs. Certains critiques ont alors associé CARCARIASS à l'école mélodique de Suède. On peut tout au plus trouver des similitudes avec EDGE OF SANITY, s'il faut vraiment leur faire plaisir. Mais évoquer une parenté avec DARK TRANQUILLITY ou IN FLAMES était une erreur susceptible d'égarer les fans. Hors l'orientation mélodique fondamentale, il n'y a pas d'air de famille avec ce que faisait la scène de Gotebörg à l'époque (rappelez-vous que nous sommes en 1998).

C'est l'influence de DEATH qui est plus forte. En effet l'orientation mid-tempo est servie avec une approche très technique et des lignes mélodiques très semblables. Cette affiliation est encore renforcée par la touche très Heavy des riffs et surtout ces nombreux, interminables, moulinés et brillants soli de guitare. En interview, le guitariste Pascal Lanquetin confessait volontiers une nette préférence pour le Heavy, à l'instar de Chuck Schuldiner sur la seconde partie de sa carrière. CQFD. Plus largement, les Francomtois avaient indubitablement puisé une part de leur inspiration dans la scène Techno Death des années précédentes, tout en se gardant bien de devenir aussi démonstratifs et encore moins expérimentaux. Et c'est là, dans cette démarche technique, mélodique et soucieuse de ne jamais oublier de faire mal que la parenté avec le CORONER de la période "No More Color" est beaucoup plus certaine, sans préjuger de l'orientation Death Metal. Encore un lien avec la Suisse voisine. Et il faut aussi noter que cet album-ci de Coroner avait été justement réalisé au Morrissound ; autrement dit dans l'antre du père Schuldiner et d'une bonne partie de la vague Techno Death. Et nous n'en avons pas fini avec la connexion floridienne !

Car un autre trait très marquant de "Sideral Torment" est le contrepoint entre ce Death très mélodique et des vocaux très graves. C'est là le dernier vestige de la première orientation plus brutale que le groupe avait recherché dans ses premières heures, avant de l'abandonner. La surprise est réelle lorsque les vocaux de Raphaël Couturier déboulent après la longue accroche de "Distributed Thinking". Cette particularité donne à la musique de Carcariass un ton très sombre et crée à elle seule une constante impression de lourdeur appréciable, mais qui ne tient en réalité qu'à cet effet. Si le style des morceaux s'inspire de la scène floridienne sans la plagier, le trio a incontestablement cherché à y ressembler beaucoup plus franchement. L'équilibre est parfait entre d'une part la longueur des titres et la lourdeur des vocaux, la facilité des mélodies d'autre part. Avec l'instrumental "Void Attraction" qui vient intelligemment relâcher la pression en milieu d'album, l'apport des vocaux au reste de l'album devient clair, de par leur absence. En effet, ce titre médian devient plus léger, plus épique et presque euphorique par moments alors qu'il est en réalité musicalement totalement semblable aux autres morceaux.

La production était d'ailleurs l'œuvre de Stephan Kraemer, qui a notamment collaboré aussi avec LOUDBLAST, ARTSONIC et surtout GOJIRA puisqu'il a réalisé le mixage du mythique "Terra Incognita" trois ans plus tard. Cependant, le son donne un petit coup de vieux comme l'avait fait la pochette. C'était les derniers temps où la différence avec les grands groupes professionnels signés sur de gros labels était cruellement sensible sur ces deux plans. En quelques années, les progrès de l'informatique ont beaucoup estompé cet écart mais ce progrès n'était pas encore fait pour lors en 98. La production de "Sideral Torment" est tout à fait correcte pour un groupe amateur de l'époque, mais elle serait critiquée si elle sortait aujourd'hui.

L'humour gras des interviews se retrouve aussi dans les textes. Le titre "Die Anal", par exemple, traite de la mort de la Princesse de Galles… "Insect Killers" bombarde les gourous manipulateurs des sectes. Mais Carcariass élève le débat lorsque d'autres thèmes sont abordés comme la puissance de l'Empire Romain, le massacre des Indiens d'Amérique, la conquête de l'espace (qui inspire également la pochette), les nouvelles formes d'échange d'idées, etc.

"Sideral Torment" offre un excellent compromis entre classicisme et originalité. C'était l'un des premiers groupes à montrer que la France pouvait apporter quelque chose à la scène extrême avec des groupes qui cultivaient une personnalité propre. C'est un disque riche, qui parvient à donner cette intensité différente de celle du Brutal Death comme l'espéraient ses auteurs. Quelle que soit la destinée qu'ont pris par la suite les trois membres, ils peuvent en être fiers.
L'album a été très bien accueilli par la critique (indépendamment des comparaisons erronées), y compris à l'étranger. Par exemple, il obtint un 9/10 dans Terrorizer. Signe que les temps changeaient. Je me rappelle avoir lu sur un webzine étranger – dont j'ai oublié la référence, pardonnez-moi – il y a quelques années une chronique réalisée plusieurs années après la sortie de "Sideral Torment", commençant par affirmer qu'il y avait enfin des groupes intéressants venant de France... Quelques années plus tard, après la sortie de l'excellent "Killing Process", j'avais pu les voir en concert respectivement en 2002 et 2003. Depuis, le groupe n’a pas laissé tomber mais son activité suit un rythme assez lent… Un second guitariste rythmique a été intégré et la préparation d’un quatrième album serait en cours.

Quant à vous ô lecteurs, il ne coûte rien d'essayer ! En effet, le groupe a laissé ses deux premiers albums en téléchargement libre et gratuit sur son website. Vous aurez donc celui-ci et son prédécesseur, très similaire bien que moins abouti, proposant quelques passages acoustiques comme seule petite variation. Allez, zou ! On clique.

Website : http://www.carcariass.com


Rédigé par : RBD | 1998 | Nb de lectures : 2520