ARCTURUS – La Masquerade Infernale (Candlelight) - 28/10/2007 @ 10h28
En cette année 1997, l’avenir se profilait devant moi : sombre et lumineux. Je venais de découvrir un vaste territoire sonore jusqu’alors inédit : le gouffre palpitant du Black Metal Symphonique, et j’avais l’impression de faire partie de ces rares privilégiés, de cette élite qui alimente la naissance d’un courant en l’abreuvant de sa ferveur.

C’est d’abord par "Dusk and Her Embrace" de Cradle Of Filth, que je suis venu au monde des ombres, puis ensuite, et à peu de temps d’intervalle, par "Enthrone Darkness Triumphant" de Dimmu Borgir. Mais l’album qui m’a véritablement happé à jamais dans les courants obscurs de la musique extrême c’est "Anthems To The Welkin At Dusk" d’Emperor : un album qui atteint des sommets émotionnels auxquels aucune autre forme d’art ne pourrait prétendre : l’incarnation musicale d’une sainte trinité : puissance, noirceur, beauté... Je me permet d’exposer ces quelques éléments biographiques – dont certains, je les entends déjà râler, diront qu’il n’en n’ont strictement rien à faire – car je pense que mon parcours n’est pas unique et que certains lecteurs, ceux qui ont découvert le Black Symphonique à peu près à la même période que moi, ont probablement vécu une expérience similaire et pourront donc se reconnaître dans cette petite histoire...

Donc, en cette année 1997, voilà ce à quoi se résumait ma conception du Black Metal Symphonique : du rapide, du violent, du démesuré, du sombre, du haineux. La plénitude dans l’abrutissement. Le beau dans le laid. La passion dans la haine... Orgasme des sens sur le mur du son. L’exploration de ce territoire chaotique empli d’émotions nouvelles avait levé en moi l’envie d’aller à la rencontre d’autres groupes de cette obédience : j’étais poussé par le désir de revivre le séisme émotionnel que la première écoute d’un Anthem ou d’un EDT avait provoqué sur mes fondations. Pour élargir le cercle de mes découvertes, j’épluchais donc méticuleusement les catalogues d’Adipocere fournis avec un magazine qui avait plus que largement contribuer à faire sortir cette musique de son cercle confiné : Metallian. Dans ledit catalogue, les albums emblématiques étaient annotés pour leurs qualités. C’est ainsi qu’un groupe nommé Arcturus attira rapidement mon attention : il portait en effet le commentaire élogieux de "Black Metal Symphonique Fantastique"...

Tout pour me plaire...

L’album fut commandé dans les plus brefs délais et reçu quelques jours plus tard. En une (sombre) après-midi d’hiver, plein de toute l’excitation préludant à un grand évènement, j’insérais donc "La Masquerade Infernale" dans la platine de mon lecteur. Je pressais la touche play et fermais religieusement les yeux, frissonnant d’avance à l’anticipation de ce déluge de décibels extatique qui n’allait pas manquer de m’élever vers de nouveaux cieux de tempêtes.

...Un son étrange de morphing émergea des enceintes, suivi de quelques accords plaqués par une guitare en son clair et d’une voix bizarre qui me fit penser à celle d’un lutin tombé tout au fond d’un puits. Curieuse mise en bouche...

Je tiquais, poursuivant néanmoins mon écoute. L’intro monta peu à peu en intensité pour dissiper un instant mon malaise... Le crescendo continua de progresser… de progresser...

Je serrais les dents, prêt à encaisser le choc électrique tant attendu...

...Et là, catastrophe...

...Une batterie décharnée tricotant gentiment de la double, deux voix graves qu’on aurait dit prisonnières d’une boîte à chaussure et qui, comble du sacrilège, chantaient en claire... Une guitare à la saturation plus légère que de la dentelle de demoiselle...

Telles furent les notes qui scellèrent ma déconfiture... Je m’étais préparé à monts et merveilles...je tombais de très très haut, me cassant le nez (ou plutôt, les oreilles) sur une espèce de bouillabaisse sonore insipide, sans nom...

Du « Black Symphonique Fantastique », ça ?

Ma désillusion était inversement proportionnelle à la fébrilité qui avait précédé cette première écoute et elle allait de paire avec une frustration qui me faisait sérieusement remettre en cause les aptitudes musicales des gars d’Adipocere. J’allais même jusqu’à me demander s’ils ne s’étaient pas trompés d’album dans leur notation...

Je zappais pour passer à la seconde plage, espérant que ce préambule raté n’était dû qu’au fait d’une erreur de mauvais goût de la part du groupe...

Second titre. Un morceau instrumental. Entièrement instrumental... Et long en plus. Au bout de 3 minutes, le sang bouillant dans mes veines de ne pas avoir reçu sa dose de métablast, je zappe à nouveau, franchement agacé...

Troisième titre. Tempo lent. Ambiance bizarre. Voix de clown avec un orgue de barbarie qui joue derrière... On se croirait dans un cirque. Ne manque plus que les nains qui jonglent et les éléphants qui trompent énormément. Moi aussi, pour le coup, je "trompe" : mon agacement a monté d’un cran et il menace d’atteindre le dangereux seuil de non-retour.

Je continue à survoler ainsi le CD, recherchant désespérément ma nicotine sonore faite du goudron suintant de vitesse et de violence... Mais rien à faire... Je trébuche de déceptions en déceptions. J’attendais une voix déchirée hurlant à la nuit comme les loups au crépuscule : voilà qu’on me sert des voix claires aux accents théâtrales... Je voulais de la haine expédiée à grand renfort de riffs dévastateurs et de batterie supersonique : j’ai l’impression d’un énervement dégonflé, mou, raté... Je m’étais préparé à une production dévastatrice qui se graverait au fer rouge sur mes tympans : j’ai le droit à une batterie en retrait, avec un timbre de caisse claire bien trop sec et des guitares en son clean sans intérêt... Il y a bien quelques idées qui m’interpellent au milieu de cette platitude, comme l’intro du cinquième titre, avec sa batterie échevelée, mais cette voix claire, à laquelle je n’arrive définitivement pas à me faire, vient irrémédiablement tout gâcher.

Dépité, je presse la touche stop pour mettre fin à cette pantalonnade. Je range le CD dans son boîtier avec la certitude de ne pas y revenir avant la fin du monde, voire même un peu plus tard...

...

J’aurais pu rester sur ce sentiment de frustration. Jeter ce CD aux flammes. Ne jamais y revenir. Pourtant, en me renseignant autour de moi, je commençais à m’apercevoir qu’il avait provoqué chez une partie de ses auditeurs un véritable choc...

Serais-je passé à coté de quelque chose ?

Je laissais s’écouler quelques jours, retournant au confortable univers du « vrai » Black Symphonique dans lequel je retrouvais mes marques. Et c’est donc progressivement que je revins à "La Masquerade Infernale". L’écoutant par petits bouts, par petites touches, l’abordant avec patience, le triturant comme on retourne entre ses mains un objet dont on ne comprend pas le mécanisme, essayant au fur et à mesure de percer la coque épaisse de son emballage qui me rebutait tant... Alors seulement, et à force d’efforts, de persévérance, et de tolérance, je commençais à entrer dedans... Car ce que je ne pouvais comprendre à l’époque de cette première écoute, armé que j’étais de mes pauvres oreilles de néophyte, c’est que la musique de "La Masquerade Infernale" était loin de s’arrêter au strict confinement d’un genre : elle allait bien au-delà de toute considération de style, de forme, et ne se souciait guère des conventions et autres canons esthétiques...

J’approfondis mon exploration avec une excitation renouvelée car je sentais que j’étais sur le point de franchir une étape décisive dans sa compréhension.

Alors seulement, "La Masquerade" se révéla à moi pour ce qu’elle était réellement : une musique plus riche qu’aucune autre. Ce qui m’avait troublé de prime abord, ce son « impropre », cette ambiance indéfinissable aux accents grandiloquents, devint une marque de fabrique, sceau d’une identité propre faite de bouffonneries et de noirceurs dégageant un charme fou... A force d’écoutes, je me rendis compte que les chansons ne se contentaient pas d’alterner bêtement couplet / refrain. Leur structure était aussi complexe et travaillée que les arrangements qui les enrobaient : une musique s’écoulant presque en continu, comme une tirade théâtrale. "Ad Astra", second titre de l’album, plage instrumentale qui m’avait si profondément ennuyé, devint un hymne : l’incarnation musicale d’une "Masquerade Infernale", avec ses violons et violoncelles, sa flûte, son piano, ses guitares, tourbillonnants dans un formidable crescendo orchestrale... Et cette voix claire de Garm, qui m’avait fait crier à l’hérésie, devint un élément indispensable à la cohérence de l’ensemble... Ces sons expérimentaux, cette approche novatrice, je compris que tout cela était placé au service d’une vision de l’art, d’un concept qui sous-tendait tout l’album, et rapidement, ce que je percevais au départ comme de douloureux obstacles à l’audition se changea en qualités essentielles. Mieux : cette mosaïque d’éléments assemblés se combinait pour dépeindre un univers sonore inédit, et en cela, je sus que j’étais en présence d’un chef-d’œuvre.

Là où les gars d’Adipocere s’étaient trompés, ce n’était pas tant dans la notation du groupe que dans la nomination de leur musique : La Masquerade Infernale : du « Black Metal Symphonique Fantastique » ?
Non. Mais plutôt de la « Musique Fantastique »...

Ce n’est qu’un peu plus tard que je fis la démarche de me plonger dans l’étude des textes (magnifiques) de l’album. Et là encore, j’allais de surprise en surprise. Le sujet traité demeurait une sombre vision du monde et de la religion, mais abordé avec un souci de la poésie quasi constant, et croqué avec un sens de la dérision qui ne faisait qu’accentuer, par contraste, le côté obscur et mélancolique de la musique. A noter que les paroles d’"Alone" (et non de "The Throne Of Tragedy" comme indiqué dans le livret) sont purement et simplement la restitution d’un poème d’Edgar Allan Poe.

"La Masquerade Infernale" est donc un chef-d’œuvre au-delà des mots, au-delà des modes. Loin des règles légiférant le Black Metal Symphonique, elle éclate les frontières des genres musicaux pour trouver sa propre trajectoire, mélange tourbillonnant d’avant-garde, d’expérimental, de poésie baroque et de Rock grandiloquent. L’album est entièrement placé sous une espèce d’aura de mystère et d’étrangeté qui lui confère un caractère intemporel : c’est le seul album de ma discographie que j’écoute encore avec un plaisir qui ne baisse pas avec le passage du temps et qui, au contraire, a même plutôt tendance à croître... Sorti à une époque où le Black Metal connaissait ses premiers signes d’essoufflements, "La Masquerade" a su montrer que l’on pouvait aborder la noirceur humaine en utilisant un langage sophistiqué et "intellectuel" sans pour autant tomber dans de pompeux travers... Composé des membres d’un autre groupe mythique ("Ulver"), il permit aussi à bon nombre de métalleux d'aller à la découverte de cet autre groupe incontournable de la scène norvégienne ainsi qu’à d’autres projets affiliés : "Thorns", "Dodheimsgard", évoluant dans un registre plus « hargneux ».

En deux mots : simplement indispensable !

PS pour la route : saviez-vous que l’album contenait une piste cachée ? Allez… Pour ceux qui ne l’auraient pas encore découverte, je laisse le mystère planer…




Rédigé par : goldenear | 1997 | Nb de lectures : 2427


Auteur
Commentaire
WhiteNoise
Membre enregistré
Posté le: 16/07/2012 à 03h35 - (27811)
Chef d'oeuvre ! Pas moins....



vdb
Membre enregistré
Posté le: 26/01/2014 à 00h06 - (30480)
Même parcours musical... ;) et pareil chef d œuvre unique absolu !



grozeil
Membre enregistré
Posté le: 26/01/2014 à 01h12 - (30482)
Pffff, tellement écouté et disséqué celui-là...

grozeil
Membre enregistré
Posté le: 26/01/2014 à 01h13 - (30483)
Et je me souviens, j'étais comme un dingue quand, quelques années après son achat, j'ai découvert le petit message caché sur la pochette (et la piste qui va bien) ;)

Kairos
IP:90.19.129.176
Invité
Posté le: 26/01/2014 à 07h20 - (30486)
Pas de grosse saturation, un chant clair, en apparence aucune touche de metal extreme... faites le écouter à des non metalleux, ils vont quant même le trouver dérangeant.
Grand album!

jfkool
Membre enregistré
Posté le: 26/01/2014 à 13h58 - (30491)
Oui une piste cachée, mais pas sur les éditions plus récentes. C'est la première chose que j'ai vérifiée quand j'ai acheté mon CD il y a 3 ou 4 ans, et pas cette fameuse piste cachée.
J'me ferais bien l'édition vinyl tiens.



DNK696
Membre enregistré
Posté le: 26/01/2014 à 14h25 - (30492)
Quand je l'ai acheté en soldes à l'époque (en 1998 ou 99) en Allemagne pensant avoir à faire à groupe genre Dimmu ou Cradle. Je me suis demandé ce qu'était "cette merde". Quelques années plus tard, c'est devenu l'un des mes albums préférés de ma collection ! Et encore actuellement.



hammerbattalion
Membre enregistré
Posté le: 26/01/2014 à 15h18 - (30496)
Ah, même sentiment que toi à l'achat, seulement je n'ai jamais réussi à m'y faire et je m'en suis séparé récemment, jamais capté le truc.

Ankhou
IP:78.122.50.107
Invité
Posté le: 27/01/2014 à 21h40 - (30511)
C'est album fait partie des chefs d'oeuvre de ma disco.
Quelle claque à l'époque!!!!!!!

TarGhost
Membre enregistré
Posté le: 19/03/2015 à 08h09 - (31616)
Découvert grâce au morceau "Alone" surun Offroad tracks du Metal Hammer teuton.
Un truc indescriptible, incroyable, une sensation unique. Un peu comme une trappe qui débouche sur un monde parallèle lovecraftien.
Un opera metallique grandguignolesque, sombre et insondable, 18 ans plus tard le plaisir à son écoute n'a pas bougé d'un iota.
L'une des grandes choses arrivées à notre bon vieux metal en cette deuxième partie des années 90.
Chouette chronique au passage...


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