Peu d'albums auront été aussi attendus dans l'Histoire du Métal que la seconde œuvre de Machine Head. Elle avait provoqué une grande polémique à l'époque, dont les survivants se souviennent immanquablement. Rarement la question de savoir s'il est possible de survivre à un chef-d'œuvre se sera posée aussi lourdement, d'autant qu'il s'agissait d'un premier album. Dix ans plus tard, sans prétendre trancher définitivement le débat, tâchons de revenir sur "TMTC…" dans un contexte apaisé.

Inutile d'insister sur le succès de "Burn My Eyes", qui resta le premier disque le mieux vendu chez Roadrunner jusqu'à Slipknot. Depuis, les labels entretenaient chaque mois un flot de nouveaux groupes de Power Thrash dans les bacs des disquaires et dans la presse, estampillés systématiquement "les nouveaux Machine Head" et dont la plupart disparaissaient des mémoires en quelques semaines/mois pour laisser place à d'autres (on y reviendra une autre fois). Du reste, la situation globale n'était pas bonne dans le Métal pendant l'hiver 1997. Aucun des chefs de file qui s'étaient récemment manifestés n'avait pu prendre en main la situation et Sepultura venait même d'exploser en plein vol dans l'incompréhension générale. Le public se rétrécissait dangereusement, tout en se tournant massivement vers le Black, dont l'avènement est le fait saillant de la période. À tel point que tout le reste faisait assez has been en comparaison avec ce genre plus radical, à la fois traditionnel et renouvelant.

Dans les mois précédents, toute information échappée lors de la préparation d'un opus espéré comme le sauveur se répandait comme la poudre. Certaines rumeurs annoncèrent plusieurs mois à l'avance qu'il fallait s'attendre à un grand virage vers un Métal Industriel. Effroi général. Puis Robb Flynn dit aux journalistes qu'il était lui-même impressionné de la violence des morceaux, mais qu'il fallait juste patienter le temps de refaire le mixage. Le peuple entier retint son souffle, n'en pouvant plus. La seule chose certaine, c'était l'expulsion à grands fracas du batteur Chris Kontos. Le fonctionnement du projet autour de Flynn n'étant pas encore connu des fans, l'affaire demeurait assez mal acceptée, car le talent éclatant de l'exclu était pour beaucoup dans la puissance de "BME". Le remplaçant Dave McClain présentait des états de service honorables dans d'anciennes formations de Thrash à l'instar de ses nouveaux collègues, notamment chez Sacred Reich. Et puis la confiance restait si forte que l'on n'y prêtait pas encore à conséquence.

Enfin, par un beau jour de février 1997, l'album du miracle parut… et la polémique embrasa le milieu en quelques jours. Il y avait trois camps. Un grand nombre étaient fort déçus par "TMTC…" qu'ils jugeaient très en-dessous de son prédécesseur, ils se détournèrent définitivement de Machine Head. Encore aujourd'hui beaucoup ne jurent que par le premier album et désavouent toute la suite. Depuis lors, on entend souvent que Machine Head n'a été le groupe que d'un premier album. Cependant, une minorité timide trouvaient que cette suite n'était quand même pas si mal et se laissait écouter. Et même, certains soutenaient véhéments qu'on ne comprenait rien et que ce second essai était en réalité bien supérieur, pour peu qu'on veuille bien s'acheter des oreilles! La controverse est restée pendant des mois au premier plan sans que les parties ne trouvent d'accord. Mais qu'en est-il en réalité ?

Une fois de plus, le ton était donné dès le départ: à l'intro mythique de "Davidian" répondait l'entrée en matière lente, progressive, lourde et retenue de "Ten Ton Hammer". Cette impression de ne pas vouloir appuyer à fond sur le champignon est une constante de l'album. Plusieurs montées rythmiques ne débouchent sur aucune accélération mais des refrains au tempo ralenti (les deux premiers titres par exemple, ou "Spine"). "Down to None" ou "The Frontlines" se contentent d'aplatir impitoyablement l'auditeur. De même vers la fin d'album, "Violate" surprend par sa longueur et sa présentation inattendue en rouleau compresseur avançant en frein moteur. Dave McClain, batteur honorable mais pas aussi brillant que son prédécesseur, n'est pas en mesure de dissimuler par son seul talent les limites techniques – assumées sans complexe – de ses compères (tout le monde peut constater la difficulté qu'il éprouve à restituer complètement en Live certains ponts de "BME").

De plus, les nombreuses influences qui transpiraient dans "BME" et avaient ratissé pas mal d'auditeurs avides d'ouverture musicale sont absentes. Non seulement il n'y a plus ces plans de batterie à faire baver, mais il n'y a plus non plus de renvois à d'autres horizons à savourer fugacement. Ce second album est du pur Power Thrash aux riffs basiques. La prophétie du virage Industriel se réduit à l'intro' de fraiseuse du dentiste du titre "Blistering" (ce qui fait bien moins encore que dans "BME"), plus d'emprunts HC (à peine l'urgence de "Struck a Nerve" ou à la limite les reprises des Punks de Discharge disponibles seulement dans la version digipack), ni Hip-Hop, ni Speed-Thrash à l'ancienne, ni rien de nouveau… Et paradoxalement c'est sur ce choix que s'appuyaient ceux qui jugeaient ce nouvel album nettement supérieur au précédent : les amateurs de Power Thrash orthodoxe se retrouvaient dans ce disque beaucoup plus classique, restant dans un style familier et très aisément identifiable. Encore aujourd'hui (la parution du sixième album studio est imminente au moment où j'écris), "TMTC…" est l'œuvre la plus facile à étiqueter de toute la discographie de la bande d'Oakland. On est alors en droit de se demander si ce choix artistique était sincère. Ne trahissait-il pas une panne d'inspiration ; ou une angoisse devant l'immense challenge à relever, qui aurait provoqué un excès de prudence ?
Si l'on suit le jeu de la comparaison, l'interprétation est plus carrée et surtout le son est plus travaillé. Colin Richardson et Andy Sneap (qui ne va pas tarder à s'émanciper dans un style très proche) l'ont remarquablement poli, et ce n'était pas facile non plus de repousser les limites à ce niveau-là. Massive, la production est si propre qu'on lécherait par terre. Par conséquent, elle renforçait l'impression de froid écrabouillement. La dimension Live de la musique de MH devenait donc moins évidente. Mais la réputation d'énormité sonore était durablement confirmée, quitte à rendre une copie hermétique comme un bloc de béton.

"TMTC…" semble porter à l'avance une réponse codée à la controverse, dans le refrain de "Struck a Nerve" dont il est extrait : "plus les choses changent et plus elles restent semblables". Cependant l'âpreté du débat a fait qu'il s'est peu vendu, compliquant soudainement les relations du groupe avec son label qui croyait tenir la poule aux œufs d'or. La polémique s'est déplacée avec les albums postérieurs. Toutefois le malaise provoqué par cet échec commercial est l'une des clefs pour comprendre les choix de Robb Flynn, une fois qu'il prit clairement le pouvoir dans l'épisode suivant (l'éviction de Logan Mader). Tout ça à cause d'un disque de Power-Thrash compact, très classique, honnête sans être extraordinaire, mais si bien produit qu'il ne fait pas son âge.


Rédigé par : RBD | 1997 | Nb de lectures : 2204