Avant 1992, le thrash et le death metal n’existaient pas.
Bon, ok, je la refais, Tonton vient de faire un infarctus : avant 1992, pour le jeune Nekobibu, fringuant collégien amateur d’IRON MAIDEN, HELLOWEEN ou GUNS N ROSES, le thrash et le death metal n’existaient pas. Tout au plus entendait-il vaguement prononcer des noms tels que SLAYER ou SEPULTURA par des métalleux plus âgés que lui dans la douce chaleur des toilettes, mais ses oreilles encore pures et vierges n’en connaissaient rien, les bienheureuses… Récit d’une claque.
[Trip nostalgique enclenché pour le plus grand désespoir de Prince de Lu]
Aaaah, je m’en souviens comme si c’était hier : agacé par le dossard Sepultura d’un "grand" qui semblait se moquer de mon t-shirt Guns, je prends sur moi d’acheter, totalement au pif, l’album d’un groupe au nom délicat, se terminant si possible par "a", parce qu’il faut bien le dire, ça pète, les noms en "a". Et là, je le vois, il me tend les bras avec sa pochette hideuse représentant (apparemment) une armure démoniaque d’où s’échappent des volutes soufrés : MASSACRA – Signs of the Decline. Parfait. MASSACRA, quoi… je vais faire des ravages au collège. Ils sont pas bien beaux, les MASSACRA, d’ailleurs… pas très glamour avec leur fûtals déchirés, leurs baskets pourraves et leur t-shirts aux logos illisibles. J’aime !
De retour à la maison, je glisse le CD dans mon lecteur en ayant pris soin de remarquer l’odieuse couleur rose du livret (comment faire plus evil ?), j’appuie sur "lecture" et le temps de poser mon menu popotin sur mon lit, je me prends "Evidence of Abominations" dans la gueule. Belle entrée en matière ! Pas d’intro sexy (contrairement à leur premier album bisounoursement intitulé Final Holocaust comme je le découvrirais plus tard), ça bastonne d’entrée ! Riff assassin, batterie frénétique, mais qu’est-ce qui m’arrive ? J’ai l’impression de danser la gigue sur un champ de mines, quelle surprenante sensation ! Un cri bestial se fait entendre…non, c’est quand même pas ça le "chant" ?! Ah ben si ! Waouh, je vais en avoir des choses à raconter aux copains, moi ! Les titres s’enchaînent sans répit, j’essaie de suivre, mais rien n’y fait, je suis totalement submergé par ce déluge sonore. Je me demande si je ne viens pas de foutre 100 balles en l’air pour ce CD que je ne réécouterai probablement jamais. Et puis, étrangement, alors que l’album se termine, je suis pris d’une irrépressible envie de le réécouter.
[Fin du trip nostalgique]
Aujourd’hui, j’écoute encore cet album tous les matins ou presque en partant au boulot. Quand j’entends les mots thrash et death dans la même phrase, je pense à MASSACRA. Il n’y a pour mes augustes oreilles aucun autre groupe, et a fortiori, aucun autre album qui réussit à marier ces deux genres pour les sublimer à ce point… j’en suis tout saucissonné !
La paire de gratteux, Fred "Death" Duval et Jean-Marc Tristani enchaîne sans relâche des plans à vous déboiser la Schwarzwald, Matthias Limmer (batteur fraîchement débarqué d’Allemagne) bastonne à tout va en magnifiant avec classe le moindre riff et les growls de Pascal Jorgensen (par ailleurs bassiste et remplacé par Fred et sa voix écorchée sur deux titres), parfaitement intelligibles sans pour cela sacrifier ne serait-ce qu’une once d’agressivité, achèvent avec panache cette formidable mixture des deux styles les plus en vogue dans l’underground de l’époque.
Mais au-delà de considérations stylistiques, il est une chose intemporelle qui se dégage de cet album : la rage. Chaque seconde de l’album semble empreinte d’une énergie qui doit tout à la colère et à la frustration. Et quand on creuse un peu, on comprend pourquoi : MASSACRA est LE groupe mal-aimé de l’underground français de l’époque. Alors que d’autres, LOUDBLAST et AGGRESSOR en tête, recueillent les éloges de leurs compatriotes, la presse et le public français semblent bouder, voire détester ce groupe à l’immense talent. Etant dans l’incapacité de vous en expliquer les causes (j’avais 14 ans à l’époque et je n’étais pas très au fait des guerres intestines de l’underground, vieux briscards, venez à ma rescousse !), je me contenterai d’en observer les conséquences : une débauche d’énergie brute incroyable, canalisée avec brio par un quatuor de musiciens au sommet de leur art et qui enfantent dans la douleur un des meilleurs albums métalliques français, tous styles confondus. Le succès relatif rencontré par cette petite merveille sur nos terres (alors que le groupe cartonne partout ailleurs depuis son album précédent, le très bon Enjoy The Violence) ne sera apparemment pas suffisant : après la sortie de Signs of the Decline, les p’tits gars émigrent vers de terres plus accueillantes en s’installant sur le sol teuton, patrie de DESTRUCTION, SODOM et KREATOR, géniteurs du thrash européen (bien plus couillu que son homologue américain comme tout métalleux sait, héhéhé…). Cette expatriation coïncide étrangement avec un changement de style assez radical digne de celui opéré par CARCASS un peu plus tôt : le successeur de SotD, "Sick" (1994), est un pur album de thrash’n roll, excellent certes, mais que j’aurai quelques difficultés à digérer à l’époque. Le groupe termine sa carrière bien malgré lui avec "Humanize Human" en 95. Deux ans plus tard, Fred, pierre angulaire du groupe, décède en effet des suites d’un cancer.
Bon, je crois que j’ai tout dit. Comment terminer ce Remember ? Je sais : MASSACRA, c’est bien, écoutez-en ! Non mais sérieusement, quoi, s’il y a un groupe qui a sa place ici, c’est bien eux ! Il ne faut pas oublier MASSACRA. Jamais. Pas bien, d’oublier.


Rédigé par : Nekobibu | 1992 | Nb de lectures : 2600