CELTIC FROST - Into The Pandemonium (Noise) - 04/03/2003 @ 09h25
S’il y a un album qui a été sous-estimé dans toute l’histoire du métal, c’est bien celui-là. Crucial, charnière, décisif, audacieux, les mots manquent pour qualifier cet opus sans lequel différents genres ne seraient pas là aujourd’hui : dark metal, death symphonique, goth metal, doom atmosphérique, etc...

Résumons brièvement les débuts de CELTIC FROST. Le groupe naît en 1984 des cendres de HELLHAMMER, formation de jeunes Suisses de Zürich emmenée par Thomas Gabriel Fischer a.k.a.Tom G. Warrior, et coupable du cultissime « Apocalytic Raids », marquant la naissance du black aux côtés de VENOM et de BATHORY. Après deux EPs heavy/thrash intéressants («Morbid Tales » et « Emperor’s Return »), CELTIC FROST prend une direction qu’on pourrait qualifier de progressive avec l’album « To Mega Therion », en incluant parcimonieusement des éléments d’autres musiques à un thrash déjà efficace. Ce n’est qu’avec l’enregistrement suivant que Warrior et sa bande décident de frapper un grand coup et de jouer à fond la carte de l’ouverture musicale et visuelle. Le mot est lancé : ouverture (thrash ? ouverture ? y a pas incompatibilité ?). En 1987, le métal brutal, c’est encore beaucoup ‘guitares/basse/drums/gueulantes’ et ‘jeans/baskets/cuir/clous’. Le leitmotiv de « Into the Pandemonium » : Surprendre.

CELTIC FROST tient à ce moment-là son meilleur line-up: Tom G. Warrior aux guitares et au chant, principal compositeur et bouillonnant d’idées ; Martin Eric Ain, rescapé de HELLHAMMER, à la basse, doué pour son approche poétique des lyrics ; Reed Saint Mark, Américain à la frappe et aux roulements énormes (grâce notamment à ses sticks manches à balai).

Warrior, qui trouve le son métal européen trop standardisé, veut repousser les frontières du genre, et pense à des pointures américaines comme Rick Rubin ou Michael Wagener pour la production. Des démos sont envoyées, mais sans suite, car, n’incluant pas les voix et les arrangements qui feront l’intérêt du projet, elles ne reflètent pas la vision du groupe. Car les compos demandent largement plus d’instruments et de musiciens que d’habitude : Choeurs, chants féminins, instruments à cordes et cuivres, supervisés par Warrior et Ain. Noise Records, leur label, frileux et dubitatif face au risque que représente une telle évolution aux yeux des métalleux, ne propose au final que le modeste Horus Sound Studio de Hanovre en Allemagne. La production sera assurée par un débutant, plus ingé-son que producteur, qui sera rapidement remercié, laissant le groupe seul maître et responsable de l’enregistrement. Visionnaire et perfectionniste, CELTIC FROST accouchera d’un ovni à la hauteur de son ambition.

Déjà, fallait oser, l’album débute par une reprise version heavy de « Mexican Radio », tube MTV de 1982, dont la version originale, par le groupe américain WALL OF VOODOO, était un mélange de new wave et du son western spaghetti façon Morricone. Ensuite, avec « Mesmerized », la voix triste et plaintive de Warrior, très Robert Smith (CURE), appuyée par des arpèges gothiques et une soprano, introduisent l’ambiance mélancolique, voire dépressive, que l’on retrouvera tout au long de l’album. « Inner Sanctum », pour plaire aux premiers fans, est de la pure puissance thrash « made by FROST », avec multiples riffs et changements de tempo, ponctués par les célèbres « Uh ! ! » de Warrior. Des vers de Beaudelaire, mis en musique baroque avec de la viole, du chant féminin (en français) et des choeurs, constituent le splendide « Tristesses de la Lune ». Ni interlude, ni intro, mais morceau de bravoure à part entière, sans riffs ni batterie. Retour au heavy / thrash avec « Babylon Fell », sans oublier les choeurs féminins. « Caress Into Oblivion » avec son intro arabisante (prières de minarets) et ses tambourins, envoûte par une atmosphère à la fois métallique, triste et orientale. La deuxième partie débute par une curieuse intro boîte à rythme électro, voire rap, « One In Their Pride », avec des samples de conversations entre astronautes de la NASA : Warrior est un grand fan d’astronomie et des missions Apollo en particulier (m’enfin c’est pas une raison pour casser l’ambiance...). Redémarrage avec « I Won’t Dance (the Elder’s Orient) », dans la lignée d’« Inner Sanctum», à mon avis le meilleur morceau, très heavy, avec le renfort vocal d’une chanteuse d’opéra. « Sorrows of the Moon » propose une puissante version, à la fois métal et accoustique, du « Tristesses de la Lune » de la première face, chanté cette fois en anglais par un Warrior de plus en plus dépressif. Enfin, lourdeur baroque et soprano, avec des guitares discrètes, au menu du trop court « Rex Irae (Requiem) », le bien-nommé. La place manqua pour inclure les parties II et III de ce requiem, qui devait au départ faire de « Pandemonium » un double album. Final épique et théâtral sur « Oriental Masquerade », qui ferme cet album d’exception.

Bien que non revendiqué comme tel, « Into the Pandemonium » est bel et bien un album progressif, comme les grandes oeuvres de PINK FLOYD ou de KING CRIMSON, mais sans les côtés pompeux ou démonstratifs : Les expérimentations avec des éléments « hors métal » (soprano, choeurs, cordes, percussions, etc) ne sont pas prétextes à virtuosité, mais servent des climats récurrents sur tous les morceaux (tristesse, lourdeur, poésie, puissance). Même dans les côtés purement métal, l’innovation se fait sentir : La voix de Warrior est passé de grognements satanistes à du chant monocorde, voire des monologues plaintifs, dont la beauté des textes doit beaucoup à l’érudition littéraire de Ain. Le son et les notes de basse de celui-ci se détachent intelligemment, de même que les prouesses de St Mark à la batterie et aux percussions. Seul petit hic : les soli plutôt brouillons de Warrior (ça a jamais été son fort !...), et un son de guitare plutôt vieillot seize ans après. La version CD remastérisée de 1999 contient en bonus deux morceaux issues des mêmes sessions (« The Inevitable Factor » et «In The Chapel In The Moonlight », reprise de Dean Martin !) qui n’auraient pas dépareillé sur l’édition originale, ainsi qu’une version rallongée (et franchement dispensable) de « One In Their Pride ».

Il faut écouter « Pandemonium » d’une traite pour saisir que CELTIC FROST a pondu là un disque majeur et audacieux pour l’époque, qui ouvrira les portes du métal extrême (rapide ou lent) à la musique classique, et surtout au chant féminin. Son influence est considérable sur, entre beaucoup d’autres, PARADISE LOST (« Gothic », « Shades Of God »), CANDLEMASS (tous), MORBID ANGEL (« Blessed are the Sick »), THE GATHERING (« Mandylion »), BATHORY (« Blood, Fire, Death »), TIAMAT (« Wildhoney ») ou THERION (tous), et plus généralement chez tout groupe métal s’essayant aux orchestrations et voix classiques. Son esprit d’avant-garde inspirera ses compatriotes de CORONER et SAMAEL, sans parler de ses riffs (toutes périodes confondues), qu’on retrouve facilement chez OBITUARY, NAPALM DEATH ou CATHEDRAL. Pour les curieux qui veulent découvrir les racines du métal d’aujourd’hui, tous les albums de CELTIC FROST sont à conseiller, même le décrié « Cold Lake ». Infos aussi sur l’excellent fansite http://www.celticfrost.com.


Rédigé par : Blacksun | 1987 | Nb de lectures : 2742


Auteur
Commentaire
krakatau
Invité
Posté le: 11/06/2004 à 03h04 - (814)
Pas grand chose a rajouter par rapport a la chro, ce disque est culte aussi bien musicalement qu'historiquement. Il faut bien se rendre compte de sa portée hallucinante sur les génerations futures. Les precurseurs du doom/gothic metal ou tt simplement du metal anti conformiste.

omersimsone
Membre enregistré
Posté le: 09/03/2007 à 14h12 - (1492)
Et Cold Lake il rentre quand dans la rubrique Remember?

Thrashdeathblack
Membre enregistré
Posté le: 10/04/2008 à 11h51 - (25356)
Tout pareil que Dawn...Je dirai même que d'une manière générale, je n'ai jamais aimé Celtic frost, et Hellhammer c'est assez moisi.

maximum rocknroll
Invité
Posté le: 19/03/2009 à 21h46 - (26583)
excellent album qui boulversa ma conception de la musique - malheureusement, la reformation de Celtic Frost verra Warrior nous la jouer pseudo-misanthrope aigri et dépressif - accumulant références littéraires et spirituelles douteuses à Albert Speer, ami intime d'Hitler, architecte de métier et concepteur des plans d'Auschwitz.

drunkazfuk
Membre enregistré
Posté le: 23/11/2009 à 12h08 - (26917)
classique.



SABBAT71
Membre enregistré
Posté le: 20/08/2012 à 05h09 - (27948)
Classique et indétronable !



Ivan Grozny
Membre enregistré
Posté le: 16/06/2013 à 12h17 - (29452)
J'ai toujours du mal avec cette idée qu'un seul disque puisse être la matrice de tous les styles. Je ne nie pas son influence, et pendant longtemps j'étais d'accord avec cette idée. Aujourd'hui, ce disque me parait avoir assez mal vieilli. Pas mauvais pour autant, c'est avec plaisir que je le réécoute (pas très souvent). Mais sa force tient autant à l'esprit conservateur du milieu metal qu'à sa réelle portée novatrice. Pris individuellement, chaque morceau peut être rattaché à un style musical déjà en vogue à l'époque. Comme si l'idée du groupe avait été de compiler une somme d'influence pour ouvrir les esprits metalliques. C'est déjà pas mal. Un titre comme I won't dance me fait plus penser voix féminine comprise à du death rock. Au final, un disque de qualité, un peu kitch, mais loin d'être mon Celtic Frost préféré.



Amduscias
IP:213.41.199.226
Invité
Posté le: 17/06/2013 à 12h24 - (29458)
Tristesses de la Lune, baroque ? Hem non non non. Pseudo romantique voire pseudo post romantique peut être, mais baroque, certainement pas.

Et Viola, en anglais, c'est l'alto, pas la viole !

Sinon album hautement respectable, mais too much pour moi, trop kitsch, mal vieilli. J'en reste à To Mega Therion et je reprends réellement à Monotheist.

Morbid Tankard
Membre enregistré
Posté le: 18/06/2013 à 22h11 - (29463)
Osé mais nul quand même.



ennemi
IP:78.127.73.204
Invité
Posté le: 21/06/2013 à 22h19 - (29465)
contrairement à amdi, je trouve cet album indémodable
malgré qqs titres dont on se passerait bien, un album osé pour l'époque, et qui reste même temps à part

olivier
IP:89.3.4.189
Invité
Posté le: 23/06/2013 à 16h07 - (29466)
Excellent album. Juste un bémol pour l'influence supposée par le chroniqueur sur CANDLEMASS : en même temps que la sortie de cet album, CANDLEMASS sortait son 2ème chef d'oeuvre, ils n'ont pas attendu Into The Pandemonium... Et Leif Edling a commencé a composer en 1982/83, comme Thomas G. Warrior.

fh
IP:83.157.2.160
Invité
Posté le: 28/11/2013 à 20h13 - (30242)
J'ai découvert cet album à sa sortie... Plus de 25 ans après, il me troue encore le cul ! Un des albums les plus incroyables qu'il m'a été donné d'écouter. Hors normes, ovni total, novateur, précurseur... Sa non-reconnaissance à l'époque et encore aujourd'hui est à chialer !

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