Il y a des groupes dont on se demande "Mais comment ai-je fait pour passer à côté d'eux pendant si longtemps?" Des groupes qui ont tout pour nous plaire, dont on a entendu chanter les louanges, mais sur lesquels on oublie systématiquement de poser une oreille. C'était mon cas avec The Ocean Collective. Le mal est désormais réparé. Et vous prendrez soin d'occulter la longueur de ma disserte, mais à album massif, chronique massive...

Pour ceux qui arrivent à la bourre comme moi, petite remise à niveau... Déja, rien que sur le papier, le concept bute: dans "The Ocean Collective" il y a... "Collective". Autour d'un petit noyau dur formé autour de Robin Staps, guitariste de son état, des musiciens viennent apporter leur contribution à l'édifice. C'est ainsi que l'on retrouve pas moins de 26 (!) musiciens accrédités pour ce "Precambrian", qui ferait passer Slipknot pour un one-man band. Et contrairement à ces derniers, tous les musiciens sont utiles... Le groupe siège à Berlin, là où il a acquis un sous-sol d'une ancienne entreprise d'aluminium pour le transformer en un complexe nommé Oceanland, fief de leurs répétitions et enregistrements.

"Precambrian" est un double album concept massif, c'est le moins que l'on puisse dire. Pour le concept, référez-vous à vos vieux cours d'histoire ou de géologie. Precambrian est la période où, notez: la vie est apparue sur Terre; les chaînes de montagnes se sont formées; les océans (tiens donc!) ont commencé à se peupler. Cette période se divise en trois éons, Hadean et Archean qui viennent nommer le premier CD, un EP de 22 minutes, et Proterozoic, qui donne son doux nom à la deuxième galette d'une heure. Chaque éon se décompose en ères, qui donnent elles-mêmes leurs noms à chaque chanson. Oui, c'est officiel, VS-Webzine va pouvoir concurrencer Acadomia...

"Bon, il est bien mignon le Crown_me avec ses déballages de conneries, mais si on pouvait rentrer dans le vif du sujet ça serait sympa...". Okay okay, j'attaque. Ce qui impressionne sur l'ensemble de l'album, c'est la quantité des influences métalliques et hardcores plombées, ingérées et recrachées avec un brio indécent, sans donner un seul instant l'impression d'être face à un gros fourre-tout de l'industrie lourde. Le premier CD, "Hadean/Archaean", nous présente la facette la plus brutale, la plus directe de The Ocean. Les jambes. Les 5 titres présents nous font déguster sévèrement. Euhhhhh... Brutal Post Hardcore Tentaculaire, histoire de filer une étiquette de merde, ça vous va? Sur une base lourdissime, représentez-vous d'énormes syncopes Meshugghiennes, des plans à la puissance tellurique Mastodonesque, des refrains barges et entêtants ("Palaeoarchaean"), la folie d'un Converge période "The Poacher Diaries" (l'énormissime "Neoarchaean")... Comme dirait Arthur, c'est que du bonheur...

"Proterozoic" est le pendant plus (faussement) apaisé d'"Hadean/Archaean". Attention hein, on n'en prend pas moins plein la gueule! Contrairement à son faux jumeau, axé sur uniquement guitare/basse/batterie, l'instrumentation s'enrichit de pianos, violons, glockenspiel (souvenez-vous, les cours de musiques à l'école...) et tutti quanti. Plus lent, plus lourd, moins chaotique, plus émotionnel. La tête. Hormis l'intro et l'outro, les titres tournent autour des 8 minutes, et on ne se fait pas chier un seul instant. Les passages mélodiques nous amènent à des déflagrations monumentales d'une lourdeur effarante (la deuxième moitié d'"Ectasian", ou comment se faire souffler le gueule; le final de "Rhyacian"), les murs de guitares avec le violon en arrière-plan viennent vous titiller les glandes lacrymales (les hurlements de Tomas Hallbom sur "Stenian", bordel!). Ce deuxième CD fourmille de détails, les compos ont été encore plus fouillées que le jardin de Marc Dutroux (84 pistes sur "Ryacian!") et menées de main de maître. Bon, je vais pas vous faire un récapitulatif de tous les titres qui méritent qu'on s'y attardent, TOUS les titres contiennent leur lot de passages vraiment ébourriffants.

Niveau vocalistes, c'est vraiment LE festival: pas moins de 11 vocalistes sont présents sur "Precambrian" (pas en même temps, je vous rassure). Et une bonne partie des hurleurs invités présents ne sont pas d'illustres inconnus, jugez plutôt: Tomas Hallbom de Breach (zappé dans le livret), Nate Newton de Converge, Dwid Hellion d'Integrity, Caleb Scofield de Cave-In, Eric Kalsbeek de Textures, aux apports détonnants... L'essentiel des voix se partage entre celles de Mike Pilat et Meta, aux gros timbres hardcore avec des paires de couilles de 20 kilos à la Sean Ingram (Coalesce) et celle plus hurlée aiguë hystérique de Nico Webers. L'intérêt d'avoir tous ces chanteurs réside dans le panel de voix assez énorme que l'on retrouve sur ce disque, de doucereuses voix claires aux voix hurlées sur plusieurs tons, et quand t'as deux, voire trois colosses qui t'éructent à la gueule, tu te fais petit, tout petit, Saloperie, quelle richesse!

Grosse grosse production au rendez-vous, avec un son de gratte gras comme l'huile de friture du Mac Do et aussi compressé que Guy Carlier dans un jean Slim. Le son de batterie claque au vent, surtout sur les quelques plans à la double qui démontent sévèrement. Une grosse partie de l'album a donc été enregistrée à l'Oceanland, le mixage et le mastering ont été confiés aux responsables de ceux de Converge, Isis, Pelican ou Unsane... Des habitués du son guilleret et léger... Le digipack a l'air somptueux, rien que les livrets en ma possession sont sublimes, agencés avec originalité, à moitié plastifiés (cool, tu peux les lire dans ton bain!) avec une magnifique thématique précambrienne (bah ouais, vous croyiez quoi?). Quelques textes présents dans l'album ont été empruntés à divers écrivains et philosophes tels que Nietzsche, le comte de Lautréamont, Charles Baudelaire, le poète autrichien George Trakl ou encore un speech de Kevin Bacon issu de La vie de David Gale...

Bon, je commence à être à court d'adjectifs pour désigner la montagne qu'est ce disque, alors on va s'arrêter là. "Precambrian" est un disque d'une qualité soufflante, et même en cherchant bien et en y mettant toute ma mauvaise foi, je n'arrive pas à lui trouver de vrais défauts. Allez, juste histoire d'être crédible à vos yeux, j'aime que moyennement le passage avec les voix claires passées au vocoder sur je ne sais plus quel titre, et il y a un plan mélodique qui me fait penser à la comptine des Musiciens de Brême, vous savez, le truc avec les animaux qui jouent de la musique, école primaire powa (et puis après réflexion, c'est même pas un défaut...). Quoi, c'est tout? Bah ouais, désolé, le reste est irréprochable à TOUS les niveaux, des compositions au concept en passant par la production, l'artwork, les paroles et j'en oublie... On est vraiment face à une Oeuvre avec un grand "O", peaufinée jusqu'au bout des ongles et vue comme un ensemble redoutablemement cohérent. La beauté du digipack sera le cadeau über classe de Noël qui fera de vous la personne la plus attentionnée du monde, et, si vos proches écoutent de la merde, offrez-le-vous, vous ferez un heureux.

Pour terminer, je vous traduis la citation du groupe dans le magnifique livret:
"Precambrian est notre réaction face à la volatilité et l'éphémèreté infligées par myspace, face à la notion post-moderne de la musique comme une donnée quantifiable, contre la perception de la musique en terme de combien d'espace cela prend sur votre disque dur... C'est un album pour les gens qui croient encore en l'idée qu'un album peut être plus, et devrait être plus, que la somme de ses chansons". Classes jusqu'au bout, ces enfoirés...


Rédigé par : Crown_me | 18.5/20 | Nb de lectures : 18184