Adrienne Bernardi - SULPHUR par PAMALACH - 4847 lectures
Après plusieurs traductions chez CB et CN, Adrienne se frotte pour la première fois à l'écriture d'un livre avec ce premier dictionnaire des symboles maléfiques.


Bonjour Adrienne. Est ce que vous pouvez vous présenter pour nos lecteurs ?
Je suis agrégée de lettres classiques, actuellement professeur au lycée d'Issy les Moulineaux, mais j'ai également un diplôme de traduction anglais/français. A côté de ce CV officiel, je suis passionnée de musique, notamment de metal. J'ai donc effectué une dizaine de traductions pour les éditions Camion Blanc, dont les autobiographies officielles de Slash, Gene Simmons, Tony Iommi et Dave Mustaine.


Est ce que vous pouvez nous expliquer quel est la genèse du projet Sulfur ?
A l'origine du projet, il y a un souhait de Fabrice Revolon, l'éditeur, qui a remarqué que s'il existait déjà des dictionnaires des symboles, ceux-ci étaient très généraux, mais que rien n'existait sur les symboles « maléfiques ». Il m'a donc proposé d'en écrire un, et j'ai accepté sans hésitation, car après de nombreuses traductions, j'avais aussi envie de me frotter un peu à l'écriture d'un livre.


Comment s'est organisé votre travail pour les recherches autour de ce livre ?
J'ai commencé par passer en revue les dictionnaires de symboles existants, pour répertorier ceux qui correspondaient aux critères de Sulfur. Puis j'ai creusé ces symboles à l'aide d'autres dictionnaires spécialisés, comme le Dictionnaire du Diable de Villeneuve, qu'une de mes élèves m'a procuré, une véritable mine, notamment iconographique, et le Dictionnaire amoureux du Diable d'Alain Rey, mais aussi de livres ciblant un sujet en particulier. J'ai passé de longs mois à réunir ma documentation en bibliothèque avant de me lancer dans la rédaction, que j'ai complétée par des recherches sur internet – où on trouve vraiment de tout, le meilleur et le pire !


Le terme démoniaque fait par ricochet référence à la religion et à la notion de bien et de mal. Qu'est-ce qui vous intéresse dans le côté sombre et mauvais de ce qu'imaginent les hommes du divin ?
Ce qui m'intéresse, c'est la façon dont les hommes ont rendu responsable du mal un principe ou un démon, bien distinct du dieu créateur et bon, comme pour se dédouaner eux-mêmes de leurs pulsions maléfiques et malsaines. Mais malgré cette dichotomie, ils n'ont cessé pourtant d'être fascinés par le mal et ses représentations, au point de littéralement « voir le mal partout » !


J'ai été surpris de constater que les figures démoniaques étaient parfois étonnamment proches d'une religion à une autre. Finirait-on par trouver des points communs entre les divers religieux à travers leur conception du mal ?
Complètement ! Dans la plupart des cultures, il y a un principe du bien et un principe du mal. Dans les grandes religions monothéistes, le mal est une révolte contre Dieu, puisqu'il est incarné par un ange déchu et renvoyé du Paradis. Dans les religions polythéistes, c'est davantage un ennemi des puissances en place, qui cherche à les remplacer plus qu'à se rebeller contre elles. Il ne faut pas oublier aussi que la plupart des figures démoniaques sont des divinités païennes (et pas toujours maléfiques) que les religions monothéistes ont utilisées pour jeter le discrédit sur les polythéismes, ce qui explique les ressemblances entre elles. Mais j'ai eu l'impression que les cultures orientales étaient plus nuancées que la nôtre, avec des divinités très ambiguës.


De nombreux symboles ont traversé les âges sans perdre de leur impact. Qu'est ce qui explique selon toi que certains matériaux, formes ou objet ont gardé cette charge maléfique ?
Je pense qu'il y a deux raisons. La première, c'est que les matériaux ou les animaux devenus des symboles maléfiques ont des caractéristiques qui les rendent peu aimables aux hommes. Je pense à un métal comme le plomb, que son poids, son froid, sa dureté ont depuis longtemps associé à la mort et au mal. La deuxième, c'est la très bonne communication des pouvoirs, religieux et civils, qui ont fabriqué ces symboles : par exemple, le fait d'organiser des « chasses aux sorcières », de les excommunier, et d'écrire d'innombrables traités sur la manière de les découvrir et de les tuer ont permis à la sorcière de perdurer en tant que symbole, et au chat noir, un des « spiritus auxiliaris » des sorcières, d'être encore aujourd'hui considéré comme portant malheur.


De nombreux animaux ont personnifiés pendant des siècles les figures démoniaques. Dans Sulfur, tu couvres de nombreuses espèces en donnant les détails de ce qui a pu les associer au mal. Ce qui m'a étonné ce que n'était pas seulement leur apparence ou leur dangerosité qui les amené à être associé au malin mais parfois simplement leur mode d'alimentation, leur mode de vie nocturne ou leur façon de chasser. As-tu découvert avec tes recherches quelque chose qui t'a particulièrement étonnée à ce niveau-là ?
Je me suis rendu compte que tout ce qui sort un peu de l'ordinaire ou est relié à la saleté est souvent associé au mal, et que les hommes ont attribué aux animaux leurs propres penchants et pensées. Ainsi, on a dit que les abeilles sont du côté du bien parce qu'elles travaillent et produisent du miel, alors que les mouches, improductives et se posant parfois sur des excréments sont du côté du mal. Je dois bien dire aussi qu'associer le lièvre au diable en raison de sa vitalité sexuelle est pour le moins surprenant, ainsi qu'imaginer les autruches chevauchées par des démons…


Le Bouc semble être l'animal qui personnifie le mieux le malin. Il y a pourtant des animaux plus Ivol que le bouc non ?
Dans la culture occidentale, c'est le bouc, mais dans d'autres cultures, c'est par exemple le serpent ou le coyote. Le bouc a plusieurs caractéristiques qui font de lui une personnification du diable. D'abord il a une odeur très forte, est agressif et connu pour ses appétits sexuels. Puis c'est un animal familier à l'époque où l'imagerie maléfique se met en place, ce qui peut aider à imaginer que le diable est parmi les hommes. La Bible demande de sacrifier des boucs pour la fête des expiations, un blanc pour Yahvé et un noir, chargé de tous les péchés du peuple, au démon Azazel. De plus, il permet à l'Église de diaboliser le dieu païen Pan, dieu de la nature et de la fécondité qui était représenté avec des pattes de bouc : c'est le seul dieu grec représenté avec des traits animaux. Peut-être que s'il y en avait eu d'autres, l'animal symbolisant le Malin aurait été différent !


Pour en rester au chapitre des animaux, penses-tu que certains ont eu la fonction de boucs émissaires dans les sociétés moyenâgeuses ?
Il est évident que les chats, noirs en particulier, ont subi la chasse aux sorcières de plein fouet, puisqu'ils étaient brûlés vifs eux aussi. Les animaux nocturnes étaient eux aussi mal vus, simplement parce qu'ils vivaient la nuit, et tous les animaux sauvages comme le loup concentraient sur eux toutes les peurs, il n'y a qu'à voir le nombre de contes mettant en scène cet animal.


De tous les démons que tu cites dans Sulfur, est ce que tu peux nous en citer un que tu as plus particulièrement retenu ?
Je trouve que Lucifer est le plus fascinant, parce qu'on passe quand même d'un nom très positif, associé à des dieux lumineux dans l'Antiquité et même au Christ, à l'incarnation du mal et plus précisément de l'orgueil. On voit bien comment cette attitude de rébellion a été diabolisée par les religieux, et c'est cet aspect-là qui est retenu dans la Bible satanique. Et puis quelles superbes représentations de la chute de cet ange ! Mais j'ai surtout été marquée par le nombre absolument hallucinant de démons et le soin maniaque qu'ont pris certains auteurs à les répertorier et à les classer! D'après le Dictionnaire infernal de Collin de Plancy, il y aurait « 6666 légions, composées chacune de 6666 démons » ! Je n'ai donc pas pu tous les citer dans le dictionnaire, d'autant que certains n'ont rien de particulier et que la notice aurait été très vide.


Es-tu quelqu'un qui croit en une force supérieure et si c'est le cas, ne crains-tu pas de manipuler tous ces concepts démoniaques ?
Non, je ne crois pas en une force supérieure, et quand bien même il en existerait une, je ne vois pas en quoi ce livre pourrait l'affecter ! Je n'ai procédé à aucun rituel pour rédiger le livre, et aucun démon n'est venu me hanter pour l'instant. J'espère simplement que les fanatiques de tous bords ne vont pas me jeter l'anathème, ils me font plus peur que les démons !


Avant de lire "Sulfur" je m'attendais à un échantillonnage beaucoup plus dur et cruel des perversions démoniaques. En fait, certains font presque pâle figure en comparaison de certains agissements humains, véritables ceux-là.
Ce sont les hommes qui ont attribué aux démons leurs perversions ! Par exemple, les supplices des enfers reprennent tous ceux qu'ont endurés les premiers martyrs chrétiens, et les bourreaux ne manquaient pas d'imagination ! Je pense que l'imagination des hommes est sans limite quand il s'agit du mal, même si on trouve souvent des variantes des mêmes cruautés. Un texte comme Les 120 journées de Sodome, véritable catalogue de perversions, finit par devenir répétitif à la longue.


A plusieurs moments, tu fais des références au monde du metal dans certaines définitions. Est-ce que tu aimes ce style de musique et quels groupes apprécies-tu ?
J'ai des goûts assez éclectiques en matière de musique. Je suis tombée dans le metal à l'adolescence, et je n'ai jamais cessé d'en écouter depuis. Les groupes que j'apprécie le plus ne sont en revanche pas particulièrement maléfiques, au contraire ! Je préfère le côté « festif » et rebelle du heavy metal, avec des groupes comme Guns N'Roses, Aerosmith, Pantera, plutôt que l'ambiance plus lourde et sinistre du black metal.


Le metal et le monde démoniaque sont liés depuis le départ. Pourquoi à ton avis autant de ponts entre ces deux mondes ?
La musique en général et les démons sont liés depuis très longtemps : la musique fait partie des rituels, et les démons peuvent parfois aider les musiciens à s'améliorer, comme dans le cas ultra-célèbre de Robert Johnson. Pour sa part, le metal a toujours cherché à provoquer des réactions, et quoi de plus facile qu'en affichant des symboles maléfiques sur les pochettes des disques, pour attirer les plus jeunes et faire peur aux plus anciens, dans une démarche plus ou moins sincère ? Mais on a aussi eu le mécanisme inverse : c'est la société qui a lié les deux, en accusant certains groupes dont la musique lui semblait trop extrême, de diffuser des messages subliminaux dans des chansons, et d'être à l'origine de tous les maux de la terre.


Le mot de la fin est pour toi.
Restez rock, passionnés, curieux, ouverts… et sulfureux, bien sûr !


Auteur
Commentaire
grozeil
Membre enregistré
Posté le: 08/02/2016 à 22h51 - (1882)
Que s'est il passé entre Pamalach et Adrienne entre la 5ème et 6ème question? Le passage du vouvoiement au tutoiement refleterait-il un passage à l'acte sexuel? :-)
Trêve de plaisanterie, bien sympa cette interview.

Humungus
Membre enregistré
Posté le: 09/02/2016 à 06h09 - (1883)
Bouquin qui ne m'intéresse pas du tout...
Par contre Pamalach, pourquoi s'évertuer à le nommer "Sulfur" alors que le vrai titre est "Sulphur" ?
A quand des interviews d'IRAUN MEIDIN ou de PARADIZE LOSTE ? (sic)

GabinEastwood
Membre enregistré
Posté le: 09/02/2016 à 09h09 - (1884)
Même si le spécialiste n'y apprendra pas grand-chose ce bouquin est quand même très intéressant car il compile "le dictionnaire du diable" de Raymond Villeneuve et le "dictionnaire infernal" de Jacques Collin de Plancy tout en y ajoutant quelques passages originaux.

Bien écrit, rédigé et intéressant, un bon bouquin pour comprendre d'où viennent les noms et à quoi riment certains textes et d'où ils viennent.

pamalach
Membre enregistré
Posté le: 09/02/2016 à 11h29 - (1885)
Ha ha Grozeil tu m'as bien fait rire !
Hummungus : Je me suis emmêlé les pinceaux...mais restons sulfureux !



Moshimosher
Membre enregistré
Posté le: 09/02/2016 à 21h31 - (1886)
Sympa... :)

alexskct
Membre enregistré
Posté le: 10/02/2016 à 12h44 - (1887)
Mais... Mais... Qu'Est-ce qu'il m'arrive !!!

J'ai.. J'ai envie d'acheter un livre...
Plusieurs même !!!

Sans rire, je vais acheter ce livre et le lire!!!

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