Vaerohn - PENSEES NOCTURNES par #GUILLAUME# - 2487 lectures
Le mois dernier, VS plaçait en sélection « Grotesque », deuxième album de Pensées Nocturnes paru chez LADLO Productions. Avant-gardiste et décalé, ce projet porté par un unique maître d'œuvre intrigue, agace ou fascine mais ne laisse personne indifférent. A l'inverse de certains musiciens rétifs face à l'exercice de l'interview promo, Vaerohn sait se montrer particulièrement loquace quand il s'agit de défendre ses convictions artistiques et donner quelques clés pour aborder le fruit de ses pensées nocturnes.


"Grotesque" est une invitation à un voyage saisissant mais inconfortable. Comment donnerais-tu envie aux timides et autres indécis d'embarquer dans ton univers?
Vaerohn : Les centaines de pages proposant l'album en téléchargement avant la sortie tendent à penser que l'écran de l'ordinateur a fait disparaître ce genre de personnalité.


On ne peut que le regretter, voire se décourager mais artistes et labels peuvent-ils encore aller à l'encontre de la gratuité totale induite par l'essence même du phénomène internet?
Non. Se mettre à quatre pattes et dire « amen » est la seule liberté qu'il nous reste. C'est une véritable révolution culturelle et sociétale dont il est question ici et on ne peut que s'efforcer de l'accepter, d'où le fait que les morceaux de PN portent la licence Creative Commons qui fournit à tous l'autorisation de diffusion et de téléchargement des albums. Je pense que deux problèmes majeurs se dégagent de cette nouvelle façon de consommer : l'aspect financier et le contrôle des productions.
Dans le métal extrême l'aspect financier ne touche qu'indirectement les artistes puisqu'il se répercute principalement dans le fait d'avoir plus de moyens pour la production, l'imagerie ou la visibilité. Cela concerne donc plus les labels que les musiciens car ils vont investir dans un projet, initialement avec le tirage de l'album mais aussi la promotion dans les magazines, packages promo, merchandising, distributeurs, éventuel site internet, etc. On pourrait dire que ce phénomène de téléchargement est le moyen de promotion par excellence et c'est assez vrai finalement : il suffit de constater la vitesse à laquelle se propage un lien « rapidshare » en comparaison avec une « news » qu'il faut s'évertuer à faire passer tant bien que mal. Pourquoi donc s'efforcer à investir dans l'aspect « promo » d'une sortie ? On en vient là au second problème du phénomène : un album, une fois sorti des mains de l'artiste ne lui appartient plus. Il est l'apanage des possesseurs de blog, fora, de n'importe quel individu relié au net et de ce fait aucun moyen de contrôle de qualité ou d'image n'est possible. J'en veux pour preuve les vidéos mixant des images plus clichées les unes que les autres avec un mp3 de qualité moins qu'indiscernable disponible sur Youtube deux semaines avant la sortie. Quand le label envoie un promo à un webzine, il sait qu'il va recevoir en retour une critique normalement assez constructive sur laquelle pourront se baser les auditeurs pour se faire leur propre avis, alors que les commentaires qui ponctuent et pourrissent le net sont loin d'être indispensables. Il n'y a plus aucun respect pour l'œuvre et c'est ce qui me chagrine en tant qu'amateur de musique.


Être catalogué -abusivement ou non- dans l'avant-garde est-il la rançon d'une certaine audace?
Disons que c'est à mon avis préférable à « BM dépressif » ou « Musique classique » ; « Avant-garde » signifiant tout et son contraire il nous paraissait plus opportun. Il incarne peut-être l'idée d'originalité et de nouveauté ce qui est encore quelque chose de tolérable. J'ai toujours développé une véritable détestation à l'égard de ce catalogage systématique dont sont l'objet groupes et albums, car basé sur l'expérience de chacun il bourre le crâne de préjugés et d'œillères. Qui pourrait donner la définition (musicale j'entends) du Black Metal ? Qui aurait la prétention de posséder les secrets du genre et pourrait nous révéler sa vérité, son essence ?
Le cerveau a besoin de concept pour avancer, de transformer le monde en rationnel et en image pour le comprendre. Les mathématiques ne sont que ça : un outil pour tenter de comprendre le monde. C'est une vérité rationnelle mais jamais un reflet exact de la réalité. Aucune théorie physique ne traduit parfaitement (entendre sans approximation) le réel. Pour prendre un exemple accessible au commun des mortels, tout le monde connaît la théorie de Newton, l'attraction terrestre, qui modélise l'action de deux corps l'un sur l'autre en fonction de leurs masses respectives. On en a déduit la constante de pesanteur qui permet de calculer le poids d'un corps, sa vitesse de chute, etc. Seulement cette « constante » porte très mal son nom puisqu'elle ne prend pas en compte la distance entre la terre et le corps en question, les interrelations entre ce corps et les autres environnants, la possible variation de la constante gravitationnelle, etc. Certes un atome possède une masse si négligeable face à celle de la terre que le prendre en compte serait stupide et impossible au vu de nos puissances de calcul actuelles opposées à la multiplicité des éléments en jeu. Et puis l'expérience nous prouve que cette formule fonctionne très bien la plupart du temps pour peu que l'on respecte les hypothèses (échelle macroscopique par exemple). Même chose pour la température ou la pression qui ne sont que des notions de physique statistique simplifiant les mouvements de molécules ou autres dans une pièce : la température est le reflet de l'énergie cinétique des particules, la pression le travail de l'ensemble des chocs de celles-ci sur une paroi. Tout n'est que simplification puisqu'à partir de l'ensemble des caractéristiques des particules (vitesse, masse, position, etc.) on pourra dériver les deux valeurs mais déduire les caractéristiques de chacun des éléments à partir de la température et de la pression est impossible (parallèle à faire avec la sociologie). Seulement lorsque l'on enseigne les différentes lois sur les bancs de l'école, on les présente comme des vérités absolues, règles divines et universelles : vraie partout et en toute circonstance. Jamais on explique que ce que l'on fait n'est qu'une approximation qui a assez bien fonctionnée jusqu'à aujourd'hui. Là où je veux en venir c'est que l'homme ne sera jamais capable de comprendre le monde dans toute sa complexité d'où le fait qu'il le réduise systématiquement à des concepts simplificateurs, des formules mathématiques. Ce n'est pas un mal, nous n'avons de toute façon pas le choix et cela fonctionne assez bien mais il est indispensable de garder cette idée à l'esprit.
C'est pour cette raison que PN n'est pas une musique carrée, parfaite, uniforme, au tempo constant comme pourrait l'être une pièce de Bach par exemple. Bach est l'humanisation de la musique par excellence : les mathématiques traduits en notes, le développement déterminé et droit d'un thème. Beaucoup d'individus rapprocheront Bach du divin, du sacré. Personnellement je n'y vois que l'œuvre d'un cerveau scientifique, l'orgue étant l'instrument sans nuance, l'instrument on/off. Il est amusant de voir à quel point l'homme a toujours simplifié le créateur de la Nature (cette dernière haïssant l'uniformité faut-il le répéter) à un concept de bonté, de lumière, de perfection, de supériorité, d'inaccessibilité… Bref une définition tenant en un mot.
Pour en revenir à ta question, le catalogage de groupes ou compositeurs n'est qu'une vue de l'esprit pour pouvoir communiquer et ne devrait en aucun cas être utilisé pour décrire une musique. On calcule la température à partir des particules, on ne revient pas en arrière.


Selon moi il y a dans la musique de PN une volonté de provocation ; comment parviens-tu à conjuguer cette exubérance avec la justesse de ton qui se dégage de l'ensemble?
Je pense que le subversif devrait toujours être le fond de l'art. Seulement aujourd'hui même ce genre anticonformiste et rebelle par excellence qu'est le Black Metal s'apparente à un amas de règles sous-entendues à respecter sous peine de ne pas appartenir à la communauté. Tu sais comment il faut se déguiser pour faire partie du groupe, ce que tu dois penser, ce que tu dois boire, comment tu dois vivre cette société de consommation, qui tu dois combattre, ce que tu dois dessiner sur les bancs de l'école, etc. Au final l'approbation par tous de cette doctrine, ce folklore, insufflés à l'origine du genre rend cette « provocation » risible, ridicule, une simple habitude. En ce sens il serait plus ''Black Metal'' de commencer à penser l'asservissement de la femme, l'égorgement sans étourdissement des bêtes et l'attouchement des mineurs que de continuer à employer sa musique à propager l'amour dans la scène (j'ai appris récemment qu'en tant que musicien je me devais d'être ravi que l'on écoute ma musique et aimer sans vergogne mes ''fans''). Je ne suis évidemment pas en train de dire que c'est ce vers quoi doit tendre le genre, PN n'ayant rien de BM en ce sens, mais de montrer à quel point le Black Metal a perdu sa rage des premiers jours et n'est qu'un divertissement de plus au sein de ce consumérisme roi. De ce point de vue les âneries pseudo-doctrinaires qu'il engendre me font doucement rire. Pour faire dans le caricatural (car je n'ai pas la prétention du sociologue à réduire des individualités diverses et variées à un groupe uniforme et carré) les auditeurs, les groupes, ne pensent plus, ils suivent et entretiennent. Donc pour répondre à ta question, oui la provocation est consciente et revendiquée dans PN. Seulement ce n'est pas non plus le fond de commerce du projet, sinon j'aurais opté pour un artwork gore et immoral au possible. La provocation n'est pas une fin en soi sinon l'on devient objet d'une certaine dépendance face à l'adversité. Que deviendrait 95% des groupes de Black si le christianisme venait à disparaître ? Sont-ils seulement conscients de ce qu'ils combattent ? Combien ont étudié la théologie ?
Le chant clair se voulait par exemple faux et pénible sur "Grotesque" pour répondre aux nombreuses critiques vis-à-vis des voix sur "Vacuum". Seulement beaucoup l'apprécie et l'on m'a même demandé en interview si je n'avais pas pris des cours de chant… Internet est peut-être un magnifique outil de communication mais c'est surtout une enceinte où « la voix de l'idiot du village vaut autant que celle d'Aristote ». Démocratie du mégaphone…


Au-delà de la posture propre à la scène extrême, j'envisageais plus la provocation chez PN comme un dévoiement des codes du black afin d'interroger leur pertinence, inciter à leur renouvellement.
Comme Duchamp que tu cites plus loin , apporter plus de questions que de réponses nettes.
Oui évidemment, le Black Metal fait partie de mes préoccupations. Enfin plus les à-côtés vaseux et ce que l'on en a fait aujourd'hui que la musique en elle-même. Savoir que des Black Métalleux vont porter une oreille sur une chanson dévouée à l'amour naïve au possible, sur un bal musette cul-cul à l'accordéon ou à un chant de demeuré me fait évidemment jouir intérieurement. D'autant que certains apprécient ! Le tout étant de ne pas non plus tomber dans la facilité en prenant le problème par l'extrémité et en finissant déguisé en barbie au milieu de canards en plastique comme les nombreuses parodies qui pullulent sur le net.
Je pense effectivement qu'il faut arrêter de suivre ces espèces de codes sacrés auxquels personne ne croit mais qu'il ne faut surtout pas toucher sous peine de subir le courroux du dieu BM. Le genre serait quand même bien moins ridicule s'il commençait à remettre tout ça en question.


Les textes de l'album sont de nature très poétique, dans une veine quasi-surréaliste, comme autant de rires et de pleurs sur la vacuité des passions, de l'existence. Pourquoi les dissimuler à dessein derrière un chant inintelligible?
Pour être honnête le fait que le chant ne soit pas compréhensible n'est pas vraiment réfléchi et le contraire ne m'aurait pas gêné. La voix est un instrument à part entière qu'il faut parvenir à insérer dans le tout et j'ai plutôt porté attention à cet aspect. J'assume pleinement les textes mais je pense qu'il est important aussi d'avoir cet aspect visuel pour l'ensemble des jeux de mots et de lettres.


Quel nécessité préside à cette volonté de composer seul?
Il est tout simplement impossible d'innover en souhaitant à tout prix conserver cette configuration plus que réchauffée du deux guitares/une basse. Je pense que cette structure basique et reprise par quasiment tous les groupes de Metal Extrême, avec l'usage (souvent inconscient) de l'unique gamme harmonique mineure, est à l'origine de ce manège sans fin qu'est cette pittoresque scène aujourd'hui. Et cela est d'autant plus vrai pour un groupe parcourant les scènes : comment expliquer à un trompettiste que l'on a uniquement besoin de lui pour quelques mesures durant un concert ? Tu retrouves ça dans un orchestre symphonique, pour lequel les subventions astronomiques versées par l'Etat (malgré le prix inabordable des places et le taux de remplissage souvent correct plus de la moitié du budget de l'Opéra de Paris vient des fonds publics – « Allez à l'opéra de toute façon c'est vos impôts») permettent de louer les services d'un percussionniste pour un unique coup de grosse caisse durant toute une symphonie ; mais c'est assez peu imaginable pour notre cas. Et puis je dois aussi avouer ne pas être assez patient pour trainer sans arrêt la cinquième roue du carrosse (c'est en général le bassiste).


La musique de PN pourrait-elle exister sous une forme live sans être maladroitement altérée?
En référence la question précédente, pour des raisons financières et matérielles évidentes il serait impossible d'obtenir une représentation correcte du projet et disons que penser la composition en termes de live serait déjà lui porter préjudice. PN n'a pas la prétention d'être crédible, de devoir prendre vie un jour sur scène et c'est ce qui permet aussi toutes les fantaisies possibles et imaginables.


Le caractère imprévisible de tes compositions et la part belle faite aux parties instrumentales donnent un aspect extrêmement narratif à l'ensemble.
Est-ce une conséquence de tes techniques d'écriture ou bien "Grotesque" est-il le conte macabre que je soupçonne?
Cela t'étonnera peut-être mais tu es le premier à me poser la question, témoignage de la médiocrité de la scène Metal Extrême mais sûrement extrapolable à l'ensemble des styles musicaux aujourd'hui. La musique n'est plus un moyen d'exprimer, en la matérialisant et la codant, une idée comme devrait l'être toute démarche « artistique ». Il s'agit plutôt par exemple de produire le meilleur Black Metal possible : celui qui sera le plus proche de la vérité car « moi, je sais quelle est l'essence du style » ce qui signifie ni plus ni moins « j'en ai une plus grosse que les autres ». Le but n'est pas de faire réfléchir ou de travailler une idée mais de rentrer dans le moule pour conquérir le plus de fans possible, provocation rimant avec conformité aujourd'hui. Ce que l'on attend d'un musicien c'est qu'il crée la musique qu'on lui demande (une chronique n'est ni plus ni moins qu'un « j'aime » ou « j'aime pas » plus ou moins développé) et d'être ravi que quelques personnes daignent lui accorder cinq minutes de leur temps libre, pas de faire réfléchir ou de s'exprimer. Eh bien cela s'appelle la loi de l'offre et de la demande, pas de l'art. Le cirque d'Internet n'est qu'un gavage en règle, une consommation massive de bytes indigestes (bien que plus gros les uns que les autres). Ce théâtre grotesque est bien sûr approuvé et travaillé par les trois acteurs principaux de la scène : journalistes, auditeurs et musiciens.
Un chroniqueur, un journaliste, peu importe, n'est plus un critique : c'est un retranscripteur. Il transforme en mots ce qu'il entend avec le peu de bases musicales qu'il maîtrise (entre nous le pourcentage de « critiques en musique » ayant déjà touché une guitare doit être assez misérable), écrit une définition de la musique, une description. En général il donne ensuite son avis, expliquant que le sujet correspond à ce qu'il veut entendre ou non, que la musique se rapproche plus ou moins de sa vision du Black Metal ou autre, que PN « c'est bien parce que c'est original », ou alors que « c'est pas bien parce que c'est original ». A aucun moment, dans aucune chronique, je n'ai vu quelqu'un chercher à comprendre pourquoi a-t-on utilisé cet instrument ici ? A quel auteur font référence ces mots et pourquoi ? Quelle philosophie est développée ? Pourquoi ce passage-ci est-il minimaliste alors que celui-ci est d'une complexité sans pareil ? Ces accords forment-ils des mots ? Pourquoi y a-t-il des puzzles et des jeux de mots dans les paroles ? Tout le monde parle du coucou, des applaudissements et autres élucubrations mais personne ne va chercher à savoir ce qu'ils font là. C'est amusant, c'est original, on ne va pas plus loin. On pense qu'il est adapté de me demander en interview si je suis stressé pour la sortie de l'album, si je joue live ou de décrire mes influences mais jamais on ne cherche vraiment à saisir le sens de l'album… Néanmoins, pour avoir déjà tenu le rôle du chroniqueur il faut avouer que croulant sous le flot abondant d'albums plus dénués d'intérêt les uns que les autres il est impossible de lire l'article en entier, on se suffit des images. Ce manque total d'intéressement pour le fond, contre la forme, est je pense aussi dû à la multiplicité des webzines, fanzines, radios et co, qui de ce fait manquant de main d'œuvre font appel à n'importe quelle âme charitable pour peu qu'elle arrive à aligner quelques mots sans trop de fautes d'orthographe. L'intérêt n'est pas d'obtenir l'opportunité de s'exprimer et d'être lu (combien de lecteur pour une chronique ? 50, 100 ? Combien d'entre eux la liront entièrement ?), mais de recevoir un album gratuit contre quelques lignes. Evidemment je caricature et il existe toujours des chroniques plaisantes à lire, constructives et réfléchies, mais le tri est assez laborieux.

Les auditeurs… Le rôle de l'auditeur aujourd'hui consiste à télécharger le plus rapidement possible l'album pour être le premier à exprimer son avis sur Last Fm et Youtube et surtout avant la sortie (important). Avis ressemblant au « j'aime » ou « j'aime pas » d'une chronique en moins développé, avec parfois, si l'on a de la chance, un « ça me fait penser à tel groupe » en sus. Il y a tant de sorties d'album aujourd'hui qu'on ne va tout de même pas se casser la tête dessus. Mettre ça en fond sonore pour travailler ou pour conduire est déjà amplement suffisant. On ne manquera tout de même pas d'écrire aux musiciens pour leur dire ce qu'ils devraient améliorer la prochaine fois. Après tout, les consommateurs c'est nous, c'est-à-dire le souci premier de l'artiste, et le client est roi paraît-il. Mais entre nous, qui se targuerait d'aimer une peinture abstraite pour elle-même sans prendre la peine de la déchiffrer ? Comment peut-on se permettre d'émettre un avis sur une œuvre art sans en posséder les codes, le décrypteur ? Cela reviendrait à connaître seulement quelques mots d'allemand et vouloir comprendre un article du Handelsblatt : on arrive à saisir quelques bouts mais on ne comprend rien à leur enchaînement ni au sens global du texte. On ne peut plus penser l'art aujourd'hui comme on aurait pu le faire avant Duchamp. Un artiste ne recherche plus le Beau du XVIème siècle, le sublime, la Vérité ou à se rapprocher le plus possible du modèle idéal et suprême. On a évidemment le droit de dire « j'aime » ou « j'aime pas », mais pas avant d'avoir tous les outils en main pour cela. Malheureusement la consommation de musique aujourd'hui est à l'image des émissions culturelles et intellectuelles qui défilent aux heures de grande antenne sur TF1. On ouvre la bouche et on attend. La musique n'est qu'un divertissement, un cirque pour adolescents perdus et désabusés à la recherche d'identité ou d'un moyen de tuer le temps entre deux parties de Counter Strike.

Mais la scène ne serait pas ce théâtre pitoyable à entrée gratuite et donc ouvert aux plus demeurés si ses marionnettes principales ne se prélassaient pas joyeusement dans leur pseudo-élitisme boueux convaincues de maîtriser leur destin. Je prendrai pour exemple cet anticatholicisme récurrent et si désuet : honnêtement, avec les bouleversements culturels que connaît l'Europe d'aujourd'hui, niveau subversif et religieux il y a quand même plus prioritaire que le curé de campagne, non ? Mais aujourd'hui on ne se sert pas du Black Metal pour combattre le Christianisme, on devient antichrétien car on veut faire du Black Metal. Ca passe mieux, c'est plus conforme, c'est le bon moule. Les convictions sont implantées par la musique et non grâce à elle. Personnellement j'utilise les styles me semblant les plus appropriés aux moments propices, pour exprimer quelque chose de précis. Je ne me dis pas « je vais faire le Black Metal le plus puissant, le plus véridique, donc je vais dessiner des croix à l'envers ». Comme si tout était déjà dessiné et qu'il n'y avait plus qu'à suivre le chemin des anciens. Seulement niveau anticonformiste on a quand même fait mieux et quoi que vous fassiez, il n'existera qu'un seul "Transilvanian Hunger".
Par sa simplicité apparente et son côté minimaliste revendiqué le Black Metal a cette particularité d'attirer tel un tue-mouche les esprits les plus simplets et perdus en leur proposant une identité et un statut « d'artiste ». Finalement la boucle est bouclée : le consommateur devient producteur, écrit les critiques et se réjouit d'être écouté. Tout est bien qui finit bien. Seulement on connaît le résultat de nourrir les bœufs au steak haché.

Ce constat se veut évidemment provocateur et il y a malgré cela des gens respectables et digne d'intérêt dans ces catégories. Ce n'est pas non plus le témoignage de mon égocentrisme démesuré, PN n'étant pas la vérité ni le projet absolu auquel tout le monde devrait se rallier. Les retours sur l'album se veulent dans l'ensemble plutôt « positifs » et je ne cherche pas à passer pour un incompris sur lequel tout le monde cracherait. Mais pour avoir atterri depuis peu au cœur de la scène je commence à me rendre compte à quel point la situation est consternante et cela me travaille pas mal. Chacun a le droit « d'aimer ou de ne pas aimer » mais pas de parler sans avoir pris la peine de connaître le sujet, comme il est tout simplement risible de cracher sur le Christianisme sans avoir étudié les « textes sacrés » (tous les Black Metalleux l'ont-il seulement fait ?). Avant de vous exprimer, essayez au moins de faire semblant d'avoir cherché à comprendre ce qu'il y a derrière, essayez de sortir de cette relation consommateur/producteur, essayez d'utiliser la musique comme un moyen de faire marcher votre cervelle et non comme une aliénation aveugle, essayez de ne pas tomber dans le ridicule en incarnant le rôle du gamin gâté-pourri qui crache dans la soupe ou que l'on mène où l'on veut avec le bon bonbon.


Quelques remarques sur les nombreux points que tu viens de soulever. Au sujet de la critique musicale : je pense que la force de PN réside en partie dans son hermétisme et la séduction qu'il opère sur notre curiosité.
Ne crois-tu pas qu'en dévoilant les clés de lecture de l'album dans une chronique ou un itw on gâche une approche privilégiée de ta musique?
Si évidemment et c'est la raison pour laquelle je me suis orienté vers la musique plutôt que l'écriture de même qu'un philosophe adoptera la prose plutôt que la poésie pour exposer ses idées. Dévoiler l'ensemble des subtilités de l'album serait effectivement idiot et castrateur mais ce n'est pas le fait que les auditeurs ne comprennent pas entièrement l'œuvre qui m'interpelle et c'est de toute façon impossible (non pas par manque de capacité intellectuelle mais tout simplement car il est aisé de paraître cultivé lorsqu'on est celui qui pose la question). Je suis surtout intrigué par le fait qu'on ne prenne même pas la peine de s'interroger ce qui est pourtant une des principales fonctions de l'Art avant le divertissement non ? Il ne faut pas comprendre ici que je crie au scandale parce que PN devrait recevoir plus d'attention qu'un autre groupe quelconque mais plutôt que je regrette que le BM soit aujourd'hui touché de ce vide sur lequel repose toute notre société. Ce n'est pas des génies ou des gens talentueux que l'on voit en allumant la télé mais des clowns et des blondasses décérébrées. Les premiers préfèrent s'enfermer dans des laboratoires que dans le petit écran. On donne la parole aux gens qui n'ont rien à dire et ils la prennent…


Le manque d'intérêt pour la forme, la consommation culturelle, une certaine forme de paresse ; la nature même d'internet est faite d'immédiateté, de news rapides, la lecture hypertexte décourage l'investissement, etc.
ne cibles-tu pas un problème de médium avant tout? Comme dans les autres disciplines artistiques, les analyses de fond ne devraient-elles pas trouver refuge dans les revues papiers spécialisées à faible périodicité et au lectorat restreint?
Parce que selon toi la plupart des webzines et fanzines ne sont pas déjà assez spécialisés et à faible lectorat ? Si c'est ce que tu veux me faire dire, non cette approche n'a rien d'un élitisme revendiqué ; je ne suis pas en train d'expliquer que seuls certains chanceux sélectionnés peuvent comprendre PN et méritent de l'écouter car il s'agit plus d'une question de comportement que de capacités intellectuelles. Comme expliqué précédemment le problème ne concerne pas seulement les media et je ne vois pas trop en quoi changer le support pourra faire avancer les choses. Ce qu'il faut comprendre aujourd'hui c'est que l'on a aucun moyen de contrôler l'information : tout le monde exprimera son avis qu'on le lui ait demandé ou non. Aussi je ne demande pas que PN reçoive une meilleure couverture médiatique, je décris une situation qui me consterne et contre laquelle on ne peut de toute façon rien faire. Il existe déjà des fanzines que je considère comme dignes d'intérêt et une augmentation de leur lectorat serait la preuve d'une évolution (inespérée). Je ne vois pas vraiment en quoi réserver l'information à une certaine couche de la population amènera la musique à être respectée.


Enfin, je te soumets une citation de Paul Valery : « Il n'y a pas de vrai sens d'un texte, pas d'autorité de l'auteur. Une fois publié un texte est un appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses moyens. »
A l'inverse, je te sens viscéralement concerné par les retours sur ton travail, quitte à placer trop d'attentes -fondées ou non- sur les auditeurs potentiels.
L'intérêt de « se servir à sa guise » d'un extrait de texte comme tu viens de le faire c'est l'argument d'autorité : mettre de son côté la notoriété de l'auteur pour que cela pèse plus dans la balance qu'une simple reformulation de l'idée. Comment justifier cela si, par exemple en sortant la phrase de son contexte ou en tronquant une partie de l'idée, on l'utilise pour défendre une thèse totalement différente ? Le nom de l'auteur a-t-il toujours une signification ? A mettre en parallèle avec les différentes lectures des textes religieux et les conséquences que l'on sait.
Cependant on s'égare tout de même car il ne s'agit pas ici d'employer les lignes du livre contre le gré de l'auteur, mais de se servir de ses pages pour se torcher le cul plutôt que de les lire et d'en commenter ensuite le ressenti : la douceur du papier, l'encre qui déteint plus ou moins, la capacité d'absorption de la matière, etc. La différence entre l'écriture et la musique présidant dans le fait qu'il est assez peu évident de se torcher avec un ebook…
Pour en revenir à la question, je suis conscient que le partage, toujours total grâce à Internet, devrait aller de pair avec une certaine tolérance et je pense quand même faire preuve d'une certaine patience puisque pour le moment PN vit toujours. Mais ce n'est pas une raison de cesser d'exprimer ma frustration avec l'espoir qu'un jour on s'abstienne en interview de m'interroger sur ma couleur préférée pour aborder des sujets peut-être un peu plus primordiaux.


Tu suis un parcours de musicien autodidacte ; compte-tenu de la complexité et du nombre croissant d'instruments intervenant dans la musique de PN, penses-tu être un jour dépendant de la théorie musicale?
On l'est toujours, plus ou moins inconsciemment, malgré l'ambition de s'en éloigner le plus possible. Comme la plupart des musiciens occidentaux, j'utilise les 12 notes de la gamme chromatique, je me sers de temps, de mesures, d'harmonies, d'instruments… Ce n'est pas quelque chose d'inné ou de naturel mais un héritage historique dont il est difficile de se détacher lorsqu'inculqué depuis le plus jeune âge. J'ai donc souvent été amené à m'instruire quelque peu sur la théorie musicale pour pouvoir évoluer mais cela reste assez ponctuel et il est évident que le résultat ferait rire n'importe quel « professeur » de musique. Tant mieux. Le solo foiré dans "Grotesque" est un peu l'incarnation de cela, un moyen d'exprimer le fait que personne ne devrait me dire comment tenir ma guitare, comment je devrais positionner mes doigts, quelle est La façon de jouer car au final tout cela n'est qu'éducation de l'oreille. Cela ne veut pas dire que l'on peut faire n'importe quoi sans réfléchir et le présenter comme œuvre d'art mais qu'il faut essayer de sortir des sentiers battus empruntés par tout le monde si l'on veut une chance de trouver des champignons.


Les compos de "Grotesque" suivent souvent des chemins surprenants, je leur trouve une nature bourgeonnante pour tout dire ; éprouves-tu des difficultés à mettre un point final à tes partitions?
La difficulté n'est pas à prendre ici en termes de fardeau mais de stimulant. Contrairement à un Dark Funeral qui a trouvé la recette magique et se contentera jusqu'à la fin de refaire la même chose (deux rythmiques qui doublent le riff et une lead par-dessus reprenant la même gamme : tout le monde sait que ça marche) je ne trouve d'intérêt que dans la recherche du nouveau : des combinaisons inédites, des instruments incongrus, des transitions surprenantes, etc. En ce sens l'imagination joue un rôle majeur et chacun sait que ce n'est pas l'outil le plus logique et le plus rationnel qu'il soit. D'où peut-être cette impression de « bourgeon ». Mais c'est aussi ce qui en fait son charme : ne pas toujours être non plus absolument maître du processus.


Vu l'extrême perméabilité de PN à des genres extérieurs à la musique extrême (classique, blues, etc.) et la liberté de ton employée, conçois-tu que l'évolution de ta musique puisse l'emmener en dehors de la sphère metal?
(A considérer que la définition de cette sphère revête une quelconque réalité pour toi).
Il est souvent peu évident de porter un regard critique sur soi mais outre la passion que je développe pour le « Metal » je pense m'être principalement orienté vers cette scène pour la simplicité d'y entrer. La composition, comme l'écriture ou le dessin, n'est pas un don du ciel, ça s'apprend et il était sûrement plus aisé de composer du Black Metal qu'une symphonie contemporaine. Cela ne veut pas dire que je vais laisser tomber pour autant le genre, mais il est évident que je ne m'y engluerai pas, comme c'est déjà un peu le cas pour "Grotesque".


Pour continuer sur le mélange des genres, j'ai noté sur "Grotesque" une plus grande miscibilité des parties purement black avec les instrus on va dire "classiques", travailles-tu particulièrement sur cet aspect de l'écriture?
Le but n'est effectivement pas de coller bout à bout des passages hétérogènes mais de donner un peu de cohérence à l'ensemble, éviter l'uniformité comme l'incohésion vulgaire. Je ne vais pas ajouter une trompette ici ou là pour faire original ou pour me vanter d'introduire une trompette. Il faut que cela ait un sens, qu'elle incarne quelque chose de précis.


Les premiers enregistrements de PN marquent également le début de l'aventure pour "Les Acteurs de l'ombre Productions". Que t'inspire cette double naissance?
Une double mort ? Non PN n'est pas vraiment en danger mais j'ai tout de même un peu peur que la mère décède des suites de son enfantement. Je trouve vraiment honteux de voir un passionné comme Gerald (ancien président des acteurs et manager du label) sacrifier autant de temps et d'argent dans une scène qui ne le lui rend pas…


Si "Grotesque" est le fruit de tes pensées nocturnes, redoutes-tu le jour où tu retrouveras le sommeil?
Pour reprendre scandaleusement les mots de ce modèle pour pseudo-dépressif rebello-gothique qu'est Cioran : « Des années et des années pour se réveiller de ce sommeil où se prélassent les autres ; et puis des années et des années, pour fuir ce réveil… ». Je suis encore assez jeune pour ça je pense. En tout cas ma libido créatrice n'est pas encore morte.


Pour revenir à ce voyage dont je parlais en début d'entretien, un petit mot sur l'artwork (qui m'évoque furieusement un croisement entre un équipage de bateleurs et une caravane de freaks)?
Avec un lay-out de 3-Crosses l'artwork est l'œuvre de Stephen Rothwell, artiste britannique évoluant dans un univers décalé, cauchemardesque et grandiloquent. L'association intempestive qu'il fait d'éléments d'univers totalement distants pour obtenir un résultat tout de même naturel m'a paru être la meilleure représentation visuelle possible de l'album. Une métaphore de la robotisation absurde de l'homme moderne que nous sommes tous. Mais il vaut mieux en rire.


Merci pour ta disponibilité et ta volubilité! Une dernière pensée nocturne?
Merci pour ton intérêt et bonne continuation.

MySpace: http://www.myspace.com/penseesnocturnes
http://www.lesacteursdelombre.com/productions


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