La course à la mort
publication le : 01/02/2012

Vous connaissez Death Race 2000 ? Pour ceux que ça intéresse, il s'agit d'un vieux film (1975) de série Z avec Sylvester Stallone, dans lequel il faut rouler dans des caisses futuristes en pulvérisant des mecs pour marquer des points. Bref, un film stupide au scénario écrit en deux minutes par un illuminé entre deux fournées de « ribs », et réalisé par l'iconoclaste Paul Bartel, qui a remis le couvert en 1982 avec un crime cinématographique au titre aussi fabuleux que ce que son affiche est laide, « Eating Raoul. » Notez que dans Death Race 2000, il y avait aussi David Carradine, acteur connu pour son rôle de moine Shaolin dans la série « Kung_fu », et décédé dans des circonstances abracadabrantes en 2009 à Bangkok, les burnes solidement attachées par une cordelette.

Bref, la « Course à la mort de l'an 2000 », c'est un peu ce qu'on fait, nous, les batteurs de death metal. On ne sait pas trop pourquoi on le fait, mais on le fait. Chronologiquement ce n'est pas tout à fait exact, parce qu'on peut considérer que cette ascension frénétique vers les limites du click date d'il y a très longtemps. Et même si les John Longstreth, Tim Yeung et autre George Kollias défient aujourd'hui les lois de la physique, ils ne sont pas les premiers, loin de là, à s'être dit que jouer de la batterie le plus vite possible pourrait les propulser au panthéon des batteurs d'exception.

Alors, qui c'est qui a commencé? Lars Ulrich ? Dave Lombardo ? Ian Paice? Que nenni, chers amis. Le père fondateur du break supersonique, l'architecte séculaire du frisé nucléaire, c'est un certain Buddy Rich. Un type mort depuis des années, qui n'a jamais connu l'avènement des groupes canadiens hyper techniques à la Beneath the Massacre ou Cryptopsy, et qui n'a jamais rentré un gravity blast. Un blaireau, quoi. Mais un blaireau sans qui on ne serait rien, parce qu'il a presque tout inventé en matière de batterie extrême. Disons qu'il fut le premier à exploiter l'instrument jusqu'au bout de ce qu'il est possible d'en tirer, en terme de vitesse, d'acrobaties, de puissance, aussi. Un vrai maboule, qui faisait des bastons de batteurs contre ses potes, notamment Gene Krupa, la légende des big-bands, l'un des seuls qui pouvait rivaliser avec le maître.

Donc voilà, vous avez compris, on y est. La batterie comme terrain de jeu pour définir qui pisse le plus loin, déjà, dans les années 60. Sauf qu'à l'époque, les compétiteurs sont en costume, les dames de l'assistance sont maquillées, et entre deux roulements de caisse claire, des types en veste à queue de pie servent des petits-fours. Classe.

Aujourd'hui, la Rangers (pour l'intègre) ou la New Rock (pour l'esthète) ont remplacé le mocassin en pécari, et le sandwich au jambon a supplanté le canapé aux fruits de mer, mais l'enjeu reste le même : qui c'est le plus rapide ? Parce que même si l'amateur de musique lambda ne s'intéresse que rarement à la vitesse d'un blast-beat, le musicien, lui, ne peut pas s'empêcher de faire des comparaisons. Pour des raisons inexplicables, le plus souvent. Est-ce si important de savoir que le morceau « Sacrifice Unto Sebek » a été enregistré à 265 bpm ? Et pourtant je le sais, et j'ai pas eu besoin de chercher l'info sur la toile (je l'ai vérifiée, par souci éthique, mais je le savais avant). Je n'essaierai jamais de jouer ce machin, mais un jour, j'ai voulu savoir à combien ça allait. Par voyeurisme, par jalousie, par curiosité. Parce qu'il le fallait. Et pour me dire « putain, le con, 265 !!! » Fascinant.

« Sacrifice Unto Sebek » n'est pas mon morceau préféré de Nile, loin de là. Et Nile n'est pas non plus mon groupe préféré. Mais je sais qu'il y a des amateurs du groupe qui adorent leur musique justement parce que ça bourre à mort, et que le concept « riff assassin incompréhensible -blast beat de l'enfer » séduit une certaine frange du public metal. Et c'est quelque part un cercle vicieux : si les gens aiment Nile, peut-être qu'en allant encore plus vite et plus loin, un autre groupe pourra surfer sur une vague de succès en marche. Mais est-ce vraiment le bon calcul ? Parce qu'il faut déjà être capable de faire mieux, ou pire, comme vous voulez, et il faut aussi garder à l'esprit que si le public a supporté le colossal flot d'informations d'un groupe talentueux comme Nile, rien ne dit que les mêmes fans sauront trouver leur bonheur dans la musique d'un autre groupe qui s'essaiera à la surenchère.

Mais il y a bien une chose de sûre et certaine : en allant toujours plus loin, plus vite, vers les sommets de la technique, on n'élargit pas son public, et on ne crée pas forcément de la bonne musique. Par contre on pisse loin. Il y en a pour qui c'est suffisant. Il y en a qui considèrent que c'est grâce à ça que la pratique d'un instrument évolue. Il y en a qui pensent que c'est débile et qui en font des tonnes pour expliquer que c'est pas important de savoir qui c'est le plus balèze. Et il y en a qui s'en branlent, mais alors...complètement. Finalement le plus dingue, c'est qu'on arrive toujours, entre nous, à parler de musique, alors qu'on a des manières si différentes de l'appréhender. En fait, c'est beau, pour ça, le death metal.
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Auteur
Commentaire
Malfas
IP:212.195.212.177
Invité
Posté le: 01/02/2012 à 13h32 - (80)
Article interessant, et tres belle conclusion ;)

BozKiller
Membre enregistré
Posté le: 01/02/2012 à 13h45 - (81)
héhé, intéressant début d'analyse, à poursuivre, notamment peut-être avec la notion du toujours plus loin chère à notre genre musical: Pourquoi toujours plus de son, de rapidité, de complexité, de surenchère, de cadavres, de sang, d'anti-religion? pourquoi toujours dépasser les limites? c'est la crise d'ado en continue, une indispensable envie d'aller plus haut, plus loin, de faire mieux que le voisin???

Stickskiller
Membre enregistré
Posté le: 01/02/2012 à 13h51 - (82)
Voilà, maintenant mon but dans la vie est de jouer "Sacrifice Unto Sebek" à 266 bpm.

canibool
IP:178.250.105.90
Invité
Posté le: 01/02/2012 à 14h13 - (83)
chez les gratteux c'est pareil. vous connaissez p'tet mickael angelo bato... c'est une blague ce type. mais qu'est-ce qu'il joue vite. enfin c'est un trip. c'est rigolo. mais ça n'a aucun intérêt.




KnightWhoSayNi
Membre enregistré
Posté le: 01/02/2012 à 14h14 - (84)
Agréable à lire, et pétri de réflexions intéressantes, comme d'hab'. Mais surtout, mentionner Rich & Krupa : bravo et merci. Juste par souci de la précision : l'heure de gloire de leurs 'battles' c'est plutôt les 50's, culminant avec ce délicieux pugilat de grooves au Carnegie Hall en 1952.



canibool
IP:178.250.105.90
Invité
Posté le: 01/02/2012 à 14h14 - (85)
chez les gratteux c'est pareil. vous connaissez p'tet mickael angelo bato... c'est une blague ce type. mais qu'est-ce qu'il joue vite. enfin c'est un trip. c'est rigolo.


ego
Membre enregistré
Posté le: 01/02/2012 à 14h48 - (86)
La technique c'est chouette... en studio surtout. Alors oui, le recalage et le trig font partie du jeu, c'est à dispo pourquoi ne pas s'en servir ? Mais ça me défrise tout de même les poils de constater parfois le décalage entre le boulot d'un batteur chirurgical ou efficace en stud' et sa prestation sur scène (bon y a des jours avec et sans aussi mais bon...) parce que protools est plus là. Et ce pas simplement dans le Death... mais c'est tout de suite plus flagrant quand on passe dans les styles extrêmes. Je serais curieux de savoir si la frappe thermo-nucléaire du cogneur de Cattle Decapitation est aussi redoutable en live qu'en studio. Et pour faire un peu de lèche, je sais pour l'avoir vu avec Otargos que le rédacteur de ce blog envoie la même purée sur scène qu'en stud'.



Bertrand
Membre enregistré
Posté le: 02/02/2012 à 18h22 - (87)
Bien dit tout ça ! Je suis d'accord avec la conclusion aussi. Merci :)

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