Thomas Josefsson (chant) - EVOCATION par TONTON - 2037 lectures
"On ne voulait pas d’un mur de guitares. On ne voulait pas empiler les pistes de chant. C’est ce que font beaucoup de groupes aujourd’hui pour avoir un gros son mais le résultat final, c’est que tu te retrouves avec un disque formaté qui a trop de guitares, trop de chant, trop de tout en fait. Tout le monde fait ça et semble satisfait du résultat, ce n’était pas notre façon de voir les choses.". C'est en ces termes pleins de lucidité que Thomas Josefsson nous a confié la vision du death qu'il partage avec ses acolytes d'EVOCATION. De l'initiation au deuxième album en passant par une séparation, venez prendre part à cette immersion dans le temps.
VS - Hello Thomas, avant de commencer cette entretien et de parler d’EVOCATION, j’aimerais que tu nous parles un peu de ton parcours musical. Avant EVOCATION il y a eu FORSAKEN GRIEF…
Thomas – Holà… Tu as entendu parler de FORSAKEN GRIEF ?
VS – J'en ai bien peur, oui.
Thomas – (rires) En fait c'est plutôt cool à entendre. Oui, effectivement il y a eu ce groupe j'étais chanteur et guitariste. On a même enregistré une démo.
VS – C'était ta première expérience dans le death metal ?
Thomas – Non en fait avant ça j'avais joué dans un groupe avec Johan de LAKE OF TEARS. On devait avoir dans les douze-treize ans. On ne savait jouer d'aucun instrument et on s'était baptisé HEAVY VOICED. C'était une vraie catastrophe. Puis une paire d'années plus tard, on a remis ça avec Johan avec un nouveau groupe. Au début on s'est appelé MORBID DEATH et puis finalement on a changé pour MORIBOUND ou un truc comme ça. Je ne sais plus très bien. Là on se contentait de faire des reprises de METALLICA. Enfin, il y a eu FORSAKEN GRIEF vers 1988. Je crois bien que nous avons été le premier groupe de death metal suédois à donner un concert à Borås. C'était assez comique d'ailleurs.
VS – Oui, c’est difficile à imaginer maintenant mais il était difficile de trouver des musiciens et de donner des concerts en Suède à cette époque…
Thomas – Oui mais c'est surtout que nous nous sommes retrouvés à l'affiche d'un festival local avec des groupes qui n'avaient rien à voir avec le death metal. L'ingénieur du son n'avait jamais rien entendu de tel et, je crois bien, se demandait ce qu'on foutait exactement. Les gens riaient pendant notre set. J'avais amené avec moi des notes avec les textes des chansons et l'ingé son est venu me voir à la fin du set et m'a demandé si j'avais vraiment quelque chose d'écrit dans mon bloc. (rires)
C'était donc difficile de faire des concerts, de trouver un studio dans notre coin. Le death metal était tout nouveau…
VS – Tu as donc, par la suite, mis ton expérience au service d’EVOCATION. On connaît l’histoire de vos deux démos, l’avenir brillant qui semblait déjà se dessiner quand le groupe a subitement splitté. Quelles souvenirs gardes-tu de l'expérience que vous avez eu avec Thomas Skogsberg lorsque vous avez enregistré « The Ancient Gate » au Sunlight Studio ?
Thomas – C'était un truc assez incroyable en fait. Je me souviens que Thomas était un type super cool. Malgré notre manque d'expérience, il n'a pas cherché à nous « diriger ». Il a vite compris que nous étions parfaitement prêts. En fait ça a été très facile de travailler avec lui. Il a eu des propos très élogieux à notre sujet par la suite. J'ignore encore ce qui l'avait séduit à ce point dans notre musique.
VS - Vous racontez dans la bio que la séparation du groupe était alors due à des divergences musicales mais je trouve ça un peu trop vague. Que s’est-il passé exactement ? Vas-y balance. C’est le moment ou jamais de vider ton sac. (rires)
Thomas – C'est assez facile à expliquer en fait. A l'époque ENTOMBED, DISMEMBER, UNLEASHED et GROTESQUE étaient au top et on voulait faire la même chose. On travaillait très dur pour ça et on répétait souvent quatre ou cinq fois par semaine. Le hic c'est que nous étions jeunes, inexpérimentés et les choses sont peut-être allées un peu trop vite pour nous. Après la seconde démo, nous avions eu des propositions de labels intéressantes mais ça a vite dégénéré entre nous. Nous avions chacun notre personnalité mais la communication n'était pas notre truc. Vesa (guitare) était une véritable tête de mule et il avait une idée très précise de ce qu'il voulait. Mais personne n'était d'accord sur l'évolution qu'on voulait donner à EVOCATION. Certains voulaient faire une musique plus rapide, d'autres plus lente, Vesa voulait faire sonner plus death, Christian (basse à l'époque) voulait intégrer des éléments psychédéliques. Bref, c'était le merdier, personne ne se parlait et naturellement on a fini par se bouffer la gueule entre nous. D'ailleurs lors que nous nous sommes reformés, j'ai tout de suite posé une condition : celle d'une véritable communication entre nous. Toutes les tâches sont donc partagées entre nous. Peu importe qui écrit les paroles, compose la musique ou vend les t-shirts.
VS – Le fait que le groupe se soit reformé depuis quelques années est-il imputable à une certaine maturité ?
Thomas – Oui, je crois que c'est ce qui nous a permis de recommencer. Nous sommes tous satisfaits de nos vies. Janne (batterie) à une famille et sa propre entreprise, Vesa a un bon boulot d'ingénieur du son en studio, Martin a un bon boulot et Marko vient de terminer ses études de psychologie. En faisant ce come-back, nous n'avions rien à perdre. Le but est simplement de prendre du bon temps pas de faire de la musique notre métier.
VS – C’est quand même la sortie de l’album éponyme qui vous a remis sur les rails. Comment cela s’est-il passé au juste ?
Thomas – Je crois qu'on était tous restés un peu frustrés de nos déboires avec EVOCATION. Nous étions si près du but, si près de décrocher un deal pour notre premier album. Je pense que nous avions tous conscience que la boucle n'était pas bouclée et lorsque Akhenaten (JUDAS ISCARIOT) de Breath of the night a proposé de rééditer nos deux démos via Merciless records, il n'a pas été nécessaire de réfléchir longtemps. C'était l'opportunité de sortir ce fichu CD et tirer un trait sur EVOCATION. Aucun d'entre nous n'envisageait de remettre ça.
VS – Comment as-tu réagi lorsque tu as entendu parler de cette réédition ? ça devait avoir l’air d’une blague, non ?
Thomas – A ce moment-là, j'étais au Cambodge. Vesa m'a envoyé un mail me disant « Hey, nous avons une proposition de deal pour EVOCATION » et je lui ai répondu aussitôt « Hein ? De quoi est-ce que tu parles au juste ? ». Il m'a alors expliqué toute l'affaire. Je n'ai pas pris ça pour une blague mais je me suis dit qu'il fallait être sérieusement cramé pour ressortir nos vieilles démos.
VS – J’ai lu quelque part que vous n’étiez pas très satisfait par le travail réalisé sur cette sortie. J’ai même entendu dire que vous vouliez rééditer une nouvelle fois les deux démos.
Thomas – On voulait remixer les enregistrements. Pas la démo qu'on avait faite au Sunlight mais plutôt la seconde démo dont le son était plutôt pourri. Vesa s'est donc mis au boulot. Malheureusement, Akhenaten a disparu dans la nature avec notre master et Merciless records a donc réédité les démos à partir des bandes originales ce qui explique les différences de son.
Pour ce qui est d'une éventuelle réédition, c'est tout à fait exact. Cependant, je ne pense pas que ça sortira sous la forme d'un album mais plutôt d'un bonus CD ajouté à un prochain disque. Ça me semblerait plus honnête vis-à-vis des fans.
VS – En parlant de fans, j’imagine que vous avez été plutôt surpris par le retour que vous avez eu suite à la réédition des deux démos. Aviez-vous seulement une vague idée du fait que le nom d’EVOCATION était encore significatif pour de nombreux fans ?
Thomas – Franchement ? Non ! Pas du tout ! Il faut dire que c'est tellement simple aujourd'hui avec Internet de suivre de près les retours ou de mesurer la popularité de ton groupe. C'était pas le cas au début des années 90 sinon nous aurions su que le nom d'EVOCATION, que nos démos avaient fait plusieurs fois le tour du globe par le biais des tape-traders. On aurait dû le savoir ou au moins s'en douter. Même encore aujourd'hui, c'est toujours sympa de rencontrer des gens lors de festivals qui viennent nous voir et nous disent qu'ils ont chopé nos démos par tel mec qui l'avait reçue d'un autre, etc. C'est juste incroyable de se dire que nos vieux titres circulaient encore après toutes ces années.
VS - J’aimerais maintenant que tu me racontes un peu dans quelles circonstances vous avez décidé de remettre ça. Tu étais toujours en contact avec les autres ?
Thomas – Non pas vraiment, j'ai pas mal bougé tout au long de ces années mais je sur Gotheborg depuis quelques années. L'idée de la reformation est surtout venue de Vesa et Marko suite aux retours enthousiastes que nous avions eus. On ne pensait pas avoir laissé une aussi forte impression. Ça nous passait complètement au-dessus de la tête à l'époque. Nous étions juste une bande de merdeux qui jouaient du death metal et qui buvaient de la bière. Le groupe s'est donc réuni dans un local de répet pour la première fois depuis 12 ans. Le premier bœuf a été pathétique mais le plaisir était là. C'est alors qu'ils ont eu l'idée de m'appeler pour me proposer de reprendre ma place de chanteur. J'ai dit oui sans même réfléchir dès que Vesa m'a parlé de ça. Par la suite, j'ai moins fait le malin parce que j'en ai sérieusement chié pour me remettre aux growls. Les premières répet ont été horribles. A la fin de chaque répétition, ma gorge me faisait souffrir le martyre. Je crachais du sang comme un tuberculeux mais la satisfaction était là.
VS – Avant qu’on ne parle du nouvel album, j’aimerais qu’on fasse un petit aparté sur « Tales from the Tomb », le premier véritable album du groupe qui a été unanimement salué par la critique. Vous aviez quand même choisi de reprendre un de vos vieux titres « Veils were blown ». Pourquoi celui-ci en particulier et avez-vous songé à reprendre d'autres morceaux de vos démos pour les réadapter sur de prochains albums ?
Thomas – Cette décision s'explique assez simplement en fait, « Veils were blown » était un titre du promo que nous avions sorti quelques mois après la première démo. C'était un excellent morceau mais la production du promo était plutôt faiblarde –la raison pour laquelle Vesa avait bossé sur le remix perdu- et nous avons donc décidé qu'elle méritait mieux que de finir ses jours sur une réédition. Maintenant, je ne pense pas qu'il y aura d'autres cas de figure. Aucun d'entre nous ne songerait à toucher aux titres de « The Ancient Gate ». On ne pourrait pas faire mieux de toute façon.
VS – C’est d’ailleurs sur ce même « Veils were blown » que vous aviez votre premier invité sur « Tales from the Tomb » : Gustaf Jorde de DEFLESHED était venu en studio pour rugir quelques backing vocals…
Thomas – Ouais… c'était d'ailleurs très sympa de sa part…
VS – Vous aimez bien les invités d'ailleurs parce que ce coup-ci, Anders Bjorler (THE HAUNTED) et Dan Swanö apparaissent sur plusieurs titres de « Dead Calm Chaos ». Vous fréquentez le gratin de la scène suédoise… de vrais « people » du métal…
Thomas – (rires) Bah il n'y a rien d'intentionnel dans ces participations. Il n'y a aucun calcul ou désir populiste là-dedans. Il faut simplement mettre ça sur le compte de concours de circonstances. On a pas mal d'amis dans la scène et c'est bien normal après toutes ces années. Et puis, je trouve ça assez cool que des gens aussi occupés que Dan viennent se prêter au jeu. La scène suédoise est assez particulière. Je ne sais pas si c'est pareil chez vous mais ici, on ne peut pas compter sur une quelconque solidarité entre groupes. Chacun fait son truc dans son coin, est bien sympa, mais les civilités s'arrêtent là. Je ne pense pas qu'on puisse parler d'une véritable communauté soudée dans ces conditions. Alors ouais, c'est cool que des gens comme Dan ou Anders viennent faire des apparitions sur notre album. Cependant, je ne pense pas que c'est quelque chose que nous allons cultiver pour les prochains albums. On a eu assez d'invités pour le moment. Après si David Lee Roth ou Nikky Sixx sont de passage dans le coin et qu'ils insistent pour apparaître sur notre album, on réfléchira peut-être (rires).
VS – Parle-moi un peu du nouvel album « Dead Calm Chaos ». Cet enregistrement symbolise une véritable évolution pour le groupe…
Thomas – Oui, c'est un fait. L'enregistrement a été super. On a fait ça dans le studio de Vesa. Les sessions se sont étalées sur quelques semaines. L'évolution s'est faite assez naturellement en fait. Je m'imagine assez mal enregistrer le même album encore et toujours. C'est pourquoi « Dead Calm Chaos » est plus mélodique par certains côtés et plus radical par d'autres.
VS – Il y avait là un véritable but recherché ?
Thomas – Non absolument pas. C'est venu assez logiquement ; sans concertation. Comme je te l'ai dis, nous concevons EVOCATION comme une passion, un loisir et absolument pas comme un boulot. Nous n'avons rien à prouver, rien à perdre. Notre seule motivation réside dans les retours enthousiastes, les bons articles, les félicitations qu'on peut recevoir. C'est cela qui nous nourrit. Quand on a fait Wacken l'été dernier, on déconnait entre nous en disant qu'il faudrait qu'on essaye la scène principale la prochaine fois. Inutile de te dire que l'adrénaline a coulé à flots pour ce concert. C'est la somme de tout ça qui nous pousse à continuer tout en étant plus motivés que jamais et j'espère que ça continuera encore longtemps.
VS – Existe-il une recette miracle pour composer et écrire du bon death metal ?
Thomas – Hum… pas que je sache. Dans notre cas, ça se passe de façon assez simple et rapide. Tout part d'un riff qu'on étoffe en y ajoutant un refrain qui cogne bien. Comme nous avons un studio à notre disposition, on enregistre toutes les idées et lorsque le boulot sur la musique est suffisamment avancé, je débarque à Boras. Je rafle les bandes et je retourne chez moi pour travailler sur les textes. C'est pratiquement ce qui prend le plus de temps. Alors on peaufine les morceaux en assemblant le puzzle sans trop se prendre la tête sur les passages qui coincent qu'on met donc provisoirement de côté en attendant LA bonne idée. Le truc important pour nous c'est de conserver une certaine simplicité dans notre musique. D'une façon générale, je n'aime pas les trucs trop compliqués. Aujourd'hui ça devient un vrai casse-tête d'appréhender la musique de certains groupes trop techniques, si tu n'es pas musicien toi-même. Ce n'est plus de la musique. C'est du sport et ça en devient chiant à la longue.
VS – On parlait d’une certaine évolution de votre musique juste avant mais le son a, lui aussi, changé pour se diriger vers une production plus claire. Les guitares sous-accordées qui sonnent comme des tronçonneuses, c’est terminé ?
Thomas – Bah, on sait tout simplement mieux travailler en studio. Avoir un son de guitare façon death de Stockholm est plus facile en fait, quand tu as les bonnes pédales pour. Pour « Dead Calm Chaos » on voulait avoir un son le plus clair possible de façon à gagner en fluidité, en simplicité. On ne voulait pas d'un mur de guitares. On ne voulait pas empiler les pistes de chant. C'est ce que font beaucoup de groupes aujourd'hui pour avoir un gros son mais le résultat final, c'est que tu te retrouves avec un disque formaté qui a trop de guitares, trop de chant, trop de tout en fait. Tout le monde fait ça et semble satisfait du résultat, ce n'était pas notre façon de voir les choses.
VS – Avant de terminer cette entretien, j’aimerais qu’on cause un peu du côté live. Ça ne semble pas être votre point fort. A peine une poignée de concerts, pas de véritable tournée doit-on en conclure qu’EVOCATION est plutôt un groupe de studio ?
Thomas – Pour tout te dire, on travaille sérieusement sur la question en ce moment. On vient de signer un deal avec Continental Concerts, l'agence de booking allemande. S'ils nous proposent quelque chose d'intéressant, on ne se fera pas prier. Mais la vérité, c'est qu'on ne peut pas se permettre de faire n'importe quoi comme une tournée qui nous ferait perdre de l'argent. Comme je te le disais, certains d'entre nous ont des familles, des entreprises à faire vivre alors nous avons préféré être prudents jusqu'à présent. On attend donc la bonne proposition en espérant que ça sera pour cette année. Pour l'heure nous sommes déjà bookés pour plusieurs gros festival cet été comme le Kaltenbach Open Air en Autriche, le Rock Hard festival, le Party San Open Air et le Summer Breeze en Allemagne. C'est déjà un bon début.
VS – Bon, je crois que nous avons fait le tour (ndt : l’entretien a duré plus de 90 minutes) de cet entretien. As-tu un message pour tes fans français ?
Thomas – Hum qu'est-ce que je pourrais bien dire ? J'espère vraiment que nous aurons l'occasion de venir jouer en France bientôt. Nous savons que nous avons quelques fans par chez vous et, pour tout te dire, je crois que c'était notre premier phoner avec la France aujourd'hui. « Take care and don't let the fools make you blind ! »