Aérienne, technique, maîtrisé, variée, progressive, sophistiquée et pourtant très accessible, difficile de tarir d'éloges quand il s'agit de parler de la musique des jeunots norvégiens d'ANSUR qui nous ont encore régalés cette année avec "Warring Factions" un magnifique album sorti voilà maintenant quelques mois. Du coup, on s'est dit que ça serait trop bête de ne pas leur poser quelques questions, vu qu'ils sont aussi talentueux que sympathiques.

"Warring Factions" vient de paraître il y a quelques mois à peine et l'album a été acclamé aussi bien par la presse que par les fans; j'imagine que c'est la meilleure récompense possible après tout le travail accompli.
Mais comment envisagez-vous ce disque depuis qu'il n'est plus votre propriété exclusive ?

Espen: On ne pourrait pas être plus comblé. Pour moi, l'album est au poil, c'est pourquoi on va avoir du mal à choisir quels titres nous allons conserver pour la scène. On n'a pas écrit l'album pour le garder au chaud dans un placard, on veut le montrer à tout le monde!

Torstein: Espen a pas tort, on est vraiment aux anges, surtout depuis que l'album commence à prendre une nouvelle envergure sur scène où les chansons prennent des dimensions et des atmosphères nouvelles. Et notre nouvel organiste – Audun "Blues" Forde – déchire tout! Etant donné que l'on a qu'une seule gratte sur scène, Audun remplit les blancs tout en drapant la musique de tout un tas de subtilités nouvelles… On a vraiment hâte de bouffer du live!

Audun: Ça a vraiment été cool de rejoindre ce groupe, l'alchimie marche bien et à chaque fois qu'on se retrouve ensemble, on se marre. Même s'il faut pas sortir de Saint-Cyr pour comprendre ce qui se passe sur l'album, la complexité et la richesse des titres m'épatent à chaque fois!

Je suppose que votre approche de la scène a beaucoup changée avec l'arrivée d'un claviériste, ça doit donner une couleur très 70's? Est-ce que vous n'avez pas le sentiment d'être nés trop tard? C'est toujours ce qu'on se dit finalement:
ANSUR ne joue pas une musique de son temps… Mais ANSUR n'aime pas la facilité, pas vrai?

Espen: Ouais, désormais, nous avons un son plein, entier ce qui n'était pas le cas à l'époque de "Axiom". J'ai toujours pensé que "Axiom" avait plus de jus en live, plus d'énergie… Sur scène, c'était plus intense et couillu. Aujourd'hui, notre son de scène est énorme, certes ça sonne très Prog des 70's mais c'est plus lourd, puissant et pêchu que jamais. "Jouer de la musique qui n'est pas de notre époque", on nous chante ça depuis le départ… Mais bon, je crois qu'on est définitivement tournés vers l'avenir. En plus, notre but premier a toujours été de jouer une musique sans âge, une musique qui résiste aux outrages du temps.

Causons de l'album… J'ai pas les paroles sur mon CD et je me demande quel concept se trame derrière ce "Waring Factions" .
Espen: Après la révélation de "Axiom", l'histoire se poursuit. L'Humanité s'est scindée en deux factions ennemies. La première est constituée des "Partisan Zealots" qui ont rejeté l'Axiome", leur chef dont on ne parle que comme "The General" est le même personnage que celui du titre "Sowers Of Discord" issu de l'album "Axiom". La seconde faction tient l'"Axiome" comme vérité absolue et pense que la vie sur Terre a été semée en des temps immémoriaux par les "Originists" dirigés par Phobos – dont on parlait déjà sur l'album précédent dans le titre "The Desert Messiah". C'est le personnage central de l'histoire et on réalise ses véritables intentions. Dans "At His Wit's End" il anéantit et dépossède de ses pouvoirs le "General". Seul Phobos savait qu'il existait deux "Cloudscapers", l'un d'eux fut lancé pour détruire le "Mothership" et l'autre dévasta la "Sierra Command" où était basée l'armée des "Originists". Beaucoup de "Partisans Zealots" périrent.
Nous avons apporté un détail amusant à cette histoire : "The Tunguska Incident"… Phobos est une créature chimérique qui demeure sur Terre pour 1000 ans. C'est lui qui créa le premier "Cloudscaper" qui fut lancé sur Tunguska et qui souffla tous les arbres environnants (80 millions en gros) [L'incident de Tunguska qui s'est produit en 1908 en U.R.S.S. et a donné naissance à toute une nuée de théories farfelues. ndt] C'est l'un des nombreux évènements réels que nous avons incorporés à notre récit. En fait, Däniken [auteur de SF et de théories à la Fox Mulder. ndt] rend ses salades intéressantes, on veut faire pareil!

Je vois… l'histoire derrière l'album est assez… élaborée. J'ai toujours l'impression que l'histoire sert de prétexte à la musique. Après tout, il y très peu de paroles sur cet album,
je comprend pourquoi vous avez opté pour un concept original mais est-ce qu'il serait possible qu'un jour ANSUR enregistre un album entièrement instrumental?

Torstein: La musique restera clairement l'objectif central de ANSUR et les paroles sont là pour mettre en exergue la "volonté" de la musique. A l'heure actuelle, j'envisage mal la possibilité enregistrer un album purement instrumental. On se creuse beaucoup la tête pour développer chacun des éléments en général et les voix en particulier. Mais pourquoi pas, un jour peut-être… si on a envie de se lancer dans un nouveau défi, ça pourrait être un expérience intéressante à ajouter au compteur de la discographie qui s'allongera autant que le groupe évoluera (croisons les doigts!)

Comment expliquez-vous les différences entre "Axiom" et "Warring Factions". Si ce dernier constitue le second volet de l'histoire dont nous parlions, le résultat est très différent.
Est-ce que vous saviez où vous vous aventuriez au début de la composition de l'album?

Torstein: Les différences musicales sont pléthoriques, je crois que nous avons progressé aussi bien sur le plan "parole" que sur le plan "musique". Lyriquement parlant c'est la suite de "Axiom", musicalement parlant, c'est quelque chose de très différent. On avait le concept musical en tête avant même de se lancer dans l'écriture (à l'heure qu'il est on réfléchit au concept du troisième.) Ça peut sembler bizarre, mais si tu sais vraiment quelle musique tu veux faire, les riffs et tout le reste viennent d'eux-mêmes et tu obtiens un truc qui colle à ce que tu imaginais. C'est important pour nous d'avoir une recette à suivre pour les albums et les titres, mais cela n'empêche pas qu'une part d'improvisation et de spontanéité s'invite dans tout ça.

Ça ne m'étonne pas trop que tu parles d'improvisation, "Warring Factions" est un album impulsif et bourré de spontanéité. Je me demande comment vous définissez le concept musical,
certains groupes comme DREAM THEATER bossent à partir des albums d'autres groupes pour mélanger diverses influences dans leur son. Alors, dis-moi: est-ce que vous vous êtes fait une cure de MAHAVISHNU ORCHESTRA, CYNIC et des PINK FLOYD avant de vous mettre au boulot? Et, est-ce que vous comptez garder cette optique pour le troisième album?

Torstein: Je comprends pourquoi les gens pensent ça, mais le fait est que la plupart des choses ont été mûrement réfléchies. Le concept musical c'est ce qui englobe tout, tu vois ? L'idée directrice, quelle couleur on voulait donner au tout. C'est une vue d'ensemble, c'est assez difficile à définir, on essaie surtout d'avoir un plan général avant d'aller plus en avant et d'écrire les riffs et tout… Nous aurons un tout autre concept pour le troisième…

Espen: Dans l'avenir, il y aura sans doute des chansons avec une identité bien définie toujours liée avec la saga "Axiom" / "Warring Factions" mais faites de façon à mener l'auditeur à un autre niveau du récit mais ça restera un tout et si jamais il y a un troisième album concept, il n'aura rien en commun avec les deux premiers.

Puisqu'on parle de "couleur d'ensemble", dites-nous-en plus sur la pochette choisie pour illustrer "Warring Factions". Même si l'on y distingue quelques détails, elle ressemble beaucoup à une toile moderne et se situe bien loin des poncifs habituels du
métal. En gros, votre album fait un peu tache dans le décor. Vous avez donné des instructions particulières à l'illustrateur?

Torstein: C'est une chose sur laquelle nous avons pas mal discutée au moment où nous avons commandé la pochette à Eliran… nous voulions quelque chose qui se remarque sur une étagère. Nous avons donné deux-trois idées à Eliran et lui avons envoyé les paroles. Plus tard, il est venu avec ses propres idées et il a rapidement fait un premier jet qui n'était pas très différent du résultat final. La première fois, je suis resté sur le cul; plus je la regardais, plus j'y voyais de nouveaux détails. Au bout d'une très longue conversation, on a changé quelques babioles mais tout le mérite revient à Mr. Eliran Kantor, c'est un artiste exceptionnel.

Changeons de sujet, tu m'as dit que vous étiez sur le point de jouer live pour la première fois en un an. J'imagine la pression que cela représente pour des musiciens aussi minutieux que vous.
Comment expliquez-vous cette longue période loin des feux de la rampe? Est-ce que ça signifie que la Norvège n'aime pas la musique technique et progressive? C'était plus facile à l'époque où ANSUR était plus ou moins affilié au Black Metal?

Torstein: On répète comme des porcs en ce moment. Oui, nous n'avons pas eu un seul concert à se mettre sous la dent jusqu'à présent, mais à partir de l'automne, ça va changer. Dégoter un concert par-ci par-là, c'est pas trop sorcier mais les festoches se contentent toujours des mêmes groupes de Black et de Death. Ils sont constipés et frileux comme des pucelles dès qu'il s'agit de faire quelque chose de différent. Le Inferno et le Hole In The Sky sont comme ça, heureusement, il existe des fests plus petits qui souhaitent accueillir plus de groupes novateurs… par exemple le Gunfest à Oslo. On y joue aux côtés de ELECTRIC WIZARD, SHE SAID DESTROY, et plein d'autres groupes bien cool. Là-bas, on sait qu'il y a un public pour notre musique, ailleurs aussi sans doute, mais pour l'instant nous sommes encore très confidentiels. Sinon, je ne pense pas que l'époque de "Axiom" ait été plus facile, cet album était encore plus hermétique.

OK, OK, on te souhaite tout un tas de bonnes choses pour les prochains concerts et j'espère un jour voir ANSUR en chair et en os sur une scène française.
Un truc à ajouter? Un message pour nos lecteurs?

Torstein: Une fois de plus: merci pour cette putain d'interview, nous aussi on espère venir en France un de ces quatre. Vous autres, Français avez bien soutenu notre musique… sans doute plus que n'importe quel autre pays! Continuez ainsi!

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