- - NICOLAS BENARD par VSGREG - 2832 lectures



Peux-tu te présenter et principalement ton parcours de métalleux et ce qui t'a amené à écrire un livre sur ce sujet ?
Je suis entré dans l'adolescence au milieu des années 1980, époque où, tout le monde s'en souvient, un groupe suédois trustait les 1ères places des charts avec ses claviers, ses permanentes et ses mélodies imparables... C'est donc avec Europe que j'ai découvert le Hard, et commencé à différencier une guitare d'une basse -) Mais à part Europe, j'écoutais, comme tout bon ado qui se respecte, ce que proposaient les radios "djeuns". C'est-à-dire 90% de pop-variétoche aseptisée.

En 1990, ma grand-mère (sic) m'a offert un disque qui m'a marqué, et qui me plaît toujours autant : "Flesh and blood" de Poison. J'ai adoré le groove, les mélodies ainsi que les soli d'un groupe dont je ne soupçonnais pas le succès.

L'année suivante, lors d'un séjour en Angleterre, je me suis offert non seulement les 2 galettes précédentes des glameurs précités, mais le nouvel album d'un artiste que je croyais féminin : Alice Cooper (album "Hey Stoopid"). Même coup de foudre que pour Poison.

Pendant ce temps, des potes métalleux essayaient de m'initier à Iron Maiden et AC/DC, en vain.

Il a fallu que j'entre au lycée pour que le Métal devienne une véritable passion. Je traînais avec une bande de hardos dans le 78 (Montigny le Bretonneux, pour être précis) avec lesquels je pratiquais l'échange de K7/CD avec frénésie. J'ai alors plongé dans le speed (Helloween), le thrash (Metallica, Megadeth, Annihilator, Iced Earth), le death (Death, Morbid Angel, Napalm Death), etc. Cette période de franche camaraderie a construit ma "culture" Métal et ancré mes goûts musicaux dans cet univers de manière irréversible.

J'ai continué à découvrir de nouveaux groupes, et de nouveaux styles, au contact d'amis et de relations diverses, au lycée comme à l'Université. Aujourd'hui, mes goûts sont assez divers. J'écoute tous les styles même si je recherche surtout l'originalité. Cela va faire hurler les puristes, mais je n'ai jamais accroché aux classiques. Judas Priest, Motörhead, Deep Purple, Black Sabbath me font chier. Je crois que le plus vieux groupe que j'apprécie, c'est Rainbow. Et encore... Comme beaucoup de métalleux, j'ai connu plusieurs périodes : hard, heavy, death, black, etc. Aujourd'hui, si je devais citer 15 groupes qui me bottent à chaque écoute, ce serait Metallica (quand même, hein), Nevermore, Opeth, Oprhaned Land, Emperor, Stygma IV, Persefone, Malmsteen, Kamelot, Paradise Lost, Iron Maiden, Moonspell, Tiamat, Ark et Amorphis. Et le soir, dans mon lit, Shape Of Despair ou Rondat !!

Mon premier concert a eu lieu à l'Elysée Montmartre, en 1995 : Paradise Lost. C'était pour moi un concert exceptionnel, magique, même si, 13 ans plus tard, je pense que j'étais à l'époque tout sauf objectif ! Qu'importe, j'ai alors, à partir de cette date, assisté à la plupart des concerts de Métal dans la capitale, me déplaçant en outre à un certain nombre de festivals étrangers (Wacken, Graspop, Dynamo) et français.

En 1998, j'ai répondu à une annonce diffusée par un animateur d'une émission de Métal dans les Yvelines ("Emission Impossible", sur Triangle FM). Il cherchait quelqu'un pour lui filer un coup de main pour traduire les interviews des artistes qu'il réalisait. Il m'a finalement permis d'assister à ces entretiens, puis de participer à son émission. Ma toute première interview a eu lieu avec... Paradise Lost, Nick Holmes plus précisément. C'était à l'époque de l'album "One Second". L'ITW s'est bien passée et j'ai décidé de m'impliquer dans ce programme radiophonique local. J'y suis resté jusqu'à ce que la direction nous vire, en 2005 je crois. Ce fut une expérience fantastique : nous avons reçu dans les studios pas mal de groupes (Strato, Edguy, Sonata Arctica, etc.) et interviewé des centaines d'artistes. Mon meilleur souvenirs : Ihsahn, d'Emperor, que j'ai rencontré deux fois, à Strasbourg et à Paris. Un type d'une rare intelligence, posé, modeste. Les pires souvenirs ? La non venue de Shagrath de Dimmu Borgir dans les locaux de la radio, et le savon que je lui ai passé au téléphone alors qu'il n'y était pour rien. L'interview réalisée avec la paire Smith/Gers de Maiden, dans les backstages de Bercy : les 2 étaient bien plus intéressés par le match de foot à la télé ! Mon regret : ne pas avoir rencontré Y. Malmsteen, un guitariste que j'adore, ce malgré tous ses excès.

Pendant ce temps, j'ai poursuivi mon cursus universitaire en sciences humaines (histoire, géo, socio, anthropo, démographie, etc.) jusqu'au DEA. J'ai réussi à effectuer plusieurs stages dans des radios locales et nationales, après avoir décidé de m'orienter vers les métiers du journalisme. Grâce à une amie (vive le piston !), j'ai finalement échoué à la rédaction d'I-télé, la chaîne d'infos de Canal +. J'ai commencé très exactement le 11 septembre 2001. Autant dire que j'étais directement dans le bain. J'ai passé 2 ans à Canal où, grâce à certains collègues "ouverts", je me suis initié au reportage et ai réalisé plusieurs sujets sur le Métal : Alice Cooper au Zénith, les trophées Hard Rock, le dernier album de Metallica. Une anecdote à ce sujet : je reçois l'album chez moi par coursier spécial et obtient une interview dans un grand hôtel parisien. Problème : après 4 ou 5 écoutes, je trouve que ce disque est une grosse merde ! Je le passe sur une table de mixage à Canal : les mecs de la production hallucinent de voir à quel point il est très mal produit. Que faire ? Je fais l'ITW, inodore et sans saveur, avec un Ulrich qui s'en bat les c**** et un Trujillo sourire aux lèvres, mais muet. Je rentre à la chaîne, écrit mon sujet lorsque le boss vient me voir et me demande ce que je pense du disque, un peu stressé car le label, c'est Universal, dont les liens avec Canal ne sont plus à démontrer... Au final, j'enregistre un sujet parfaitement lisse, où j'essaye cependant de montrer qu'il y a un petit problème de prod. Mais au fond de moi, tout ce cirque m'énerve, comme l'incompétence et le manque de culture de mes collègues. Heureusement, je retrouve à I-télé, un jour par hasard, mon directeur de DEA qui me demande ce que je fous là. Devinant quelque peu mon manque d'enthousiasme, il me propose de me lancer dans une thèse en Histoire culturelle sur le Hard Rock. J'accepte immédiatement. Et me voilà parti dans une nouvelle aventure, à 26 ans. Mon objectif est avant tout de travailler de manière sérieuse, avec rigueur, sur un sujet qui me tient à cœur et fait partie de ma vie depuis 15 ans. Je me suis lancé un peu à l'aveuglette dans cette thèse. Au fur et à mesure de l'avancée de mes recherches, j'ai commencé à sentir le niveau élevé d'un tel travail, et les références qu'il allait me falloir maîtriser, notamment au niveau de l'analyse de l'imaginaire, de l'histoire de l'art, de l'histoire de la presse, de l'histoire des idées politiques ou encore des mentalités. Un travail passionnant, transversal et absolument pas, du moins je l'espère, élitiste et prise de tête.

Je l'ai achevé 5 ans plus tard, et "La culture Hard Rock" est une version "light" de mes travaux.


Rentrons dans le vif du sujet, pourquoi te lancer dans ce pari d'une thèse sur le métal ? Est-ce une démarche purement universitaire à ton niveau ou es-tu animé d'un besoin ou d'une envie speciale comme celle de présenter l'univers dans lequel tu vis ?
Au départ, je n'avais pas l'intention de faire de cette thèse un 'sésame' pour m'inscrire dans une carrière universitaire. Je voyais plus cette activité comme un moyen de me faire plaisir. L'objectif était d'étudier différents aspects du Métal sous l'angle de l'analyse historique, ce afin de saisir les évolutions marquantes tout en les inscrivant dans un contexte économique, social et culturel. Et puis, avec le temps, je me suis dit que ce travail, s'il était correctement réalisé, me permettrait peut-être de m'engager dans une carrière, celle d'enseignant et/ou de chercheur.
En tout cas, je n'aurais jamais fait de thèse sur mon sujet d'étude de maîtrise/DEA : la presse de langue anglaise en France, de 1815 à 1914 !

Evidemment, on ne travaille pas sur le Métal si on n'est pas 'intime' avec le sujet. Ce n'est pas la même chose que de travailler sur le servage au Moyen Age, les échanges commerciaux sous l'antiquité ou les textes juridiques à Sumer ! C'est un travail bien plus passionnel, avec les avantages et les inconvénients qui en découlent. L'avantage principal, c'est que je connais bien cet univers, et que j'ai pu déterminer mes sources (pochettes de disques, textes, photos, magazines, programmes de télé, interviews que j'ai moi-même réalisées, etc.) assez rapidement, en allant à l'essentiel. L'inconvénient, c'est que je suis forcément parti avec quelques idées arrêtées. Par exemple, je pensais que les artistes Métal étaient souvent, du moins en France, victimes d'une forme de censure. C'est faux. Les disques se vendent sans problème, même ceux dont les pochettes et les textes sont parfois douteux.

En outre, j'ai été assez surpris de voir que d'autres formes d'art (peintures, littératures) avaient déjà utilisé les mêmes thématiques que les artistes Métal (la mort, la guerre, le sang, etc.) Cela m'a permis d'inscrire cet imaginaire dans un contexte très précis, et de le mettre en parallèle avec certaines créations passées (l'Art fantastique, la peinture nationale, la peinture de guerre, etc.)
Ce qui me tenait le plus à cœur, c'était d'étudier la place du Métal dans les médias généralistes, et de l'image que ceux-ci véhiculent. J'ai travaillé sur Le Monde, Libération, l'Humanité : tous ces quotidiens sont extrêmement conservateurs. Ils présentent le Métal de façon caricaturale, sans s'intéresser au fond des choses, c'est-à-dire aux textes, à l'image, donc à l'ensemble de l'imaginaire, ou plutôt des imaginaires. Seuls les 'vieux' (AC/DC, Led Zep, Motörhead) inspirent le respect.
Pour le reste, ces journaux voient le Métal comme un style soit démodé, 'has been', soit comme une musique violente, dangereuse.
J'ai essayé de contacter d'autres supports (Télérama, Les Inrocks) mais ils n'ont pas daigné m'expliquer pourquoi ils snobaient le Métal. En fait, tous ces médias très marqués à gauche voient le Métal comme une sorte de courant de la droite extrême, nationaliste voire nihiliste, qui risquerait de choquer leur lectorat bo-bo.
Quant aux responsables des Victoires de la musique, eux non plus n'ont pas voulu justifier l'absence d'une récompense pour les artistes Métal. C'est une déception pour moi, même si j'en ai quand même tiré quelques conclusions... Au final, ce travail d'histoire aborde les aspects qui me semblent fondamentaux : la constitution et l'évolution de l'image et de l'imaginaire, les différents styles, les sources d'inspiration et les revendications, la place de la femme, la presse spécialisée, le Métal dans les médias généralistes, les lieux de rencontre (bars, concerts, festivals), les aspects économiques sans négliger les codes et rites afférents, même si mon sujet n'est pas un sujet de sociologie.
Je pense que les non initiés découvriront un univers hétérogène, riche en couleurs, original et non conformiste. Ils comprendront que le Métal s'inscrit en dehors des modes dans un contexte très particulier, en France comme à l'étranger. Les artistes ont une certaine vision de leur art, et une exigence qui à tendance à s'estomper en ces temps de 'surmédiatisation'. Quant aux puristes, même s'ils trouveront sans doute certains développements un peu légers (la définition des styles, que j'ai dû simplifier au maximum), ils verront d'autres aspects sous un jour nouveau (la place de la femme, l'imaginaire, les sources d'inspiration, le Métal et les médias, etc.) et, je l'espère, auront plaisir à me lire.


Une question que je me pose depuis longtemps. Quel est le but de cette thèse d'un point de vue universitaire. Qui est intéressé par ce travail de "chercheur" et ses résultats ? Quelle est la finalité ? En quoi cela fait avancer le schmilblick ?
C'est une thèse qui s'inscrit dans le domaine de l'histoire culturelle. Je n'ai donc pas étudié la musique en tant que telle (ça, c'est le travail du musicologue), mais les pratiques culturelles qui y sont associées. C'est un sujet qui intéresse tous les historiens, d'une manière générale. Ainsi, à ma soutenance de thèse, il y avait des spécialistes de la musique (Ludovic Tournès a travaillé sur le jazz), de la presse (Christian Delporte), du corps et de ses représentations (Sylvie Dallet), de la culture et des politiques culturelles (Pascal Ory, dont le dernier ouvrage s'intéresse à l'œuvre de Goscinny).

En analysant la musique Métal sous un angle historique, on perçoit l'évolution des sociétés contemporaines sous un prisme original. Les artistes ont toujours un message à exprimer, un imaginaire à diffuser. Cet ensemble s'inspire d'une réalité sociale, culturelle voire politique. Il évolue donc de façon permanente. L'analyse des sources d'inspirations qui aboutissent à la création de cet imaginaire est donc fondamentale.

Au final, étudier l'histoire sous l'angle des représentations dans l'art apporte une vision originale et intéressante de l'évolution de nos sociétés.


Parlons maintenant de ton livre "la culture Hard Rock". Contrairement à d'autre travaux universitaires récents, tu as décidé de ne pas publier ta thèse sous forme de livre. Peux-tu expliquer les raisons ?
Quelles sont les différences entre ton livre et ta thèse ?
Une thèse est un travail scientifique, avec un certain nombre d'exemples développés, un argumentaire et une démonstration qui peuvent parfois rebuter le "grand public". Cet exercice peut donc être un peu ennuyeux pour ceux qui sont en dehors du milieu universitaire. C'est pour cela que j'ai pensé, et mon éditeur aussi, qu'il valait mieux réorganiser la structure de mon travail pour proposer une version moins rébarbative.

Au final, je pense que ce livre est un bon compromis : il s'adresse, du moins je l'espère, autant aux fans de Métal qu'à ceux qui s'intéressent à la musique, à la culture, à l'histoire de l'art et aux pratiques dites "jeunes".

C'est aussi pour cette raison que j'ai souhaité travaillé avec un éditeur qui ne soit pas spécialisé dans le musique. A ce niveau, les éditions Dilecta sont pour moi un support idéal avec des publications sur des sujets très divers, des maquettes recherchées, et surtout la possibilité d'intégrer des documents iconographiques de qualité (je déteste le noir et blanc, qui dénie les couleurs propres au Métal), le tout à un prix modeste.

Au niveau des documents visuels, nous avons énormément travaillé pour que l'on puisse accompagner l'ouvrage de plusieurs livrets, avec des photos inédites (merci à Frédérique Doré qui m'a offert des photos professionnelles de qualité), des pochettes de disques autres que celles que l'on retrouve dans tous les bouquins sur le Métal, ainsi que divers documents qui accompagnent et explicitent le propos.

Quant à la couverture, nous l'avons conçu à l'aide de flyers et de vieux billets de concerts qu'une amie m'a prêtés. Je trouve que le résultat est à la fois original, riche en images et surtout représentatif de l'histoire du Métal en France.


De facon globale penses tu que l'amateur de metal pourra apprendre des choses en lisant ton livre, si Oui as tu un exemple à nous donner ?
J'espère ! Ou alors, il existe un docteur en histoire qui a déjà travaillé sur le sujet, sans que j'en ai connaissance !

Plus sérieusement, je pense que l'étude des imaginaires, des références culturelles et des sources d'inspiration, aussi diverses soient-ils, est susceptible d'intéresser le fan de Métal.

3 exemples :
- Les artistes Métal scandinaves qui reprennent des éléments de leur culture (symboles païens, images de forêts et de fjords, influences littéraires comme le Kalevala ou les sagas islandaises) ne font pas preuve d'une grande originalité. En effet, au 19ème siècle, on trouve déjà dans les représentations picturales de peintres nordiques (Dahl, Askevold) le même type d'éléments. J'ai donc cherché à comparer les 2 époques (milieu du 19ème et fin du 20ème) pour comprendre à quel moment, pour quelle raison et dans quel but les artistes puisent dans l'imaginaire national.

- Même chose pour les éléments picturaux de type militaire, guerrier ou associés à la mort. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, plusieurs artistes s'illustrent dans la peinture de guerre. De son côté, l'art fantastique (Hans Baldung, par exemple) représente déjà l'image de la mort, ce dès le 16ème siècle.

- Enfin, le néo-paganisme, en vogue dans certains courants (black, heavy, etc.) s'est manifesté dans l'Allemagne des années 1920, par le biais de la Konservative Revolution qui prônait un retour à la nature, un rejet du modernisme, une revalorisation du concept de "vie" face à celui de la "raison".

En s'intéressant à l'histoire, on saisit mieux les références culturelles, et le Métal apparaît, je crois, sous un jour nouveau.


Le métal puiserait ainsi sa culture d'autres courants artisitiques historiques ?
Les références culturelles, symboles, représentations et autres mythes s'inspirent en effet de nombreuses créations passées, parfois très anciennes (Antiquité, Moyen Age, Renaissance, 19ème, etc.)

Le cinéma horrifique et le cinéma gore, la bande-dessinée (les comics américains) et la littérature sont d'autres phénomènes culturels qui trouvent un écho auprès des artistes Métal. Ce qui n'est finalement pas très surprenant étant donné que les artistes ont souvent les mêmes goûts que leur public.

Le Métal se présente donc comme une forme de culture transversale qui n'en reste pas moins originale. Car si les artistes puisent dans des constructions mythologiques existantes, ils les manipulent pour produire des schémas très personnels, photographies d'une époque observée, disséquée et, parfois, rejetée. Le black metal est un bon exemple de ré-appropriation de mythes et de références issus de l'obscurantisme moyenâgeux.


On parle souvent et principalement du black métal dans les livres cherchant à analyser et comprendre la culture métal. T'es-tu également penché sur les autres styles comme le thrash, le mouvement fusion/rap metal ou encore le hardcore ?
Mon travail ne s'intéresse pas uniquement au black metal, mais à la plupart des sous-genres. Je me suis penché aussi bien sur le death que sur le thrash, le glam, le heavy, le doom, le prog. et autre néoclassique. Chaque style a ses spécificités qui méritaient d'être explicitées.

L'objectif était de couvrir l'ensemble des imaginaires - très distincts selon les genres - qui font la culture Métal. Le black metal tient bien sûr une grande place dans mon étude étant donné la richesse de cet univers, non seulement au niveau de l'image, mais pour ce qui concerne les références littéraires, cinématographiques ou spirituelles.

J'ai délaissé certains styles comme la musique gothique ou le hardcore car, selon moi, et d'après mes recherches, ils "existent" en dehors du Métal. C'est un choix évidemment discutable, mais je l'assume totalement.


D'un point de vue personnel, dans ton travail fastidieux, quelles sont les rencontres ou instants qui valaient vraiment le coup d'être vécu et justifiaient tout tes efforts ? As tu une anecdote à ce sujet ?
Ce que j'ai le plus apprécié dans mes recherches, c'est l'analyse des sources iconographiques : photographies, pochettes de disques, images de concerts, figées ou vivantes. C'est un travail certes fastidieux, mais il rend nécessaire le va et vient vers d'autres références propres à l'histoire de l'Art. Je me suis ainsi plongé dans des phénomènes culturels anciens pour tenter de les rapprocher avec les images que l'on retrouve dans le Métal.

Humainement, les entretiens que j'ai menés auprès des membres de la communauté (musiciens, graphistes, journalistes, responsables de labels et fans) ont été enrichissants, car ils ont donné un caractère véritablement humain à ce travail d'histoire.

J'ai notamment passé quelques heures avec l'un des fondateurs du mensuel Enfer. En discutant avec lui, et en parcourant les premiers mensuels dédiés au Hard Rock, j'ai pris conscience de l'évolution très rapide, et de la radicalisation du phénomène.

Je me suis aussi beaucoup amusé à découvrir les noms des anciennes émissions de radios sur le style. Du genre "Brasier Hard", "Le Jour du Saigneur", "Requins Très Voraces", "Le Petit Lapin dans la Luzerne" et surtout "Quand Les Poules Feront du Thrash" !


En tant que fan de metal, j'ai souvent l'impression qu'on idéalise trop et intellectualise trop le mouvement black métal dans des thèses ou livres... Quel est ton sentiment à ce sujet ?
Tu fais sans doute référence à l'ouvrage de Frédéric Martin -) Peut-être penses-tu aussi à celui de Nicolas Walzer, qui a suscité un certain nombre de réactions passionnées sur VS.

Pour ce qui me concerne, l'objectif n'était ni d'idéaliser le BM, ni de l'intellectualiser. Ça, c'est le 'travail' d'essayistes.

J'ai opéré d'une manière strictement scientifique, en essayant de regrouper, de classer les principales composantes du genre, que ce soit au niveau de l'imaginaire (textes, images), des codes et des rites afférents.

Surtout, j'ai cherché à contextualiser l'émergence du phénomène, en l'ancrant dans une réalité sociale, économique, politique et culturelle, en France comme à l'étranger.

Je me suis alors attaché à décrire, analyser et interpréter la symbolique et le corpus mythologique qui entoure le style. Par exemple, j'ai cherché la signification des symboles itératifs (pentacle, image de Satan, corpsepaint) et la trace de leur utilisation passée.

Au final, je crois que les black métalleux sont le reflet d'une société qui a perdu ses repères, idéologiques et culturels. Face à une société où la spiritualité est en berne, les artistes ont puisé dans tout un arsenal de symboles ésotériques et obscurantistes issus de l'Antiquité et/ou du Moyen Age pour construire leur propre mythe : celui des "sorciers" du 20ème siècle.

Leur message est sans appel : notre société apporte peu d'espoir, l'individu est écrasé par une aliénation croissante et, surtout, les réponses toutes faites de la religion sur la mort ne sont plus satisfaisantes. Saupoudré d'une image influencée par la peinture gothique, l'Art fantastique, le cinéma gore ou encore le cinéma expressionniste, le BM offre des représentations qui ne sont pas sans rappeler certaines manifestations culturelles passées.

En ce sens, sans y apporter aucun avis personnel, c'est une culture qui renseigne l'historien sur l'évolution des sociétés occidentales et la vision qu'ont les pratiquants, artistes comme fans, de celle-ci.


Je crois que tu parles également de VS-webzine dans ta thèse... as tu étudié notre communauté ?
Je me suis intéressé à la place du Métal dans les médias, spécialisés ou pas. Les années 1990 correspondent à un tournant pour le Métal car Internet permet une exposition et une diffusion illimitées, et donne lieu à la création d'un nouveau type de communauté, donc d'échanges. J'ai choisi VS car c'est sans doute le vecteur numérique le plus important pour les amateurs de musiques extrêmes. Je n'ai pas spécialement étudié la "communauté VS" (je ne suis pas sociologue !), je me suis plus intéressé à l'évolution du site et au rôle qu'il jouait désormais au sein de la scène.


Je viens de finir ton livre qui est assez concis au contraire des thèses devenues livres sorties il y a quelques temps, je ne peux m'empecher de te faire part de ma frustration
en tant que fan de metal car si tu approches des sujets interesseants, j'ai le sentiment que les sujets ne sont pas traiter en profondeur.... et ainsi que le livre est plus destiné aux jeunes amateurs de metal et à ceux qui decouvrent notre musique... qu'en penses-tu ?

Je comprends ta "frustration", mais pour des raisons de place, j'ai dû limiter mon propos. Deux possibilités s'offraient à moi : soit je ne publiais qu'une partie de ma thèse, soit j'essayais d'aborder tous les sujets, au risque de supprimer une bonne partie de l'argumentation. J'ai opté pour cette solution, et je l'assume.

Pour ce qui concerne la "cible" de cet ouvrage, je pense que certaines analyses originales, par exemple celles concernant les sources d'inspiration et l'imaginaire, intéresseront les puristes. Maintenant, il est certain que la très courte chronologie que je propose risque de frustrer les "anciens" -)

Mais encore une fois, l'objectif était d'étudier l'évolution du phénomène au travers de la production, de la diffusion et de la réception. C'est un angle d'étude propre à l'histoire culturelle qui, selon moi, permet une analyse non pas de la musique en elle-même, mais de son développement et de son enracinement dans les sociétés contemporaines.


Ces derniers mois/années le nombre de livres dediés à la musique metal est en augmentation croissante... as-tu une explication à ce phenomène ?
Je pense que depuis quelques années, des amateurs de Métal cherchent à allier l'utile à l'agréable, en étudiant, en sociologie, en histoire ou en musicologie, un phénomène qu'ils connaissent bien. Les laboratoires de recherches s'intéressent de plus en plus aux phénomènes contemporains, et la musique, en tant que miroir d'une société, est un objet d'études passionnant.

On est donc passé d'une production journalistique (assez médiocre, selon moi) à une production scientifique. C'est pour moi une très bonne nouvelle. En tant que historien, je m'intéresse à tout ce qui se fait sur la musique. L'histoire du jazz en France de Ludovic Tournès est passionnante. D'autres travaux sur le reggae ou la musique post-punk sont en cours de réalisation. Tous apporte(ro)nt un éclairage original sur notre environnement direct et sur la perception qu'en ont les artistes.

Je crois aussi que les amateurs de musique en général en ont assez des ouvrages traditionnels un peu "branchouilles" (du genre de ceux d'un P. Manoeuvre) et qu'ils recherchent des réflexions plus pointues. C'est encore plus vrai pour les fans de Métal.


Le metal est plutot bien accepté en Allemagne, Scandinavie ou aux USA. Existe t-il une exception française .. si Oui pourquoi
Je pense qu'il faut prendre en compte les spécificités culturelles de tous ces pays. D'une manière générale, l'américanisation qui a eu lieu en Europe à partir des années 1960 et 1970 a été vécue de manière bien plus sereine en Allemagne et dans les pays du Nord. Le rejet de la culture anglo-saxonne a été bien moins violent dans ces pays.

Par ailleurs, en Scandinavie, les groupes de Métal ont introduit dans leur musique des éléments puisés dans leur propre culture, ce qui a engendré un sentiment d'identification très fort auprès du public. L'exemple d'Amorphis est particulièrement parlant. S'inspirer du Kalevala, récit mythique traditionnel, permet au groupe de s'attirer les faveurs d'une nation très jeune, qui cherche à consolider son identité. Même chose avec toute la scène pagan metal ou viking metal.

En outre, de nombreuses formations finlandaises développent leur concept autour de la mélancolie qui, depuis Sibelius, fait partie de l'imaginaire finnois.

Les formations françaises, d'une manière générale, n'ont pas créé un imaginaire ancré dans la culture locale.

Et puis l'expression musicale populaire française est plus tournée vers les textes que vers la musique.

Enfin, les journalistes français, du moins ceux de la presse généraliste, n'ont sans doute pas les compétences requises pour décrire une musique élaborée, parfois complexe, qui fait appel à un grand nombre de références (musicales, littéraires, mythologiques) que ces journalistes ne maîtrisent pas. Ce qui est assez paradoxal car la France est un pays où le Métal marche très bien ! Il suffit de voir le nombre de concerts qui se tiennent chaque année pour s'en faire une idée.


Penses-tu que la place et la perception de la musique metal en France puisse evoluer dans le futur ?
Le Métal n'a, selon moi, pas vocation à être plus médiatique, dans la mesure où c'est une musique qui demande un investissement personnel plus important que pour les musiques dites "de masse".

Les différents acteurs de la scène Métal ont créé, depuis plus de 20 ans, un système qui fonctionne plutôt bien, puisque les concerts se déroulent sans problème, les disques se vendent bien (et même mieux que dans les autres rayons), les maisons de disques et les magazines diffusent de manière efficace...

Quant à la perception du Métal en France, j'espère qu'elle va changer. Le problème, c'est que les médias généralistes ont une vision du monde et de la musique étriquée, à l'opposée de celle des métalleux. Télérama, par exemple, s'adresse à un public issu de la gauche chrétienne, et le message plutôt pessimiste d'une frange de la scène Métal fait grincer des dents, surtout la remise en question des fondements chrétiens de nos sociétés. Quant à Libération, Le Monde et l'Humanité, leur lectorat n'est sans doute pas prêt à recevoir la brutalité, aussi bien sonore que visuelle, qui se dégage des musiques extrêmes. Maintenant, tous ces supports ont des difficultés, et l'avenir est évidemment sur Internet. Le Métal a parfaitement profité de cette révolution technologique, et les choses ne peuvent qu'évoluer positivement.

Malgré tout, il sera toujours difficile pour un ado fan de Métal de porter des cheveux longs au collège. L'éducation nationale est encore un peu réticente, même si aucune directive n'interdit (encore) les coupes de cheveux Métal -)


Aujourd'hui ta thèse est terminéé, ton livre disponible, quelles sont tes nouveaux projets ?
J'aimerais créer une revue scientifique sur la musique Métal. Associer des chercheurs, ou des connaisseurs, dans plusieurs domaines tels que l'histoire, la sociologie, l'économie, l'anthropologie, la musicologie, la psychologie, la littérature, les langues étrangères, etc.

Je crois que le public Métal est de plus en plus exigeant, et c'est une bonne chose : j'aimerais lui proposer des articles ou des entretiens qui apportent un éclairage différent sur le Métal. J'ai déjà quelques idées en tête comme la confrontation de cette musique avec des musiciens classiques, des études de pochettes de disques par des historiens de l'art, etc.

L'appel est lancé !!

Sinon, j'ai un tout autre projet sur l'histoire de l'Ile de la Réunion. Rien à voir donc avec le Métal -)


Je crois que tu travailles aujourd'hui dans les services du premier ministre ?? Alors Y a des amateurs de metal dans le gouvernement ??
Bonne question ! Je n'ai pas encore eu l'occasion de rencontrer le Premier ministre, mais mes collègues, eux, ne sont pas vraiment amateurs de ce genre de musique ! La plupart, cependant, m'a soutenu dans mon projet et a passé commande de mon livre. Je ressens une certaine curiosité, et l'envie d'en savoir plus sur l'univers Métal. Je ne suis donc pas un mouton noir !!!


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