Même si “Tales...” est officiellement votre premier album, il semble que ayez une histoire assez longue et chaotique. Est-ce que vous pourriez nous en parler un peu et vous présenter? Matteo Carnio: Lorsque le groupe a débuté, en 1994, on ne se doutait pas que l'on resterait presque 10 ans enfermés dans une sorte de cage dorée pour vampires non publiés.
Bien sûr, c'est devenu une chance puisqu'on a eu, du coup, l'opportunité de grandir et de trouver notre vraie direction en tant que musiciens, plutôt que d'être amené à avoir honte d'une musique immature. Ca fait un moment que l'on est en maturation. C'est ce passage nécessaire par la frustration qui a permis à notre recherche musicale d'aboutir, et qui nous a accessoirement amenés à notre premier album, après 13 ans.
Lorsque l'on voit tous les groupes de merde qui arrivent facilement à trouver un contrat avec un label, on a du mal à comprendre comment un groupe tel que le votre a pu rencontrer tant de difficultés à ce niveau par le passé. Est-ce que c'était lié à des problèmes personnels, à des changements de line-up ou est-ce réellement à ce point difficile en Italie pour les groupes de Heavy Metal?
Matteo: Affronter les difficultés était notre pain quotidien. Incompatibles avec les comportements indolents de ces soi-disant labels et techniciens du son, on a dû faire face, avec une sorte de dédaigneuse résignation. On a enregistré deux albums ''en vain''. On était des musiciens très jeunes mais doués, confrontés à des personnes qui n'étaient pas compétentes en matière d'art (et de publication). Mais on a eu la force de continuer à murir, à écrire et à avancer, concentrés sur notre vision. On ne pouvait pas abandoner. La musique (et notre approche musicale) est quelque chose qui touche nos vies en temps qu'être humain, on ne faisait pas simplement des albums. Encore une fois, l'éthique et l'esthétique coïncident.
Christian: Je pense que la réponse réside dans ta question: il est vrai que l'on a eu beaucoup de problèmes, mais si de la mauvaise musique est publiée cela signifie qu'elle ne s'intéresse pas à la qualité (qui est quelque chose que l'industrie de la musique considère comme potentiellement dangereux... puisque la qualité apporte rarement du réconfort, ce dont les masses ont besoin).
Vous êtes sur Dragonheart qui est un bon label mais un label qui est habituellement plus connu pas les amateurs de Heavy Metal traditionnel. Est-ce que vous y avez pensé avant de signer ou est-ce que vous étiez juste content de trouver un bon label qui était réellement prêt à travailler avec vous?
Christian: D'autres labels étaient intéressés par notre groupe, mais comme Dragonheart nous a montré son intérêt, on n'a pas hésité pour choisir qui devrait s'occuper de notre album. C'était un choix très naturel puisqu'au travers de Gjallarhorn et de Doomsword les ¾ de Fury'n'Grace avaient déjà collaboré avec ce label. On était honorés.
Matteo: Je pense qu'ils essayent d'ouvrir un peu leur offre musicale. On était très heureux et un peu désorientés parce que l'on a pas eu l'habitude de voir des labels prendre des risques bravement.
La production de votre album est vraiment bien équilibrée, on peut entendre très bien tous les instruments. En êtes-vous complètement satisfaits? Christian: Oui, on l'est. On voulait que ça sonne de cette manière, un son organique et humain. On peut vraiment tout entendre : respirations et chuchotements, bruits de pas, toux, rires étouffés, et toutes sortes de ''matières'' acoustiques et biologiques plus ou moins voulues. Des choses qui ne peuvent plus être reproduites. Férocement contre toute chaîne de fabrication.
Matteo: Et bien, j'aime aussi nos défauts, qui sont toujours un aspect plus intéressant du musicien. Il y a plus de vie. Les plus grandes qualités des musiciens sont souvent faites de la somme de tous leurs défauts. On peut atteindre l'inorganique seulement d'un point de vue organique... Je l'aime vivant et dur, émotionel et humain.
Gabriele Grilli: Complètement satisfait même si on vise la Perfection inaccessible. On a atteint ce son grâce à la patience et la persévérance; cela a été un travail très dur, mais quelque chose de vraiment excitant à faire. Lorsque l'Artiste est occupé à sa Création, la quiétude est requise. Et le silence. Ainsi que l'absence totale des vers anonymes et perturbateurs.
Est-ce que vous prévoyez de tourner afin de promouvoir l'album ou est-ce que vous vous voyez plus comme un groupe studio? Christian: Bien sûr que l'on va tourner : on prévoit des événements ici en Italie et à l'étranger. On espère venir en France aussi vite que possible. On a eu l'heureuse surprise de voir que nous avions vraiment beaucoup de supporters et que notre album faisait aussi l'objet d'un vrai culte dans votre pays.
Matteo: Je ressens notre album comme une ''performance scénique compressée''. C'est comme construire une sorte d'horrible créature vivante (l'album), et la relacher ensuite avec toute cette fureur comprimée sur scène pour voir ce qu'il adviendra. On est un groupe de scène parce que l'on considère notre vie comme une affaire musicale.
Vous aimez manifestement les auteurs tel que E.A. Poe et je suppose que vous aimez plus généralement les artistes avec une sensibilité très noire et presque mystique (comme Lovecraft ou Lucio Fulci). Est-ce que c'est pour vous un background indispensable à votre musique?
Matteo: Je cotoye les morts. C'est très important d'avoir affaire aux morts dans cette époque si misérable et stupide qui est la nôtre; mon dialogue particulier avec Poe, par exemple, me dit quelque chose qu'il est impossible de communiquer au travers des paresseuses conversations de tous les jours. Comme c'est notre permier album, c'était très naturel de rendre hommage à ces relations fatales et privées. Tout est histoire de rencontres.
En ce qui concerne la noirceur, on ne peut s'empêcher (et essayer de montrer) d'être ce que l'on est – dans tout ce que l'on fait: des êtres très complexes et obscurs, des squelettes tragico-comiques jouant avec les illusions, l'identité et les sentiments.
Nous sommes des gouffres amers. (NDBH: en français dans le texte).
Christian: Ce n'est pas un concept album. Notre intérêt pour ces thèmes, artistes et sensibilités n'est pas une justification pédante: on baignerait dedans même si l'on était pas musiciens. La monstruosité implique un mariage avec le monstre.
Gabriele: Je pense que le nom d'un écrivain ou d'un réalisateur n'est pas important... la clé du message réside dans la substance, la non-signification, l'oubli des pensées et l'absence de conscience rationnelle. L'apparence est pour le peuple. La réalité brute, cachée par les images, affleure seulement les âmes sensibles. Comme les nôtres...
La littérature sombre (ou la philosophie), les films d'horreur et le Metal semblent constituer une sorte de Sainte Trinité pour beaucoup de Métalleux. Est-ce que vous pouvez comprendre que des gens puissent également faire du Heavy Metal avec un background complètement différent, jouant du Heavy Metal au nom et pour l'amour de Jésus Christ par exemple, ou est-ce que c'est un non-sens pour vous?
Matteo: Je ne serais pas surpris, mais je trouve cette superficialité dans la culture Heavy Metal un peu répugnante dans un sens ou dans l'autre. La foi est quelque chose de très différent de ma façon de vivre et de penser. Faire de la musique au nom de quelque chose (cela va du social au religieux) me semble aussi embarassant qu'un hymne national...
Je pense que l'on est visité par des choses. Par la musique, la littérature. C'est comme un naufrage : un déferlement, une expérience cruciale que tu ne peux pas vraiment contrôler. Il faut t'y perdre. C'est un cadeau.
Donc je trouve ça triste lorsque quelqu'un ressent le besoin de brandir ses ''standards'' en matière d'art. Cela se transforme en spectable misérable. Brandir des drapeaux en l'air est l'affaire des esclaves et des supporters.
Christian: J'aime Jésus Christ, mais c'est juste une de mes diverses perversions. Quoi qu'il en soit, la musique tolère juste les propos politiques, religieux et sociaux, mais n'a absolument pas besoin de tels problèmes antiesthétiques. L'humanité n'a pas besoin de science, ni de pain: seule la beauté est essentielle, puisque sans elle il n'y aurait rien à faire dans ce monde.
Gabriele: Il n'existe pas de sainte trinité pour FnG. Peut-être que cela peut être une base commune mais ce n'est pas une condition nécessaire. Nos pénibles existences (pas seulement sur un plan dramatique) coincident avec notre musique. J'ai l'impression que nous ne sommes pas les réels auteurs (et on n'a pas de styles de référence): nous sommes seulement guidés par des forces obscures, quelqu'un ou quelque chose d'invisible mais de perceptible au fond de notre conscience. Il n'est pas nécessaire d'enfreindre la loi pour faire du Heavy Metal, mais il est essentiel de sentir cette révolte intérieure, ce rejet des choses insignifiantes et de la vie quelconque. Nous n'appartenons donc pas à quelque ''fraction'' musicale que ce soit. Jésus Christ était un parfait révolutionnaire. Cela pourrait être une inspiration pour un nouveau genre musical... plus ou moins Heavy mais ce n'est pas la question; pour produire quelque chose de valable il faut certainement avoir souffert et éprouver du dégoût.
C'est essentiel le Chaos pour créer une étoile dansante...
D'un point de vue musical, on peut supposer que vous aimez d'autres groupes contemporains comme NEVERMORE ou OPETH, est-ce que c'est la même chose avec la philosophie, la littérature, les films ou est-ce que vous êtes dans ces domaines plus ''old school''?
Matteo: Je dirai avec Céline, que j'adore: "Tous les genres, à condition que la matière soit organique et organisée, que le sang circule, partout, autour et dedans à partir du coeur, respire avec les poumons, tienne debout, en somme, que le truc tourne avec un point de catalyse bien vivant, le plus vivant possible, insupportable! au centre bien caché, bien scellé, au tréfonds de la viande...". (NDBH: en français dans le texte) La philosophie est de la musique, la littérature est de la musique, l'architecture est de la musique, toute forme d'art qui m'intéresse est de la musique, possède une clé musicale.
Christian: Oui, je suis plus ''old school''. C'est le charme de la poussière. Les morts me parlent certainement plus souvent que les vivants.
Un groupe français appelé MISANTHROPHE vient juste de sortir un album sur Baudelaire, est-ce que vous les connaissez? Est-ce que c'est quelque chose que vous auriez pu faire ? Christian: J'ai entendu quelque chose. J'admire Baudelaire, bien sûr. Je pense que l'on devrait suivre les suggestions, les réflexions qu'un grand auteur peut faire ressortir chez un autre artiste.
Matteo: Je ne connais pas le groupe, mais cela semble intéressant. En ce qui me concerne, ce n'est pas une question de faire un album sur -ou inspiré par- un grand auteur. Lautréamont, Barbey D'Aurevilly, Villiers de l'Isle-Adam, Sade! Comme je l'ai dit précédemment, il était important de commencer avec quelque chose d'intime, et Poe me semblait, spirituellement, le guide parfait, (avec un soupçon de l'étude de Freud sur ''The Uncanny'' et ''Au-delà du principe du plaisir'') pour incarner cette idée de physiologie et de musicalité que nous vivons -en tant qu'auteurs- comme quelque chose de vraiment important et crucial. C'est un auto-portrait qui doit renvoyer nos propres inquiétudes, notre grâce et notre horreur. Dans le sens comique et grotesque de l'horrible que possède Poe, dans sa magnifique musicalité en tant qu'écrivain, en tant qu'être humain, je découvre des traces et des réflexions de mes propres pensées intimes, de ces propres perplexités de l'existence que l'on devrait apprendre à aimer et à craindre esthétiquement.
Le cauchemar est le seul mode de lucidité – Cioran. (NDBH: toujours en français )
Votre musique peut être considérée comme assez moderne dans un certain sens mais en même temps elle est aussi assez hors du temps, en d'autres termes elle n'est pas facile à décrire, vous êtes d'accords? Matteo: Oui, et de notre point de vue, c'est encore plus obscur, puisque tous nos propres choix sont inconscients. L'album possède la complexité d'un être humain, qui est quelque chose de très sombre, de particulier et d'inconnu. Cela fonctionne à différents niveaux, d'une façon profonde et sans compromis, et avec une grande honnêteté également : ce n'est pas facile à accepter, parfois, parce que cela met en danger nos certitudes. Certaines personnes ont peur d'avoir peur. Cela demande des trippes d'affronter l'abysse que l'on est.
Christian: Oui, et c'est un plaisir de l'entendre venant de toi. Je pense qu'être hors du temps est quelque chose que tous les artistes veulent être, pour eux et pour leurs oeuvres. Quelque chose qui ne peut pas être décrit est quelque chose de nouveau, de jamais entendu, jamais vu. Une vraie rareté, ces temps-ci...
Gabriele: On est très content que notre musique ne soit pas facile à décrire. Qu'est-ce qu'une musique moderne ou hors du temps? C'est une question incompréhensible pour nous, on crée juste et on joue la Musique. Sans regard pour les goûts des autres. Peut-être que notre indifférence pour la mode et les tendances musicales permet à notre créativité d'être totalement libre et expérimentale. Donc, nous sommes modernes et hors du temps à la fois. On prend soin de ce rare privilège avec un infini plaisir.
Anyway, votre musique est assez différente de celle d'EDGE OF FOREVER. J'ai lu que votre style avait changé au cours des années, était-elle plus mélodique sur vos précédents albums? Christian: Edge of forever n'a rien à voir avec ce projet. C'était un bon groupe, mais très éloigné de notre vraie direction, pas seulement d'un point de vue musical. Aujourd'hui, je me sens plus mélodique que jamais.
Matteo: C'était juste de la musique, alors. Certainement quelque chose de plus léger, à cause des claviers mais aussi des intentions. Quoi qu'il en soit, mélodie ne rime pas avec musique plate et prévisible, pour moi. Je trouve Confessor profondément mélodique. Disons qu'à ce moment-là, on ne se préoccupait pas du tout de questions esthétiques telles que la prosodie, par exemple. Du moins pas consciemment.
Votre musique est très sombre, même assez dérangée et chaotique on pourrait dire, est-ce que cela vous vient facilement ou est-ce que vous avez besoin d'être dans un certain état d'esprit pour créer? Matteo: Si l'on se met à délirer il faut vraiment avoir la fièvre... Faut pas faire semblant! (NDBH: toujours en français)
Notre musique reflète notre obscurité, notre physiologie dérangée et chaotique. Composer est un processus très direct, brutal et mystérieux à la fois, je dirais. On ne sait pas où nous allons, donc je suppose que cela requiert beaucoup d'ouverture d'esprit et de sensibilité. Je ne me préoccupe pas de la guitare et du ''guitarisme''. Je me sens certainement plus proche de The Residents que de Dream Theater. Nous appartenons à la physiologie non systématique, musicalement parlant. J'aime les naufrages.
Christian: Cela vient naturellement: le chaos est quelque chose de privé, de subjectif. Il ne serait pas honnête de tracer des lignes en matière de créativité -si tu as quelque chose à dire. Cela n'a pas de sens de jouer une musique complexe si l'on n'est pas prédisposé au chaos. Nous renvoyons juste nos propres âmes.
J'ai lu une citation de Nietzsche sur votre site concernant la question de l'interprétation, qu'est-ce que vous voulez dire par là et est-ce que ce n'est pas trop difficile ou étrange de ce point de vue (si j'ai bien compris) de faire des interviews dans lesquelles vous allez être amenés à parler de votre musique?
Matteo: Cela est dit du point de vue de la composition. Mais le style (geste, comportement, façon de parler) est comme un instrument que tout le monde utilise inconsciemment dans la vie de tous les jours également: ma façon de répondre à tes questions pourrait certainement horrifier quelqu'un et attirer quelqu'un d'autre. Je ne serais pas offensé, ni particulièrement flatté par quelque réaction que ce soit.
Faire de la musique est la même chose. Donc si tu sens que notre album a quelque chose d'intéressant ou de spécial, si cela te touche quelque part, c'est probablement parce que l'on a quelque chose à se dire. Nous ne parlons pas en vain et aucun de nous ne perd son temps.
Merci pour votre temps et si vous avez quelque chose à ajouter, je vous en prie. Fury'n'Grace: Merci pour l'interview et pour l'aimable intérêt que tu portes à notre musique. It was a grotesque pleasure!