V.I.T.R.I.O.L. (vocaux) - ANAAL NATHRAKH par PRINCE DE LU - 2242 lectures
Après la sortie de leur dernière bombe, VS a pris le temps d'envoyer par mail une batterie de questions au vocaliste du frappadingue duo britanique. Sans grande surprise, le bonhomme est bavard et a plein de choses à nous raconter. Ca tombe bien, on a plein de questions.
Merci de répondre aux questions de VS-Webzine. Pas besoin de présenter le groupe à nos lecteurs, tu évites une question ennuyeuse. Vos précédents travaux plus chaotiques (avant "Eschaton", j'entends) semblaient difficiles à jouer en live. Le fait de faire de la scène a-t-il modifié votre manière de composer, influençant le groupe à proposer une musique plus directe et plus efficace ?
Pas du tout. Je suis d'accord sur le fait que notre matériel récent est vraiment direct. Mais c'est plus le résultat d'une orientation que nous avons construite plutôt qu'à cause d'une simplification de la musique. En termes techniques, notre orientation actuelle est probablement plus complexe que nos travaux plus anciens. Le côté direct est ce que nous recherchons, parce qu'il donne une impression plus immédiate à l'auditeur. Mais l'astuce est de donner en même temps plus de profondeur qui ne se révèle qu'au fur et à mesure qu'on apprivoise la musique. Et j'aime à croire que c'est ce que nous réussissons à faire. Jouer en live n'a eu aucun impact sur notre musique elle-même, car nous ne changerons pas Anaal Natrakh juste pour rendre la chose plus facile pour nous. "Hell is Empty…" représente Anaal Nathrakh tel que nous le voyons actuellement, et toute considération scénique est secondaire. Il n'y a pas beaucoup de titres d'Anaal Nathrakh qui sont vraiment faciles à recréer en live, mais c'est juste un autre challenge à dépasser.
"Domine Non es Dignus" est une œuvre très sombre avec des atmosphères suffocantes qui est unique dans votre discographie. Est-ce la pierre angulaire qui a conduit à vos derniers albums ?
Je vois ce que tu veux dire dans une certaine mesure. Chaque album que nous faisons commence par la musique de Mick, et je sais que sa manière de composer consiste à se mettre dans le bon état d'esprit et de juste laisser les choses venir. Cet état d'esprit n'a pas changé depuis les premiers jours. Bien sûr, la musique a évolué, mais elle est toujours écrite de la même manière et avec la même attitude. Donc toutes les évolutions sont le résultat d'une progression naturelle et organique. C'est aussi vrai pour tout ce que je fais dans le groupe, et pour le groupe en général (qui est une bête d'une méchanceté instinctive et non un projet calculé).
Comment peux-tu nous décrire votre dernier album musicalement ? J'ai parlé de la BO d'un film apocalyptique dans le prologue duquel Ben Affleck et tous les "gentils" mourraient, les roustons mangés par des zombies affamés. Aimes-tu ce scénario ?
J'aime l'idée du film apocalyptique. Mais je ne suis pas certain que l'atmosphère que nous cherchions collerait aux roustons de Ben Affleck dévorés par des morts-vivants. Le seul film de zombie que j'aime est "28 jours plus tard", car il montre une conception violente des zombies. Et il montre comment la nature humaine se révèle sous le stress extrême : certains s'efforcent de survivre, sont heureux et sont en général humains. Mais d'autres, souvent avec un certain degré de pouvoir, utilisent la situation pour contrôler, être cruels et barbares. Les zombies sont vivaces au cinéma car ils sont utilisés comme une métaphore. Si tu les utilises comme une métaphore plus religieuse et que tu fais un film comparable à "Les Fils de l'Homme" ("Children of Me" de Alfonso Cuarón), dans le même esprit que "28 jours plus tard" est comparable à "Dawn of the Dead" (je ne traduis pas, il ne précise pas la version), je pense que tu t'approches du film qui correspond à Anaal Nathrakh. Ou plutôt un croisement entre "1984", "Old Boy" et "L'Exorciste". Avec une touche de "Irreversible" dedans!
Comment créez-vous la musique ? Y a-t-il un premier jet instinctif sur lequel viennent se greffer de nombreux éléments ou avez-vous une vision précise de votre musique complexe en sachant exactement ce que vous voulez obtenir dès le début ?
Plutôt la première. Comme je l'ai dit, pour nous l'intérêt est d'entrer dans un certain état d'esprit et de voir où ça nous mène. J'ai lu une fois que Karl Sanders passait un temps monumental à écrire et annoter chaque partie de la musique de Nile de manière théorique comme un compositeur classique. Et évidemment personne ne peut discuter le résultat. Mais cette méthode de travail, et surtout l'attitude adoptée, ne pourrait pas marcher pour nous. Nous voyons notre musique comme Dyonisiaque, une pulsion chaotique qui se débat et sort de toi en ruant et hurlant. Bien qu'il y ait des altérations et quelques révisions évidemment, la majorité de ce que vous entendez vient du premier jet que réalise Mick avec sa guitare. Et après qu'il ait fini, nous travaillons ensemble pour ajouter du muscle et de la peau autour de l'ossature, de manière à ce que ce premier jet devienne le squelette. Le paradoxe est que, parce que tout provient de notre impression de comment cela doit sonner selon notre mode de pensée, le produit final est globalement ce que nous avions en tête au début. Il a l'atmosphère que nous avions conçue à l'origine, mais il est toujours intéressant pour nous à la fin de prendre du recul et de voir comment cela a évolué.
Tes vocaux sont parfaitement inhumains et comme d'habitude très variés. Parmi tous ces hurlements, grondements et vocaux clairs, comment décides-tu de placer telle partie sur tel riff ? Y a-t-il beaucoup d'essais et d'enregistrements avant d'atteindre le résultat ?
Non. Par exemple, une chose que beaucoup de monde a remarqué à propos des vocaux est l'introduction du refrain chanté de "Do Not Speak" sur "Domine Non es Dignus". Mais tant que je n'ai pas été devant le micro en demandant à Mick d'enregistrer, je n'avais aucune idée de ce qui allait se passer. Ce que tu entends sur l'album est la première prise. Plus généralement, nous nous asseyons et écoutons l'album en entier (ou ce que nous avons partiellement complété au moins), seulement la musique. Et nous discutons parfois des endroits où colleraient bien une ou deux parties de texte dans un style. Ensuite nous prenons un titre et rassemblons mes écrits et les idées. Et nous travaillons sur une section à la fois, prenant la musique comme un guide pour les vocaux à utiliser. Nous écoutons parfois la même partie plusieurs fois avant que je dise "OK, je le tiens, je sais quoi faire." et nous enregistrons. Je pense que c'est le moyen d'être le plus guidé par la musique et ne pas forcer ses idées dans des endroits où elles n'iraient pas. Ca signifie que le résultat sonne cohérent et engagé, bien qu'il soit très varié. Tout semble couler naturellement car c'est ainsi que nous faisons avant tout. Et pour moi, faire tout selon une impulsion laisse la place totalement libre à mon imagination, ce qui nous mène à un résultat très varié et vivant. Il y a au moins une nouvelle "voix" sur chaque album que nous avons fait.
Votre Necrodeath Studios est-il le lieu idéal pour enregistrer ? Quels sont les avantages d'avoir son propre studio et qu'est-ce qu'il ne vous permet pas de faire ?
Non, ce n'est certainement pas le lieu idéal, mais c'est notre studio. Je pense que pour réaliser le meilleur, tu as besoin d'être relax et de contrôler ce qui se passe. Ton propre studio est le mieux pour ça. Evidemment il y a des choses que nous ferions mieux si nous avions quelques milliers de livres sterling de matériel supplémentaire et de grands producteurs pour nous aider. Mais nous arrivons réellement à faire ce que nous voulons. Ca serait super de profiter des avantages d'un énorme budget, mais comme sont les choses actuellement nous n'en avons pas la nécessité. Et nous avons le luxe du temps. En plus des dates de sortie qui sont aussi "flexibles", nous n'avons pas à planifier combien de temps nous louons le studio et nous n'avons pas à attendre un trou dans l'agenda d'un producteur qui nous conviendrait. Donc, nous sommes techniquement limités mais ce n'est pas un problème important et c'est contrebalancé par la liberté que nous avons.
Au travers de vos side-projects, vous avez abordé différents genres de métal. Quelles sont les limites créatives avec Anaal Nathrakh ? Y a-t-il des riffs ou des mélodies qui ne correspondent pas au groupe ?
Ca ne fonctionne pas comme ça. Nous n'arrivons pas avec une musique non-identifiée et décidons pour quel groupe elle convient le mieux. Nous travaillons sur chaque projet isolément. Si nous travaillons sur Anaal Nathrakh, nous arrivons avec des riffs qui collent à Anaal Nathrakh et les rares riffs qui ne conviennent pas sont écartés. C'est naturel pour nous d'être capables de nous concentrer entièrement et passionnément sur un projet. Et si nous ressentons le besoin de créer quelque chose qui ne correspond pas à ce que nous faisons, nous créons simplement un nouveau projet.
Anaal Nathrakh traite de black metal depuis des années. Te sens-tu plus proche de la scène black ou de la scène death/grind d'où sont issus vos proches (par exemple, les gars de Napalm) ?
Nous ne ressentons aucune appartenance à une scène, comme la plupart des gens que nous connaissons pour autant que je sache. Musicalement, nous n'accordons aucune attention à ça. Nous voulons faire une musique menaçante, violente sur le mal et la destruction, mais c'est la seule classification que nous nous accordons. Les styles et les scènes sont sans rapport, car nous essayons juste de faire la meilleure musique possible. Au vu du résultat, il apparaît que beaucoup d'auditeurs de black se sentent proches de notre musique, et c'est cool. Nous apprécions leur support et sommes contents de leur implication dans ce que nous faisons. Mais c'est ce que ressentent aussi un grand nombre de gens issus de beaucoup d'autres scènes extrêmes. Personnellement, nous aimons autant différents styles de métal extrême et nous aimons autant d'autres styles comme beaucoup de gens. J'aime le black metal (Burzum, par exemple), j'aime le brutal death (Liturgy, par exemple) et j'aime aussi Whitehouse et Radiohead. Est-ce que ça change quelque chose sur moi ou mon affiliation avec tout groupe de personnes si un matin j'écoute Bjork au lieu de Darkthrone ? Et socialement, je me fiche de savoir dans quoi sont les gens, je m'occupe de m'entendre avec eux. Les scènes n'ont pas vraiment de sens pour moi.
Qui sont les invités qui ont participé à votre nouvel album ?
Shane Embury joue la basse sur plusieurs parties de l'album et Joe Horvath (Circle of Dead Children) chante sur un des titres. Shane est une perle, il est éternellement enthousiaste à propos de musique et bien sûr un excellent bassiste. C'est un honneur pour nous. Et Joe est un des chanteurs les plus incroyables que je connaisse. J'ai été estomaqué par son travail depuis que j'ai acheté "The Genocide Machine" et surtout "Human Harvest". J'ai été en contact par mail avec lui et il était sur le cul qu'on adore son travail. Donc ça a été vraiment cool de le voir s'impliquer dans Anaal Nathrakh.
Quand pouvons-nous espérer vous voir sur scène en France ?
Heureusement, bientôt. Nous jouons au Hellfest 2008, bien qu'il n'y ait pas eu d'informations publiées à ce sujet encore (Note PdL: ben si, je me suis fait griller par Greg vendredi. Enfoiré !!). Et il devrait y avoir un show ou deux à ce moment, nous devons voir ça.
C'est un gros challenge que de monter son label. Vous cherchez actuellement de nouveau distributeurs. Comment est venue cette idée ? Ne vous prend-elle pas trop de temps ?
Nous discutions avec Shane depuis quelques temps sur le business de la musique. Et je sais qu'il pensait à monter un label depuis longtemps. Donc il a paru naturel à Shane et Mick d'unir leurs efforts pour créer un label. Oui, c'est un challenge et ça prend beaucoup de temps. Il faut faire beaucoup d'efforts pour rencontrer des gens, nouer les bons contacts et promouvoir tes sorties. Mais je pense qu'ils sont tous deux heureux de donner leur temps et leur énergie pour le faire fonctionner. Et comme le label grandit, le résultat est là. En tant que musiciens eux-mêmes, ils apprécient l'opportunité de travailler avec de gros bosseurs car ils savent bien comment cela peut être difficile. Les gens changent les chiffres, font des choses sur lesquelles vous n'êtes pas d'accord, font une mauvaise promo, etc. FETO est destiné à être un endroit où ça n'arrive pas, parce que tous les gens qui sont impliqués savent ce que cela fait d'être traité ainsi. Espérons que le label grandisse encore longtemps.
Pourquoi avez-vous choisi de rééditer les albums de Frost sur FETO Records ? Y a-t-il une demande pour les premiers pressages qui sont assez difficiles à dégoter ?
Oui, c'est cela. C'est essentiellement pour être sûr que si les gens veulent ces albums, ils sauront où les trouver. Il n'y a pas de spéculation derrière, c'est juste que le temps passant, pas mal de gens voulaient ces enregistrements et c'est la meilleure manière de leur éviter l'oubli du temps. Et bien sûr, il est toujours possible qu'il y ait un nouvel album de Frost. Dans ce cas, les gens pourront récupérer le vieux matériel s'ils ne l'ont pas déjà.
Frost est grandement influencé par Mayhem. Est-ce que ces morceaux plus mid-tempo ne correspondaient pas à Anaal Nathrakh ? Qui sont les deux mystérieux vocalistes de Frost ?
Comme je disais plus tôt, Frost est Frost et n'est pas un cimetière de riffs d'Anaal Nathrakh. La musique que Mick écrit pour Frost est composée pour ce projet et pas un autre. Les vocalistes ont été emprisonnés avec les chaînes du tourment éternel au fin fond du donjon Necrodeath, et nourris avec des restes de colère et d'amertume. C'est pourquoi leurs hurlements sont si malsains.
Quels sont les retours sur l'album de Professor Fate ? C'est très différent des autres travaux de Mick.
C'est un projet où Mick peut explorer ses autres idées, celles qui ne correspondent pas au métal, une autre voie créatrice. Je pense que le point de comparaison pourrait être Ulver, et Garm chante justement sur un titre, mais Ulver est effectivement une meilleure référence qu'on ne peut le penser. Ils ont progressé au fil des années, depuis un de mes albums préférés de black agressif ("Nattens Madrigal") jusqu'à un matériel presque ambient. C'est similaire à ce que Mick a fait. Mais au lieu de progresser d'un style à l'autre, Mick a juste élargi ses horizons dans différents projets en même temps.
Où trouvez-vous le temps de participer à tant de projets ? Avez-vous été clonés ?
Mick passe presque tout son temps dans la musique, soit en composant, soit en travaillant pour le label ou autre. Cela signifie qu'il est perdant sur sa sécurité financière et qu'il ne peut pas se permettre autant de choses que s'il avait un style de vie plus conventionnel. Mais un des avantages de sa liberté créatrice est qu'il a du temps pour faire beaucoup de musique.
Votre site officiel n'est plus à jour depuis des mois. MySpace est-il un moyen plus efficace pour communiquer et contacter les gens ? Pensez-vous que ce type de communauté a changé les relations entre les groupes et leur public ?
Fondamentalement, oui c'est le cas. Si tu veux faire découvrir un nouveau morceau comme nous l'avons fait pour "Hell is Empty…", tu auras beaucoup plus d'auditeurs en le mettant sur MySpace que n'importe où ailleurs sur internet. Je n'aime pas beaucoup certains aspects de MySpace, mais c'est un outil incroyablement puissant pour la communication quand tu l'utilises. Et oui, ce genre de plateformes rendent les groupes plus disponibles pour leur public mais c'est à l'individu d'appuyer sur le bouton "reply". Et personnellement, je pense que si quelqu'un ici-bas est intéressé par ce que reflète ta musique, il y a une chance qu'il ait quelque chose à raconter sur d'autres sujets qui t'intéressent. Les relations changent autant ou aussi peu que tu le veux, les groupe peuvent voir dans internet un outil uniquement à but promotionnel et ignorer tout le reste s'ils le désirent. A la fin, si ces outils peuvent changer les relations entre les groupes et leur public, ce sont uniquement des "individus" qui interagissent. Et que ces individus soient dans des groupes ou non n'est pas un facteur vraiment important.
C'est un événement un peu ancien maintenant, mais je n'ai pas eu l'occasion de vous parler de John Peel qui a disparu il y a trois ans. Quels souvenirs gardez-vous de lui ?
J'étais un grand fan de John Peel, autant la personne que le DJ. Il était si enthousiaste et passionné dans la vie qu'il était une bouffée d'air frais comparé aux bâtards sans âme qui pensent plus à leur carrière et à leurs profits ou leur pouvoir sur les autres qu'autre chose. Il était ouvert sur le monde. Et bien sûr il fut le seul responsable d'avoir amené une musique si underground aux oreilles de gens qui ne l'auraient jamais connue sans lui. Une légende.
Je te laisse le mot de la fin. Merci pour ton temps et tes réponses.
Et merci pour le soutien.