Les organisateurs belges n'avaient pas lésiné sur les moyens pour cette première édition du FACE YOUR UNDERGROUND FEST. Jugez plutôt : dix groupes majoritairement death/grind à l'affiche, dont cinq nationaux, et un petit magazine offert pour la modique somme de 17€. Pas étonnant que près de 600 autochtones, quelques Français et Hollandais aient fait le trajet pour assister au départ en fanfare du F.Y.U. fest.
Le planning de la journée étant gonflé à bloc, c'est vers 13h que les hostilités débutent. Hélas, la gestion quasi kafkaïenne du ring (périphérique) d'Antwerp ayant décidé de fermer des accès stratégiques à l'Hof Ter Loo, c'est avec un peu de retard que j'arrive dans la place.
Les Belges de LEMURIA sont en train de jouer les deux derniers morceaux de leur set-list. Le groupe s'active dans un black métal mélodique à tendance folk et fait un peu figure d'intrus en inauguration de cette affiche essentiellement brutale. Le public est encore maigre dans la grande salle et ce n'est qu'une petite poignée de fans qui témoigne une bribe d'intérêt pour le groupe d'ouverture. Le son est plutôt bon, le groupe a l'air en place et assure placidement sa demi-heure de concert.
La cadence ne s'accélère pas de beaucoup alors que les Belges de THEE PLAGUE OF GENTLEMEN entrent en scène. Le chanteur/guitariste du groupe, massif personnage au crâne lustré de près, exhibe fièrement un t-shirt de MAGMA. Après un morceau death plutôt mid-tempo, le groupe passe en vitesse de croisière, à savoir : bloqué en seconde. Hé oui, THEE PLAGUE OF GENTLEMEN est une authentique formation de doom. Difficile de dire si c'est à cause d'un son excellent ou si c'est parce que les dieux du métal poussif étaient de leur côté, mais le show de THEE PLAGUE passe très bien. Il est clair que le quatuor connaît son affaire et que le style n'a aucun secret pour eux. Au bout de trente minutes de métal pesant, c'est presque à regret que le public laisse partir le groupe. Une excellente surprise qui méritera qu'on s'y attarde dans le futur.
On reste dans les groupes nationaux avec les Flamands de LENG TCH'E. Auréolé d'une sortie de disque prochaine chez Relapse et motivé par l'arrivée d'un nouveau chanteur (Boris de SUPPOSITORY) LENG TCH'E donne enfin le ton d'une journée qui sera particulièrement brutale par la suite. Est-il nécessaire de préciser que c'est Sven, beugleur attitré d'ABORTED, qui tient le poste derrière les baguettes de LENG TCH'E ?(Normal avec un nom chinois…) Il ne faut que quelques titres à Boris pour faire définitivement oublier Isaac, l'ex-grunteur/ninja. Outre une puissance vocale supérieure, Boris dispose d'un panel de grimaces assez imposant, laissant planer le doute sur ses facultés mentales. En attendant, LENG TCH'E envoie méchamment son razor-grind rageur indiscutablement doté d'une fibre bien barrée autant que rock'n'roll. A ne pas douter que le prochain disque sera un tournant décisif dans la carrière du gang.
Les belgeries continuent avec SUHRIM. Oh je vous vois déjà venir avec vos « wah la honte ! Il sait même pas écrire surimi correctement ». A ceci près qu'il n'est pas ici question de bâtonnets de crabe mais bel et bien de brutal death. Si SUHRIM n'est pas très connu en France, il dispose d'une certaine reconnaissance dans ses terres. Le public réagit positivement et la salle, qui s'est déjà considérablement remplie, s'échauffe lentement. Mené par un duo de presque quadragénaire, à savoir un chanteur/bassiste à la trogne viking et un guitariste en survêt décontracté, SUHRIM surprend son monde avec une prestation en trois « b » : bonne, brutale et bovine. Le son est toujours aussi bon depuis le début du festival et laisse augurer de purs moments bestiaux.
Trop rare à mon goût sur les tournées, voici HAEMORRHAGE qui prend le relais. J'ai encore un souvenir précis et enthousiaste de leur dernier (et unique ?) passage à Paris, il y a trois ans. Pour ce festival, les fêlés de Madrid se produisent sous la forme d'un quatuor. En effet, Ana, leur guitariste rythmique de charme, n'a pas été du voyage. Pourtant cela n'entachera (si j'ose dire) en rien la prestation délirante de cet authentique groupe de gore-grind. Le concours de grimace, débuté avec Boris de LENG TCH'E, continue avec Lugubrious, le grogneur charismatique d'HAEMORRHAGE. Outre des capacités vocales respectables, ce personnage qui souffre probablement d'un désordre avancé de la personnalité, devient un véritable acteur, outrancier au possible, dès qu'il se trouve face au public. Ainsi il débarque couvert de (faux) sang et s'active tel un dément pendant toute la durée du set. Tour à tour, il nous exhibe une fausse main tranchée qu'il fait mine de déguster, s'orne d'une muselière sur mesure ou encore nous expose un bocal abritant un cerveau. Si le « tour de chant » de Lugubrious a des allures de pantalonnade avec ses mimes et ses artefacts, le côté zic assure méchamment, dans un style gore-grind très proche des premiers CARCASS. Au final, 40 minutes qui se seront écoulées en un clin d'œil. Vivement leur prochaine venue en France…
Suite au désistement de dernière minute de MNEMIC et EXHUMED, les bataves de SEVERE TORTURE s'imposent en roue de secours de choix. Contre toute attente, ce n'est pas exactement un déchaînement barbare aux blast incessants que le groupe nous proposera. En effet, il est surprenant de constater que le groupe a récemment opté pour une vision plus fine du butal death, en s'inspirant quelque peu du death dit « old school ». Bref, au lieu de nous lobotomiser par voies auditives, SEVERE TORTURE nous balance un set mitonné aux petits oignons et si le chanteur n'est pas suffisamment à l'aise sur scène, il compense par un enthousiasme communicatif. Le combo profite de l'occasion pour nous plaquer sa reprise impeccable du « Lost Soulds » de PESTILENCE et nous quitte finalement après 40 minutes intensément efficaces. De quoi donner envie de se pencher sur l'album à venir, sitôt sa sortie.
On passe définitivement aux choses sérieuses avec PIG DESTROYER, venu en Europe pour seulement quelques dates qui éviteront soigneusement la France. Sur scène comme sur disque, le groupe se produit sous la forme d'un trio. Pas de bassiste de tournée pour les nouveaux enfants terribles du grind US. Meubler une scène aussi vaste que celle de l'Hof Ter Loo, n'est pas chose facile, les pronostiques sont dignes de Lapalisse : ça sera une tuerie ou un cauchemar… ! Le pire est à craindre alors que le set s'annonce plutôt statique dès son commencement. C'est alors qu'une alchimie singulière se produit. Est-ce l'intensité que JR Hayes met dans son chant ou son regard halluciné ou encore une mise en place irréprochable ? Mais, petit à petit, une atmosphère, une communion particulière s'installe encore PIG DESTROYER et le public belge. Le style inégalable des Américains transcende rapidement l'assistance et la durée de leur show ne semble pas avoir dépassé les 10 minutes lorsque le trio quitte la place. Le cauchemar n'a pas eu lieu mais pour ce qui est de la tuerie… on a été servi.
Dernier groupe belge de la soirée, ABORTED présente son nouvel album à l'occasion de ce festival. Ayant vu la bande à Sven de nombreuses fois, je ne m'attendais pas à de grandes surprises. Grave erreur, assister à un concert d'ABORTED en Belgique, c'est un peu comme être présent dans le Parc des Princes quand le PSG gagne (on peut rêver non ?) un match important. Tout le monde est content et c'est la fête. ABORTED choisi d'attaquer sa prestation par un nouveau titre. L'intro de « Dead Wreckoning » retentit puissamment dans la salle. Tout le monde à l'air un peu surpris par la force de la déflagration musicale qui suit. Le son est monstrueux et les membres du combos semblent animés d'une folie frénétique. Si l'on est habitué à voir Sven se dévisser la tête à longueur de set, les autres zicos nous ont souvent réservés des headbang timides. En ce début de soirée, c'est un peu à ce demander s'ils n'ont pas bouffé du lion avant d'investir la scène, tant leurs participations rivalisent de frénésie. Gilles, tant critiqué lors de son arrivée, assure une performance qui n'a rien à envier aux meilleurs batteurs français, voire européens. Le gnome grimaçant se promène derrière une rythmique méticuleusement calée. Contaminé par ce vent de folie, le public belge, jusqu'alors un peu mou du genou, devient hystérique et le pit devient le théâtre de pogos barbares. Pas un seul temps mort au cours d'un show qui fera découvrir à l'assistance cinq des nouveaux titres d' « Archaic abattoir » et nous proposera les standards les plus extrêmes, tirés des autres albums. Un pur moment de gloire qui ferait presque regretter qu'il n'y ait pas plus de français dans le groupe… (Un chauvin ? Où ça ?)
Pas facile d'enchaîner derrière une leçon de brutalité comme celle qu'ABORTED vient de donner. Cette tâche ingrate incombe aux Finlandais de ROTTEN SOUND qui laissent présager d'un authentique set grindcore, brutal à souhait. Dans un premier temps, la mayonnaise retombe franchement, à croire que le public a épuisé ses dernières ressources. Mais au bout de quelques titres, ROTTEN SOUND trouve enfin ses marques et commence à nous avoiner dans les règles. Si une bonne partie de la setlist est dédier au terrifiant dernier album « Exit », le groupe n'en oublie pas pour autant le reste de sa discographie tout au long de la vingtaine de morceaux qu'ils nous proposent. ROTTEN SOUND va mettre tout le monde KO par ses titres d'une violence orgasmique. L'émotion prend place sur scène lorsque le chanteur dédie le morceau suivant à son ami Miezsko de NASUM disparu trop tôt. Après un rappel incisif, ROTTEN SOUND disparaît. Le festival approche de la fin avec le set d'ILLDISPOSED.
Depuis l'éviction d'un de ses guitaristes en mars dernier, c'est désormais sous la forme d'un quatuor que les Danois se produisent. Le groupe est venu en touriste, ne croyant pas nécessaire d'amener avec lui le strict minimum. C'est donc sans leurs instruments que les Scandinaves sont venus assurer la tête d'affiche : pas de guitare, pas de basse ni même la moindre cymbale. Une attitude pas franchement professionnelle pour un groupe de cette envergure. Même si les membres d'ILLDISPOSED ont passé le plus clair de leur journée à boire en coulisse, le chanteur est nettement moins ivre que lors de leur dernier passage parisien. Pourtant, ses dandinements d'ours ou ses pitreries en haut des enceintes n'arrivent pas à faire monter la pression. A croire que le public est vidé et qu'il n'a plus l'énergie de soutenir le death moderne d'ILLDISPOSED. Comble de déveine, le groupe est victime d'un problème sonore récurant. Un horrible larsen vrille régulièrement les oreilles. Visiblement, les Danois ont voulu contrecarrer la puissance brute des derniers groupes par un volume sonore excessif. Le stratagème ne fonctionne pas très bien. Privée de ses arrangements sonores et de ses samples, l'interprétation est indéniablement molle et sans relief. Le death moderne d'ILLDISPOSED paraît ici quelconque et d'une platitude accablante. Mais il est déjà tard et comme ILLDISPOSED sera également présent pour le Fury Fest et pour le Wacken, c'est sans état d'âme que je quitte les lieux avant la fin.
Pour une première édition sous la tutelle du webzine death metal.be, le FACE YOUR UNDERGROUND Fest a comblé nos espérances. Gageons que la seconde édition confirmera ce succès et que la prochaine tête d'affiche saura se montrer plus sérieuse que celle de cette année.
Le 30 avril 2005 Hof Ter Loo à Antwerp