Attila (chant) - MAYHEM par PRINCE DE LU - 5263 lectures
Cette interview datant de fin avril était destinée à Hard Rock Magazine. Mais faute de place, elle avait été largement amputée lors de sa publication. Avec l'accord du rédac chef de HRM (encore merci Sven), VS vous propose aujourd'hui l'intégralité du long échange avec le bavard Attila. Et le bougre n'est pas facile à coincer pour une interview tellement il ne tient pas en place : "Je dois faire l'interview très vite car je pars en tournée au Japon et en Australie et je ne reviendrai pas avant début mai". Remontons un peu le temps pour cette interview réalisée à l'arrache.
Etait-il nécessaire de quitter Aborym, Sun O))) et tes autres projets quand tu as rejoint Mayhem en novembre 2004 ? Vas-tu te limiter à des apparitions en guest comme pour Astarte ou Anaal Nathrakh ?
Non, il n'était pas obligatoire de quitter Aborym. Mais nous avons eu des problèmes personnels, puis Seth nous a quittés pour rejoindre Dissection et nous avons eu des soucis avec les autorités. Mais le plus gros problème est venu de notre label Code666, qui a complètement flingué le groupe. Au même moment, on m'a proposé de rejoindre Mayhem. Donc on a préféré se séparer alors que Aborym était en pleine reconstruction. Ca a été une bonne idée de récupérer Prime Evil de Mysticum et Faust. Prime Evil est un de ceux qui a inventé ce style avec Mysticum. A l'époque, Euronymous était intéressé par le black industriel et voulait signer Mysticum. A propos de mes participations, j'essaie de m'impliquer au mieux dans les groupes. Si des concerts ont lieu et que je suis disponible, je joue. Je participe à pas mal de projets en guests, par amitié ou respect pour les artistes comme pour Astarte et Anaal Nathrakh.
As-tu écouté le premier album de Professor Fate auquel tu devais participer ou le dernier Keep of Kalessin ?
Je n'ai pas écouté le dernier Professor Fate. J'étais trop occupé pour m'impliquer dans ce projet. J'ai écouté le dernier KoK et je pense que c'est un putain d'album. Mais des fois, il est impossible de faire tout ce qu'on veut en même temps. Frost et moi avons juste pu participer au mini (Reclaim). Obsidian C. a alors cherché de nouveaux membres et mis en place ce très bon line-up. J'aime le nouveau vocaliste. Je leur souhaite le meilleur, c'est un groupe très prometteur.
En te rappelant, ne penses-tu pas que Mayhem joue avec sa légende ? Ou alors Mayhem est une tribu qui fonctionne avec les amis ?
Mayhem est une tribu, c'est exact. Faire partie de cette tribu réclame une certaine personnalité et dépend de beaucoup de choses. Cela demande surtout de gagner le respect de la part du reste du groupe. Cela prend du temps et cela m'a demandé deux ans. J'ai été en contact avec Mayhem dès 1991 et l'enregistrement de De Mysteriis... a eu lieu en 1993. Mais depuis ce moment, je n'ai jamais quitté la tribu. Les gens sont assez critiques à propos du nouveau line-up, mais nous ne jouons pas avec la légende de Mayhem. C'est le nom Mayhem la légende. Les choses peuvent nous échapper et ne sont pas sous notre contrôle, c'est ce qui s'est passé en 1993 ou encore comme le scandale qui a eu lieu récemment en Suède. Mais nous n'avons jamais eu la volonté de créer le scandale, nous voulons juste jouer. C'est le destin de Mayhem qui rend les choses si légendaires, et nous sommes heureux et fiers d'y participer. Maintenant, je peux préciser que Mayhem est une énergie qui nous dépasse et elle est créée par quatre individualités. Le line-up peut évoluer mais l'énergie de Mayhem reste toujours la même.
As-tu écouté Skitliv, le nouveau projet de Maniac que tu as revu à la release party de Shining ?
Oui, j'ai entendu Skitliv. C'est un projet que Maniac a monté avec une batteuse. C'est vraiment intéressant. Il joue de tous les instruments et fait les voix. Concernant Shining, c'était cool que Maniac soit là et qu'on partage la même scène. Ca montre le respect mutuel que nous avons. Je suis plus proche de lui que jamais, depuis que j'ai pris sa place (rire). Nous nous voyons en soirées, et nous avons de grandes discussions. Il m'a fait écouter quelques reprises de punk qu'il a fait, c'est un grand vocaliste. Peut-être que le black métal n'était pas le style le plus adapté pour lui.
Comme d'habitude chez Mayhem, le travail d'écriture de Ordo ad Chao a été long, car vous parliez de l'album dès 2005. Comment se déroule la mise en place des compositions et la création des atmosphères alors que vous vivez dans des pays différents ?
Oui, cela a pris deux ans pour composer pour écrire l'album. Je pense que ce n'est pas si long si on regarde que Mayhem a 23 ans et que c'est seulement le quatrième album. Mais cela a pris du temps. D'abord nous nous échangeons des idées par fichiers entre Blasphemer qui vit au Portugal, moi en Hongrie et les autres en Norvège. J'écris les textes, Blasphemer écrit la musique et on discute périodiquement pendant la première année. Après, nous nous retrouvons en Norvège pour les répétitions, comme avant les concerts. Là, nous discutons autour des idées des autres et nous mettons en place la structure basique des morceaux. Et cela a pris un an pour apprendre et mettre en place définitivement les morceaux. A partir de là, cela a encore pris six mois avant qu'on entre en studio. Juste avant, nous avons répété tous les jours pendant deux semaines. Avant un show, nous avons juste besoin de faire quelques répétitions. Mais avant le studio, c'est un marathon. Même si chacun de nous joue depuis longtemps, ça reste un challenge pour donner le meilleur sur album. Au final, cela nous a pris deux ans avant d'être prêts à rentrer en studio.
Blasphemer a dit que Ordo ad Chao est l'album le plus philosophique que Mayhem ait fait. Quelle est l'idée derrière ce titre ésotérique et cet artwork intriguant avec des symboles militaires ?
Je pense que c'est un excellent titre car il reflète très bien la musique, qui est en même temps chaotique et structurée. Mais ce titre a plusieurs significations et niveaux de compréhensions. Cela rentre dans notre philosophie : opposer l'ordre et le chaos. Cette dualité est l'aspect le plus important. D'un point de vue plus spirituel, qu'est-ce que le chaos ? Souvent des choses que l'on ne comprend pas. C'est comme regarder les feuilles d'un arbre. De loin, elles sont toutes semblables. Mais de plus près, elles sont toutes différentes. Et il y a un aspect chaotique encore plus fort si on les regarde au microscope. Tous les arbres se ressemblent de loin. Il y a ces notions d'ordre et de chaos dans la nature. Une autre compréhension peut être de se poser des questions mystiques et philosophiques sur l'homme libre. Le titre de travail était "Ordo ob Chao" (Ordre et Chaos) et le titre final est "Ordo ad Chao" (Ordre issu du Chaos). Cela signifie que la création, l'ordre, est issue du Chaos. Il y a donc de multiples interprétations de ce titre. Et nous sommes très contents de l'artwork. Pour l'artiste, proposer quelque chose qui reflètent l'Ordre et le Chaos en même temps a été un vrai challenge. Il y a un côté structuré dans les symboles avec un aspect chaotique dans le fond.
Votre nouvel album est chaotique et malsain, mais pas "électronique" comme vous avez pu expériementer par le passé. C'est un retour aux racines du groupe ?
Bien sûr, nous voulions faire quelque chose de différent cette fois. Nous voulions que cet album ait une production plus sale, plus sèche. Nous voulions combiner nos racines avec des structures musicales plus avant-gardistes, quelque chose de nouveau. Pour la production, nous sommes revenus à nos débuts, aux vieilles démos-cassettes. Beaucoup nous disent qu'ils aiment le feeling des démos car l'atmosphère y est différente. Nous ne voulions pas faire des millions de prises avec une super-production et complètement écraser la musique. Nous avons moins de dynamique, un son bien sale. Mais cela rappelle le bon vieux temps et c'est cool. Si tu fais trop de prises et que tu over-dubbes trop et d'autres conneries, tu perds l'esprit qui se manifeste dans la musique. Peut-être qu'on loupe ce côté "professionnalisme", c'est un terme moche. Mais à la place on y gagne en atmosphère et on ne fout pas en l'air les ambiances. Notre premier objectif n'est pas de satisfaire l'auditeur en le gavant avec une superproduction remplie de fréquences. Ce n'est pas du divertissement. Nous voulons que l'auditeur fasse un effort pour entrer dans l'album et être capable de comprendre.
Tu expérimentes de nombreuses voix. Comment mets-tu en place tes paroles ?
Oui, il y a beaucoup de voix. Certains éléments viennent d'improvisation mais c'est assez limité. Souvent, je pose des lignes de chant préparées sur la musique, ou alors j'écoute la musique et je la suis avec une ligne de chant. Pour les textes, soit j'utilise des textes que j'ai collectés et préparés. Ou alors je ferme les yeux et je me laisse guider par les notes pour mettre en place des mots. C'est une méthode intéressante qui consiste à écrire des mots qui viennent, à se relire et y trouver un sens. Je ne sais pas de quel endroit de mon cerveau ça vient ; de mon inconscient, de ma conscience ou autres. Mais j'aime utiliser cette méthode aussi, et il y en a beaucoup d'autres pour écrire. Après 20 ans de travail, j'utilise ma voix comme un instrument. J'aime jouer avec les différentes techniques. Cette fois, Blasphemer voulait absolument placer des voix schizophréniques et complètement barrées. Il m'a inspiré pour le faire, et il a supervisé l'enregistrement des voix en m'encourageant à donner un tel résultat. J'ai vraiment aimé expérimenter de cette manière.
L'album est très homogène et aucun titre ne se détache vraiment.
C'est juste une composition de Blasphemer. Quand nous avons tout mis en place, cela donne une énergie malsaine, chaotique, crispante, déprimante et aliénatoire. Nous ne voulions pas créer un "hit", nous n'aimons pas les albums qui en ont. Nous voulions garder pendant tout l'album la même intensité, la même haine. L'album est rempli de toutes les énergies négatives, tous les aspects négatifs de la nature humaine.
L'atmosphère de la partie finale de "Illuminate Eliminate" est impressionnante, opposant un arpège fantômatique à une batterie très clinique. Ce sont des contrastes que vous recherchez ?
(NDR: Il zappe complètement la question là)C'est un titre intéressant qui parle de la relation qu'on a avec son corps. A un certain moment de la vie, on se rend compte qu'on sait bouger les mains mais qu'on ne contrôle pas ce que font les os. On sait juste qu'on peut le faire. Le corps nous permet de bouger et de voyager. On ne possède pas son corps, on ne fait que l'utiliser. Quelqu'un qui fait de la méditation peut arriver à la conclusion qu'il est seul et entouré d'un corps étrange et des énergies autour de nous. Je pense que peu de gens se demandent ce que nous sommes réellement, ce que nous faisons là et quel est notre but. C'est une aliénation absolue.
Etes-vous prêts à libérer les Enfers au Hellfest et dans le reste du monde ? (NDR : nous sommes fin avril)
Oui, nous attendons le Hellfest qui sera notre premier concert pour ce nouvel album. Ca a été cool de jouer en France la dernière fois, donc nous sommes très optimistes pour le show. Mais on ne sait jamais à l'avance, surtout avec Mayhem. Tout peut foirer car nous sommes un groupe chaotique. J'espère juste que tout va aller pour le mieux et qu'on va faire un grand show à nouveau. Après nous ferons une tournée aux US et en Europe. Je recherche ce genre d'action en ce moment.
Trouves-tu des similitudes entre le Mayhem de De Mysteriis... et celui de Ordo Ad Chao ?
Difficile de comparer à cet album qui a maintenant 14 ans. Pour les similitudes, je dirai que nous avions les mêmes attentes, car beaucoup de gens attendaient De Mysteriis.... Les enregistrements se ressemblent aussi : tout s'est passé très vite et a été supervisé par le compositeur, Euronymous ou Blasphemer. J'ai également suivi ses directives cette fois ; ma voix est un instrument qui doit entrer dans la vision et les idées du compositeur. Au niveau des différences, pour De Mysteriis... j'ai juste ré-arrangé des textes qui étaient prêts. Cette fois, j'étais là dès le début et j'ai pris une grande part à la composition en écrivant tous les textes. Il y a beaucoup d'autres différences : la scène, les conditions, beaucoup de choses ont changé. Nous sommes un groupe assez auto-destructeur mais nous essayons désormais de plus nous affronter physiquement. Tout le monde a mûri et sait gérer sa colère. Dans un groupe extrême et encore plus dans une tribu comme Mayhem, nous nous disons les choses en face de manière directe, mais nous n'explosons plus comme avant.
Peux-tu nous parler de la scène hongroise et nous conseiller quelques groupes locaux ?
Il y a quelques autres groupes intéressants comme Ahriman, Frost, Tesstimony. Casketgarden n'est pas mal. Nous avons quelques bons groupes et des jeunes se mettent de plus en plus au métal extrême. C'est très cool car la colère est toujours là et les groupes sont meilleurs techniquement. Mais la scène n'est pas très grande et n'est pas comparable à la Norvège. Avec la sortie du nouvel album, j'ai fait une seule interview en Hongrie et c'est pour un magazine politique et culturel. Même le Metal Hammer hongrois qui s'appelle HammerWorld se fout du nouveau Mayhem. La Hongrie vit trop dans le heavy metal des années 80. Mais je m'en fous, ça ne me plairait pas d'être une rock star en Hongrie. Je m'occupe aussi de mon petit label Saturnus Productions qui va rééditer l'album de Tormentor Anno Domini à partir des masters. Le label va aussi sortir une version limitée de réenregistrements de De Mysterriis.... Season of Mist devrait s'en occuper en France. Je travaille aussi sur un DVD de Tormentor couvrant les années 86-87 où j'ai l'air d'un kid de 16 ans. C'est assez hilarant et j'ai presque honte (rire). Pas mal de monde est intéressé par ce vieux matériel des années 80, donc je pense qu'on va le sortir.
Connais-tu quelques groupes français ?
Ah, je ne me souviens plus des noms. Il y a évidemment ce groupe de black industriel avec un E à la fin. Heu... (et après une longue réflexion) Blacklodge ! Il y a aussi Arkhon Infaustus et Mütiilation. Meyhna'ch est un ami et je n'oublie pas ces moments que nous avons passés dans le sud de la France après notre premier concert avec Aborym à Marseille. C'était cool. J'ai du respect pour lui et pour les Légions Noires. C'était quelque chose. Par le passé, j'aimais Treponem Pal et d'autres de la scène industrielle fin 80-début 90.
Il n'y a pas de promo pour Ordo Ad Chao. Season of Mist utilise des mp3 watermarkés. Que penses-tu du piratage par rapport au marché de la musique ?
Je ne peux pas accepter que les fichiers mp3 soient en circulation avant la sortie de l'album. C'est vraiment trop et ça nous fait mal aux fesses. D'un autre côté, dans la musique extrême, le piratage est acceptable. L'album est sur le net avant sa sortie et au moins tout le monde peut le récupérer et constater à quel point ce nouveau Mayhem est mauvais et qu'il ne faut pas l'acheter. C'est une option pour choisir d'acheter ce que tu aimes. Donc, je pense que la scène métal extrême peut être fière que les kids achètent encore des CD. Ca veut dire qu'il y a de la qualité.
Merci Attila pour tes réponses et ton précieux temps. Je te laisse les derniers mots.
Salut aux lecteurs français.