Il n'est pas exagéré de décrire le parcours des Cro-Mags comme chaotique tant l'histoire de ce groupe majeur du NYHC fut parsemée de conflits internes à base de coup de latte dans la chetron, changements de line-up multiples, bagarre pour la paternité du nom et règlements de compte par articles de presse interposés digne des meilleurs soap-opera des années 80. Malgré ça, les Cro-Mags sont à l'origine de trois albums (oui Alpha Omega aussi!) fabuleux, qui firent tomber les barrières entre Hardcore/Punk, Thrash et Heavy Metal. Le point culminant de tant d'années de haine larvée fut atteint en 2012 quand Harley Flanagan surcamé et rongé de jalousie tenta de poignarder John Joseph lors d'un concert de Cro-Mags (ce dernier ayant récupéré le nom! le fourbe!).

C'était déjà pas bien la teuf en 1993 où, après une énième embrouille suite au calamiteux Near Death Experience, les Cro-Mags splittent pour la 847eme fois (en gros) de leur courte carrière! Mayhew et Flanagan partent de leur côté et sortent l'excellent et unique Ep Reincarnation sous le nom de White Devil dans une veine similaire au Cro-Mags période Best Wishes, alors que John Joseph se joint à AJ Novello et Pokey, guitariste et batteur des géniaux Leeway qui viennent eux aussi de casser leur jouet.

Je trouve ce disque dans les bacs peu de temps après sa sortie en 1998. En bon fan des Cro-Mags, je l'achète sans sourciller, la simple évocation de John Joseph suffisant à me convaincre. Revenu chez moi, je m'attends à me bouffer du pur Metalcore estampillé N.Y comme j'en écoutais au kilomètre à l'époque, mais dès les premières minutes de CORNERED, je sens que les choses ne vont pas se passer comme prévu. L'énergie et la rage du Hardcore sont bien présentes et le timbre de John Joseph est immédiatement reconnaissable, mais il y a quelque chose de fondamentalement différent dans le jeu de guitare. Pas de Palm Mutting typiquement Thrashcore, pas d'accords plaqués joués à 100 à l'heure, pas de mosh part... le jeu de Novello, basé sur des harmoniques et des dissonances qu'on aurait trouvé plus volontiers chez Quicksand ou Helmet s'affranchit totalement des codes guitaristique de la scène HxC. De la wah, du delay et d'autres effets sont mis à contribution. Son jeu est puissant mais subtil. La batterie bien qu'allant droit au but s'aligne sur la gratte, cherche le groove plutôt que la vitesse, la basse est énorme, très présente dans le mix, claquante et metallique.

Hate Mantra part sur ces même bases en y insufflant des mélodies qu'on aurait pu trouver chez certains groupes Indie Rock 90's d'autant qu'en modulant sa voix et en privilégiant la justesse de la note à l'énergie brute qu'on lui connaissait habituellement J.Joseph prouve qu'il est plus qu'un chanteur de HxC et met Harley Flanagan à l'amende. J.Joseph est LA voix des Cro-Mags, point barre!
Spiritual Flu revient dans des terres plus hostile, on pense encore à Helmet ou à Orange 9mm dans la manière quasi rap dont J.Joseph pose son chant
Space Junkies s'ouvre sur un couplet étrange, quasi psychédélique où la ligne de basse et le chant murmuré posent une ambiance presque mystique avant que le refrain n'explose brusquement. Un morceau à la frontière du néo que le Deftones d'Around The Fur aurait pu écrire.
Le reste du disque est à l'unisson, chaque titre renferme un passage surprenant : noisy, mélodique ou tendu mais sans jamais sacrifier l'efficacité et la force de frappe des compos : le riff quasi stoner de Free Speech, la colère contenu de Over the Edge (qui eu droit à son clip), Inner Outlet et son refrain ultra mélo où J.Joseph nous étonne encore, Militant et son groove terrassant... Tous les morceaux mériteraient d'être cités...

L'adolescent étant par définition con et inculte, je n'accrochai pas immédiatement, déçu de ne pas y trouver la fureur Thrashcore des Cro-Mags mais le disque se révéla à moi au fil des écoutes et des années.
Entre temps je découvrais LEEWAY avec son chef d'oeuvre Open Mouth Kiss (1995), BOTH WORLDS en était la suite logique, s'inscrivant totalement dans la veine Post-Hardcore de cette décennie qui vit Quicksand, Into Another, Handsome, Shelter et bien d'autres briser les règles du Hardcore en piochant dans le punk rock, la noise ou l'Indie Rock sans rien brader de l'énergie, de l'immédiateté et de la hargne inhérente au style.
Malgré la signature chez Roadrunner, de bonnes chroniques et la présence de 3 zicos reconnus et respectés de la scène HxC, BOTH WORLDS splittera l'année suivante après cet unique album!
A (re)découvrir d'urgence!




Rédigé par : DaleNixon | 1998 | Nb de lectures : 496644