NIRVANA - In Utero (Geffen) - 21/09/2013 @ 21h45
Dans l'histoire de NIRVANA, il y a clairement un avant et un après "Nevermind". Écoulé aujourd'hui à prés de 30 millions d'exemplaires, "Nevermind" s'est payé le luxe de détrôner le "Dangerous" de Michael Jackson de la première place du billboard et d'amener tout en haut des charts un groupe dont le style de musique n'était pas destiné, à la base, à se vendre comme des petits pains.

" Le succès de Nirvana était imprévisible..."Nervermind" était le premier album numéro 1 au Billboard que j'aimais depuis des années....c'était très dur de voir ce type de musique rencontrer un tel succés..."

King Coffey THE BUTTHOLE SURFERS

Le matraquage incessant de "Smells like Teens Spirit", les propositions de première partie de U2 et GNR, les tournées marathonsdevant des publics que le groupe ne reconnait plus et la médiatisation du couple infernal Cobain/Love ébranleront le fragile groupe, en particulier son leader.
Si la pression médiatique explique selon beaucoup le "malaise" latent de Kurt Cobain, en coulisse, d'autres invités malveillants viennent ont pourri la vie du chanteur plus que n'importe quel fan abruti.
Ses problèmes de douleurs à l'estomac empirant, Cobain décide de consulter les plus éminents spécialistes susceptibles de soigner ses maux... sans succès. Sa consommation de drogues (déjà non négligeable à ses débuts) semble selon plusieurs proches monter en flèche et effectue son morbide travail de sape sur la santé déjà précaire du musicien.
Décrit comme fatigué par de nombreux journalistes l'ayant rencontré à l'époque, Cobain développera, comme si ça ne suffisait pas, une forme de narcolepsie l'amenant à s'endormir de manière inopportune, parfois aux abords de la scène.
Usé et dépassé par le formidable phénomène de son "groupe de loosers" comme il le nommait lui même, Cobain multiplie les provocations en public, ment comme un arracheur de dents lors des interviews mais paradoxalement reste dans ce cirque qui semble ne plus l'amuser des masses. Le rouleau compresseur étant inexorablement lancé, il est déjà temps pour le groupe de donner un successeur au bébé nageur.

C'est donc en 1993 que sort "In Utero" le troisième album de NIRVANA (si on excepte la compilation "Incesticide" sortie l'année précédente et comprenant un mélange de reprises et de titres inédits), galette attendue comme le messie par la grande majorité du public "Grunge".
Peu avant la sortie de l'album, le groupe disait avoir le "Fantasme de sortir une Bombe qui exploserait le Music Business". Après la sortie d'"In Utero", le groupe reviendra un peu amèrement sur ses propos en qualifiant le disque "De simple claquement de doigts... un pétard mouillé". Certainement déçu de l'enregistrement et de "l'expérience Albini", le groupe a pourtant réussi avec "In Utero" à donner une très belle succession à "Nevermind" et ce autant sur le plan artistique que commercial.
Beaucoup plus brut, moins policé mais toujours aussi bien écrit, "In Utero" a réussi le tour de force de continuer à plaire au grand public tout en gardant une personnalité très rude et abrasive.... la rencontre réussie entre "Bleach" et "Nervermind" en somme. Mais tout cela ne s'est pas fait sans peine.

Résolument décidé à proposer un album plus agressif, le trio décide de faire appel au producteur Steve Albini. Réputé et respecté pour ses productions rêches et sans concession, Albini est aussi connu pour être resté "Underground" dans sa façon de concevoir la musique...et "hardcore" dans son attitude.
C'est dans le Minnesota, complétement coupés du monde et dans des conditions spartiates que NIRVANA enregistre l'album. Enregistré et mixé en quinze petits jours (un record pour un groupe de ce calibre) une copie de l'album est rapidement envoyée à Geffen qui qualifie le résultat d'"inaudible".
Ravis d'avoir un os à ronger, les médias s’emparent de l'affaire et critiquent férocement Albini, l'accusant de pourrir le travail des musiciens et de saborder la carrière du groupe. Au départ solidaire de son producteur, le groupe changera progressivement d'avis au fur et à mesure qu'ils écouteront l'album. Cobain dira d'ailleurs à la presse Française qu'il avait senti que quelque chose ne tournait pas rond dans l'album et qu'effectivement, "In utero" était noyé dans une sorte de brouhaha général où la batterie sonnait trop fort et où la voix était noyée dans les instrus.
En faisant remixer certains titres de l'album par Andy Wallace, et re-produire certains titres par Scott Lyn, NIRVANA finit par se mettre Albini à dos qui se fâche tout rouge et ne se prive plus pour critiquer ouvertement les décisions du groupe d'agir de la sorte. Tous déçus de l'expérience, les protagonistes garderont un gout amer de cette rencontre qui avait pourtant tout pour réussir.

En septembre 1993, l'album sort enfin, et grâce à une promotion discrète et adaptée à l'aura du groupe, l'album se hisse très vite aux premières places des charts de tous pays...y compris la France ! Les moins jeunes se rappellent très certainement de la prestation époustouflante de NIRVANA à N.P.A où vêtus de costards cravates, ils donnèrent de géniales versions de "Rape Me", "Pennyroyal Tea" et "Drain You".
Plus abrasif que "Nevermind", "In Utero" pourrait presque se découper en trois parties : Les morceaux calmes ("Dumb", "All Apologies"), les morceaux violents ("Milk It" ou "Tourrette's") et les singles ("Heart Shapped Box", "All Appologies"). A coté de ces extrêmes, le groupe proposent des "liants" particulièrement inspirés grâce à des bombes comme la superbe "Frances Farmer will have her revenge on Seattle", "Serve the servant" ou "Very Ape".

En jouant sur du matériel rudimentaire, Cobain revient à ses premiers amours en poussant un ampli pourri jusqu'au bout de ses limites et donnant ainsi à ses riffs ce son hyper saturé, tout juste contrôlable et en opposition totale avec les sons clairs très clairs qu'il utilise lors des passages plus calmes. En revenant vers ces saturations plus "crust", Cobain mixe également tout son savoir faire guitaristique en utilisant la formule des riffs marteaux à la " Floyd the Barber" sur "Milk it" et des Grungeries Nirvanesque comme le riff de "Rape Me" ou le pont de " Frances Farmer...". Pourtant pas si mauvais soliste que ça à la base, Cobain semble se forcer à jouer somme un pied sur la plupart des espaces solos qui lui sont offerts...comme s'il voulait se moquer de tout ceux qui jugent cela important.
Toujours aussi capital dans le son du groupe, Novoselic continue son travail de soutien architectural pendant que Dave Grohl (qui n'est pas ici très mis par valeur par le son) continue de proposer des rythmes intenses et percutant. On remarque d'ailleurs que sur plusieurs morceaux son jeu s'affine, et qu'en demeurant toujours aussi bourrin il commence à tracer les sillons d'un redoutable jeu à venir.
Déjà présentes par le passé, les guitares acoustiques et le violoncelle montrent que la facette "Neil Young" de Kurt Cobain ne demande qu'à s'exprimer. C'est à cette époque là qu'il parlera de plus en plus de son envie de jouer des sets tout seul avec sa guitare sèche...un peu comme Neil Young justement ou Johnny Cash.

Impossible de parler de "In Utero" sans parler des paroles...ces dernières étant un prisme particulièrement intéressant pour essayer de décortiquer la personnalité de NIRVANA.
A la base, l'album devait s'intituler "I hate myself and i want to die". Bien que le morceau en question ait été retiré de l'album, Novoselic en avait parlé avant la mort de Cobain :

"Kurt voulait appeler l'album "I hate Myself and i Want to die". Je n'aimais pas ce titre et je le le lui ai dit. Je le trouvais trop négatif. Je lui ai dit "Qu'est ce que nous ferons si un gamin se met une balle dans la tête à cause du titre de notre album ?". JUDAS PRIEST et OZZY OSBOURNE ont déjà eu des problèmes de ce genre. Tous ces groupes de gros cons irresponsables ont eu des problèmes avec leurs chansons à la con..."

Chris Novoselic Guitar Mag


Bien sur, le bassiste ne pouvait pas prévoir le funeste sort de son ami et ce titre, allié à cette sombre chanson aux allures prophétiques, laisse un arrière gout amer. Bien que le malaise de Kurt était clairement perceptible dans ses anciennes paroles, sur "In utero", il se livre beaucoup. La colère, la confusion et la dépression sont sous-jacentes dans beaucoup de ses lyrics.
Jusqu'alors, les paroles de Cobain étaient souvent abstraites. De son propre aveu, il écrivait quelques mots sincères, puis se sentait obligé de s'en moquer dans les lignes qui suivaient....les lyrics bizarres, planants ou différents brossant selon lui un meilleur tableau.
Ici, tout commence avec " Teenage angst has paid off well, Now I'm bored and old" sur "Serve the Servant" et se termine sur "All apologies" avec "All in all is all we are". Les deux extrémités de l'album montrent peut être d'une manière plus manifeste que Cobain l'aurait voulu son état au moment de la composition de l'album.
Malgré les propos outranciers, les élans scatologiques et les incongruités dispersées à droite et à gauche, Cobain est ici à nu. De son histoire d'amour avec Courtney Love sur "Heart Shapped Box" a l'hommage à son actrice fétiche et maudite Frances Farmer, on retrouve aussi toute la haine du chanteur pour le Machisme et les violences faites aux femmes, son mépris d'un public complétement anesthésié par MTV et la cruelle ironie qui les voit se mêler à ce triste cirque...eux qui étaient si enclins à le dénoncer quelques années auparavant.

J'étais au lycée lorsque cet album est sorti, et si je l'ai aimé lors de sa sortie, je le kiffe encore plus maintenant. De part sa cohérence et sa force, cet album est certainement un des tous meilleurs des années 90's...ce qui n'est pas peu dire. Désormais entré dans la légende pour des raisons pas sans liens avec la mythologie NIRVANA, sachons apprécier le groupe pour ce qu'il a engendré de meilleur : des chansons.


Rédigé par : Pamalach | 1993 | Nb de lectures : 2317


Auteur
Commentaire
vincesnake
Membre enregistré
Posté le: 22/09/2013 à 00h12 - (29860)
Je me suis réécouté In utero récemment quand j'ai appris qu'il allait être réédité pour ses 20 ans ce qui m'a fait halluciner. Le coté brut du son et la qualité des chansons font qu'il passe carrément bien l'épreuve du temps.

La chronique est encore une fois très instructive et nostalgique, l'œuvre en question le mérite !

Je me souviens d'un documentaire (culture rock)sur Nirvana et le Grunge où une journaliste disait pendant un concert de Soundgarden que c'était "une musique très bruyante mais c'est du beau bruit". Ce commentaire pourrai très bien être utilisé pour parler d' In Utero.

reblo
Membre enregistré
Posté le: 22/09/2013 à 08h47 - (29865)
Magnifique chronique Pamalach, retraçant l'histoire et le contexte du groupe.
J'avais vu un doc sur la biographie de Kurt Cobain, et contrairement à ce que je pensais, Nirvana a travaillé pour leur succès, au début il n'était pas question de drogue et autres débauches; seulement travail, concerts, ce qui a apporté leur fruit. Malheureusement l'emprise mondiale a dépassé leur entendement..

J'avais 14 ans à la sortie de l'album, je ne l'ai écouté qu'après la mort de Kurt Cobain. Pour moi c'est l'album le plus sincère et sombre du groupe, brut de décoffrage comme aucun autre groupe de rock n'a réussi à le faire.

Kairos
IP:86.220.243.104
Invité
Posté le: 22/09/2013 à 09h15 - (29866)
J'ai comme pas mal de monde à l'époque écouté Nevermind en boucle et j’étais tout éxité à l'idée d'écouter son successeur. le son brut et sans fioritures a eu du mal a passer, de plus les compos plus "malsaines" et moins tubesques de cet album m'ont pas mal déçu.
Je l'ai beaucoup écouté à l'époque (surtout parce que j'avais peu d'albums donc peu de choix), mais c’était une vraie déception, puis, là aussi comme beaucoup, à la découverte du vrai metal velu, j'ai rejeté complètement Nirvana.
Avec le recul et la maturité, aujourd'hui je pense que c'est un très grand album, très personnel, et ses compos et sa prod sont clairement en réaction au phénomène disproportionné (mais compréhensible) de Nevermind.

pamalach
Membre enregistré
Posté le: 22/09/2013 à 09h28 - (29867)
A vincesnake :

Je vois de quelle émission tu parles mais je me rappelle plus comment elle s’appelait ! C'était dans cette émission où il y avait Chris Cornell qui répondait à une interview en jouant au billard non ?

vincesnake
Membre enregistré
Posté le: 22/09/2013 à 09h49 - (29868)
@ pamalach: c'était "Culture Rock", il y avait aussi l'extrait d'interview du mec des Butthole Surfers que tu cite en début de kro.

J'ai maté un nombre incalculable de fois les spécial Nirvana et AC/DC.
C'était une très bonne émission qui m'a permit de faire pas mal de découvertes via les extraits proposés.

Youpimatin
Membre enregistré
Posté le: 22/09/2013 à 11h24 - (29870)
Je suis de la génération "Nevermind" aussi et j'ai trouvé bizarre la 1ère écoute de cet album qui partait un peu dans tous les sens.
C'est finalement le meilleur car c'est ce qui représentera à jamais la quintessence de l'oeuvre de Kurt Cobain.
Il y a de la finesse et beaucoup de colère dans cet album mais c'est bien le mélange des deux qui fait qu'il est unique.

Belle chronique au passage



Arsène
Membre enregistré
Posté le: 22/09/2013 à 12h03 - (29871)
Des frissons, un souvenir, une larme.
Trois albums, trois ambiances, un seul état d'esprit. Nirvana me manque, mas Nirvana n'aurait très certainement pas supporté le poids des ans...
Il reste un bel héritage. Merci pour cette chronique.



K
IP:128.78.125.93
Invité
Posté le: 22/09/2013 à 12h04 - (29872)
Svp moins de fautes dans vos chroniques, relisez vous bordel!

manolo71
IP:92.148.22.168
Invité
Posté le: 22/09/2013 à 19h47 - (29874)
toujours trés pertinent pamalach dans ses chroniques, particulièrement celle ci, du coup ca donne juste envie de réecouter l'album. Et moi aussi j'étais au lycée quand cet album est sorti...

Meridian
Membre enregistré
Posté le: 22/09/2013 à 20h21 - (29875)
Je suis plus jeune, j'avais 6 ans quand il est sorti.

J'ai eu la chance de découvrir ce groupe au début de l'adolescence, par cet album (le clip ultra glauque de Heart-shaped Box !) contrairement à beaucoup de gens de ma génération, et c'est celui que je préfère : sombre, colérique, crade, torturé.... sincère finalement, comme dit ci-dessus ; moins tubesque que Nevermind mais plus intéressant, car ce coup-là c'était moins facile de rentrer dans le bain sans se mouiller plusieurs fois la nuque.

Cet album transpire un certain malaise et finalement, ça ne m'étonne pas que la mort de Kurt l'ait suivi.

Sinon chapeau à Palamach qui écrit de super chroniques blindées de bonnes anecdotes !



reblo
Membre enregistré
Posté le: 22/09/2013 à 20h57 - (29877)
Arsène, c'est tout à fait ça, trois albums différents et le même esprit intègre.


pamalach
Membre enregistré
Posté le: 22/09/2013 à 23h05 - (29880)
Merci de vos compliments, ça me fait vraiment très plaisir.

GabinEastwood
Membre enregistré
Posté le: 23/09/2013 à 08h59 - (29882)
Une excellente chronique pour un excellent album. Perso je le trouve bien meilleur que Nevermind trop lisse et trop surfait.

Là on revient à du brut, avec également un côté beaucoup plus triste et sombre, et entouré d'une grande mélancolie (Pennyroyal tea, all apologies ...), je me le réecoute de temps en temps et les chansons n'ont pas veillit d'un iota.



cherokkee
Membre enregistré
Posté le: 23/09/2013 à 09h35 - (29884)
C'est ce disque qui m'a amené vers le metal ! A la fin, j'écoutais perpetuellement "Tourette's", alors je me suis dit qu'il fallait que je me mette à quelque chose de plus brutal... le metal. Merci Kurt pour cette fenêtre sur la sauvagerie sonore !



Pask43
IP:212.99.25.2
Invité
Posté le: 24/09/2013 à 12h45 - (29891)
un album indémodable et indispensable.J'étais aussi au lycée quand il est sorti.
Cet album m'a ouvert a la noirceur dans la musique ,a la guitare,aux drogues, a l'alcool,aux filles...
Merci pour ta chro.


RBD
Membre enregistré
Posté le: 02/10/2013 à 22h08 - (29931)
Pas facile à chroniquer, cet album. Le Grunge est pour beaucoup dans mon débarquement final dans le Metal extrême. "In Utero" est bien moins direct que "Nevermind" avec sa structure originale, son interprétation encore plus déjantée car vraiment maîtrisée, ses ballades crasseuses et noires qui arrivent sans prévenir... C'est certainement l'album le plus riche de Nirvana.

ChildOfFlames
IP:90.121.165.21
Invité
Posté le: 17/09/2014 à 20h26 - (31188)
Leur meilleur album...

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